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16/11/2016 | FRANCE | N°392365

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 16 novembre 2016, 392365


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 août et 5 novembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2015-611 du 3 juin 2015 relatif au barème des allocations familiales, de la majoration pour âge et de l'allocation forfaitaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justic

e administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, not...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 août et 5 novembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2015-611 du 3 juin 2015 relatif au barème des allocations familiales, de la majoration pour âge et de l'allocation forfaitaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 et la décision n° 2014-706 DC du Conseil constitutionnel du 18 décembre 2014 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Thoumelou, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Le Prado, avocat de la Confédération nationale des associations familales catholiques.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 octobre 2016, présentée par la Confédération nationale des associations familiales catholiques.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à la date du décret attaqué, issue du I de l'article 85 de la loi du 22 décembre 2014 de financement de la sécurité sociale pour 2015 : " Les allocations familiales sont dues à partir du deuxième enfant à charge. / Une allocation forfaitaire par enfant d'un montant fixé par décret est versée pendant un an à la personne ou au ménage qui assume la charge d'un nombre minimum d'enfants également fixé par décret lorsque l'un ou plusieurs des enfants qui ouvraient droit aux allocations familiales atteignent l'âge limite mentionné au 2° de l'article L. 512-3. (...) / Le montant des allocations mentionnées aux deux premiers alinéas du présent article, ainsi que celui des majorations mentionnées à l'article L. 521-3 varient en fonction des ressources du ménage ou de la personne qui a la charge des enfants, selon un barème défini par décret. / Le montant des allocations familiales varie en fonction du nombre d'enfants à charge. / Les niveaux des plafonds de ressources, qui varient en fonction du nombre d'enfants à charge, sont révisés conformément à l'évolution annuelle de l'indice des prix à la consommation, hors tabac. / Un complément dégressif est versé lorsque les ressources du bénéficiaire dépassent l'un des plafonds, dans la limite de montants définis par décret. Les modalités de calcul de ces montants et celles du complément dégressif sont définies par décret ". Aux termes de l'article L. 521-3 du même code : " Chacun des enfants à charge, à l'exception du plus âgé, ouvre droit à partir d'un âge minimum à une majoration des allocations familiales (...) ".

2. Le décret attaqué, pris pour l'application de ces dispositions, insère dans le code de la sécurité sociale un article D. 521-3 prévoyant deux plafonds de ressources annuelles, fixés respectivement à 55 950 euros et 78 300 euros, majorés de 5 595 euros par enfant à charge. Il modifie l'article D. 521-1 du même code afin de fixer le barème du montant mensuel des allocations familiales et de la majoration pour âge, par application à la base mensuelle prévue par l'article L. 551-1 de ce code d'un pourcentage de 32 % pour le deuxième enfant à charge, de 41 % pour chacun des suivants et de 16 % pour la majoration pour âge, correspondant à environ 129 euros, 166 euros et 65 euros en 2015, lorsque le ménage a disposé de ressources inférieures au premier plafond, d'un pourcentage deux fois moindre lorsqu'il a disposé de ressources comprises entre le premier et le second plafonds et d'un pourcentage quatre fois moindre lorsqu'il a disposé de ressources supérieures au second plafond. Le décret modifie également l'article D. 521-2 de ce code pour fixer le barème de l'allocation forfaitaire, par application à la même base d'un pourcentage de 20,234 %, soit environ 82 euros, lorsque le ménage a disposé de ressources inférieures au premier plafond, et qui varie, dans les mêmes proportions que pour les allocations familiales, lorsque le ménage a disposé de ressources supérieures. Enfin, selon le II des mêmes articles D. 521-1 et D. 521-2, le bénéfice du complément dégressif est ouvert aux familles dont les ressources annuelles dépassent l'un de ces deux plafonds d'une somme inférieure à douze fois le montant mensuel des allocations dues augmenté, le cas échéant, de la ou des majorations pour âge. Son montant correspond alors au douzième de la différence entre le plafond ainsi majoré et le montant des ressources.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

3. Les moyens tirés de ce que le décret attaqué aurait été adopté à l'issue d'une procédure irrégulière et n'aurait pas été contresigné par tous les ministres chargés de son exécution ne sont pas assortis de précisions suffisantes pour permettre au Conseil d'Etat d'en apprécier le bien-fondé.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

En ce qui concerne la base légale du décret attaqué :

4. Aux termes du 2 de l'article 2 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels : " Les Etats parties au présent pacte s'engagent à garantir que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans discrimination aucune fondée sur (...) la fortune ". Aux termes de son article 9 : " Les Etats parties au présent pacte reconnaissent le droit de toute personne à la sécurité sociale, y compris les assurances sociales ". Enfin, aux termes de son article 10 : " Les Etats parties au présent pacte reconnaissant que : / 1. Une protection et une assistance aussi larges que possible doivent être accordées à la famille (...) ". Eu égard à l'intention exprimée par les parties à la convention et à l'économie générale de celle-ci, ainsi qu'à leur contenu et à leurs termes, ces stipulations ne produisent pas, par elles-mêmes, d'effets à l'égard des particuliers. Par suite, elles ne peuvent être utilement invoquées par l'association requérante pour soutenir que l'application des dispositions de l'article 85 de la loi du 22 décembre 2014 de financement de la sécurité sociale pour 2015 devrait être écartée.

En ce qui concerne la conformité du décret attaqué au Préambule de 1a Constitution de 1946 :

5. Aux termes du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : " La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ". Selon son onzième alinéa : " Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère (...) la sécurité matérielle (...) ". Appelé à se prononcer sur la conformité à la Constitution du paragraphe I de l'article 85 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, le Conseil constitutionnel a jugé, par sa décision du 18 décembre 2014, que ces dispositions étaient conformes à la Constitution, sous réserve que les dispositions réglementaires auxquelles le législateur a renvoyé le pouvoir de fixer les critères de ressources et de montant des allocations ne remettent pas en cause les exigences du Préambule de 1946 compte tenu des autres formes d'aides aux familles.

6. Eu égard au niveau des plafonds de ressources annuelles qu'il retient, de 55 950 ou de 78 300 euros, majorés de 5 595 euros par enfant à charge, le barème fixé par le décret attaqué, mentionné au point 2, assure une redistribution de revenus aux familles qui, conjointement avec les autres formes d'aide aux familles, notamment les autres prestations familiales, et même en tenant compte des modifications précédemment apportées au mécanisme fiscal du quotient familial, met en oeuvre une politique de solidarité nationale en faveur de la famille et ne peut être regardée comme de nature à remettre en cause les exigences résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946.

En ce qui concerne la conformité du décret attaqué au principe d'égalité :

7. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

8. D'une part, l'article L. 521-1 du code de la sécurité sociale imposait au pouvoir réglementaire de définir un barème faisant varier le montant des allocations familiales en fonction des ressources du ménage et du nombre d'enfants à charge, ainsi que le fait le décret attaqué. L'association requérante ne peut utilement soutenir que le pouvoir réglementaire aurait également dû tenir compte du nombre des personnes qui assument la charge des enfants et du nombre des membres du foyer qui exercent une activité professionnelle, la loi n'ayant pas prévu de tels critères.

9. D'autre part, le décret attaqué, qui n'était pas tenu de se fonder sur le niveau de vie des ménages tel qu'il est apprécié par l'institut national de la statistique et des études économiques et l'Organisation de coopération et de développement économiques, retient des modalités de calcul du complément dégressif qui évitent, dans le montant des prestations servies, les effets de seuil induits par l'instauration de plafonds de ressources, et les choix qu'il opère dans la détermination tant de ces plafonds que des taux des allocations ne créent pas de différences de traitement manifestement disproportionnées au regard des objectifs poursuivis par le législateur. La circonstance que, par l'effet combiné des règles de calcul de l'impôt sur le revenu, ce lissage laisserait subsister des distorsions, de portée limitée, sur le revenu disponible des ménages dont les ressources sont légèrement au-dessus des plafonds ne peut être regardée comme créant une différence de traitement manifestement disproportionnée, en méconnaissance du principe d'égalité.

En ce qui concerne le respect de l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme :

10. Il résulte des dispositions mentionnées au point 2 que le décret précise l'ensemble des paramètres permettant de calculer le montant des allocations auxquelles ont droit les familles en fonction de leurs ressources et du nombre d'enfants à leur charge, sans ambiguïté ou imprécision. Le moyen tiré d'une méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme doit donc être écarté.

En ce qui concerne le respect des principes de confiance légitime et de sécurité juridique :

11. En premier lieu, le principe de confiance légitime, qui est au nombre des principes généraux du droit de l'Union européenne, ne trouve à s'appliquer dans l'ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par le droit de l'Union européenne, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

12. En second lieu, le III de l'article 85 de la loi du 22 décembre 2014 imposait au pouvoir réglementaire de prendre les mesures d'application de l'article L. 521-1 du code de la sécurité sociale, dans sa nouvelle rédaction, de façon à permettre son entrée en vigueur au plus tard le 1er juillet 2015. S'il ne faisait pas obstacle à l'adoption de dispositions prévoyant une diminution progressive des allocations des ménages dont les ressources dépassent les seuils qu'il fixe, le choix opéré par le pouvoir réglementaire dans la détermination tant des plafonds de ressources que des montants des allocations applicables à compter de cette date ne peut être regardé comme portant, aux intérêts des ménages qui subiront une diminution des allocations qui leur sont servies, une atteinte qui aurait imposé l'adoption de mesures transitoires. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique doit être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la Confédération nationale des associations familiales catholiques doit être rejetée.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la Confédération nationale des associations familiales catholiques est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Confédération nationale des associations familiales catholiques, au Premier ministre et à la ministre des affaires sociales et de la santé.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 392365
Date de la décision : 16/11/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 16 nov. 2016, n° 392365
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Marc Thoumelou
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 29/11/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:392365.20161116
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