Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 7 décembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ligue des droits de l'homme demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du 25 novembre 2015 du ministre de l'intérieur relative aux perquisitions administratives dans le cadre de l'état d'urgence ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le pacte international des droits civils et politiques ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son protocole additionnel n° 4 ;
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;
- loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-536 QPC du 19 février 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Barrois de Sarigny, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Xavier Domino, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Ligue des droits de l'homme ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence : " L'état d'urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, des départements d'outre-mer, des collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie, soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique " ; qu'aux termes de l'article 2 de la même loi : " L'état d'urgence est déclaré par décret en Conseil des ministres. Ce décret détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur. Dans la limite de ces circonscriptions, les zones où l'état d'urgence recevra application seront fixées par décret. La prorogation de l'état d'urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi " ;
2. Considérant qu'après les attentats commis à Paris le 13 novembre 2015, l'état d'urgence a été déclaré sur le territoire métropolitain, y compris en Corse, par le décret délibéré en conseil des ministres n° 2015-1475 du 14 novembre 2015, lequel a décidé l'application des dispositions de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 relatives aux perquisitions administratives ; que le décret n° 2015-1476 du même jour a décidé que les mesures prévues à l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 pourraient être mises en oeuvre sur l'ensemble du territoire métropolitain et que celles qui sont prévues aux articles 6, 8, 9 et 11 de la même loi pourraient être mises en oeuvre sur l'ensemble des communes d'Ile-de-France ; que ce dernier périmètre a été étendu, à compter du 15 novembre à zéro heure, à l'ensemble du territoire métropolitain par le décret n° 2015-1478 du 14 novembre 2015, lequel a en outre décidé l'application, sur l'ensemble du territoire métropolitain, de l'article 10 de la loi du 3 avril 1955 ; que l'état d'urgence a été déclaré à compter du 19 novembre 2015, sur le territoire des collectivités de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de la Réunion, de Mayotte, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, par le décret délibéré en conseil des ministres n° 2015-1493 du 18 novembre 2015 ; que l'état d'urgence déclaré par les décrets délibérés en conseil des ministres des 14 et 18 novembre 2015 a été prorogé par les lois n° 2015-1501 du 20 novembre 2015, n° 2016-162 du 19 février 2016, n° 2016-629 du 20 mai 2016 et n° 2016-987 du 21 juillet 2016 ;
3. Considérant que la Ligue des droits de l'homme demande l'annulation pour excès de pouvoir de la circulaire du ministre de l'intérieur du 25 novembre 2015 relative aux perquisitions administratives dans le cadre de l'état d'urgence ;
4. Considérant que l'interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d'instructions l'autorité administrative donne des lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en oeuvre n'est pas susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu'en soit le bien-fondé, faire grief ; qu'en revanche, les dispositions impératives à caractère général d'une circulaire ou d'une instruction doivent être regardées comme faisant grief ; que le recours formé à leur encontre doit être accueilli si ces dispositions fixent, dans le silence des textes, une règle nouvelle entachée d'incompétence ou si, alors même qu'elles ont été compétemment prises, il est soutenu à bon droit qu'elles sont illégales pour d'autres motifs ; qu'il en va de même s'il est soutenu à bon droit que l'interprétation qu'elles prescrivent d'adopter soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu'elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure ;
5. Considérant, en premier lieu, qu'en indiquant que les décisions ordonnant des perquisitions administratives sur le fondement de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 devaient être motivées, la circulaire attaquée n'a fixé aucune règle nouvelle mais s'est bornée à rappeler les obligations résultant de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, désormais codifié à l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ; que les précisions de la circulaire, à propos du déroulement des opérations ou des rapports entre les préfectures et la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, relèvent des instructions qu'il appartient au ministre de donner en sa qualité de chef de service ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que la circulaire attaquée serait entachée d'incompétence ne peut qu'être écarté ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que, par sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 dans sa rédaction résultant de la loi du 20 novembre 2015, à l'exception des dispositions de la seconde phrase du troisième alinéa de ce paragraphe I, relatives à la copie des données informatiques auxquelles il a été accédé au cours de la perquisition, lesquelles ont été jugées contraires à la Constitution et abrogées par la décision du Conseil constitutionnel ; qu'il s'ensuit que la circulaire attaquée, en ce qu'elle évoque la copie des données informatiques et se rapporte aux dispositions jugées contraires à la Constitution, doit être réputée caduque ; que les conclusions correspondantes de la requête doivent être regardées comme ayant perdu leur objet ; que, pour le surplus, en revanche, le moyen tiré de ce que la circulaire réitérerait des dispositions contraires à la Constitution doit être écarté ;
7. Considérant, en troisième lieu, que la Ligue des droits de l'homme soutient, sans autre précision, qu'en édictant un tel dispositif d'état d'urgence, le législateur aurait méconnu les articles 5, 7, 8, 9, 10, 11 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 2 du protocole n° 4 additionnel à cette convention ; que, cependant, il ne ressort pas des pièces du dossier que les dispositions de la loi du 3 avril 1955 seraient, par elles-mêmes, incompatibles avec les stipulations, prises dans leur ensemble, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que doit, de même, être écarté le moyen tiré de ce que le législateur aurait méconnu les stipulations, prises dans leur ensemble, du pacte international sur les droits civils et politiques ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions de la requête sont devenues sans objet en ce qui concerne les termes de la circulaire relatifs à la copie sur tout support des données contenues dans les ordinateurs et téléphones et que la Ligue des droits de l'homme n'est, pour le surplus, pas fondée, par les moyens qu'elle invoque, à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la circulaire qu'elle attaque ;
9. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée par la Ligue des droits de l'homme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation de la circulaire du ministre de l'intérieur du 25 novembre 2015 en tant qu'elle porte sur les dispositions relatives à la copie sur tout support des données contenues dans les ordinateurs et téléphones.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Ligue des droits de l'homme et au ministre de l'intérieur.