Par un mémoire, enregistré le 24 octobre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, le Conseil national des barreaux demande au Conseil d'État, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 19° au 21° du I et du II de l'article 258 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code du travail ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, notamment son article 258 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Le Prado, avocat du Conseil national des barreaux.
1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
2. Considérant que les 19° à 21° du I et le II de l'article 258 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ont inséré dans le code du travail un ensemble de dispositions créant un statut de défenseur syndical reconnu aux personnes qui, inscrites sur une liste par l'autorité administrative sur proposition des organisations représentatives des employeurs et des salariés, peuvent exercer des fonctions d'assistance ou de représentation devant les conseils de prud'hommes et les cours d'appel en matière prud'homale ; que l'article L. 1453-8 du code du travail, dans sa version résultant de ces dispositions, prévoit en particulier que " le défenseur syndical est tenu au secret professionnel pour toutes les questions relatives aux procédés de fabrication. / Il est tenu à une obligation de discrétion à l'égard des informations présentant un caractère confidentiel et données comme telles par la personne qu'il assiste ou représente ou par la partie adverse dans le cadre d'une négociation " ;
3. Considérant que les dispositions du 19° au 21° du I et celles du II de l'article 258 de la loi du 6 août 2015 sont applicables au jugement du recours pour excès de pouvoir formé par le Conseil national des barreaux contre le décret du 20 mai 2016 relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail ; que ces dispositions n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce que le législateur aurait méconnu le principe d'égalité des justiciables devant la loi en se bornant à prévoir une obligation de discrétion du défenseur syndical à l'égard des informations présentant un caractère confidentiel et données comme telles par la personne qu'il assiste ou représente alors que, en vertu de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, l'ensemble des échanges et correspondances entre l'avocat et le client qu'il assiste ou représente devant le conseil de prud'hommes et la cour d'appel en matière prud'homale est couvert, dans l'intérêt même du justiciable, par le secret professionnel, soulève une question présentant un caractère sérieux ; qu'ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions du 19° au 21° du I et de celles du II de l'article 258 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête du Conseil national des barreaux jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au Conseil national des barreaux, au ministre de l'économie et des finances, au garde des sceaux, ministre de la justice, et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Copie en sera adressée au Premier ministre.