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21/10/2016 | FRANCE | N°401741

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre jugeant seule, 21 octobre 2016, 401741


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 22 juillet et 11 octobre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. F... C..., M. D... B...et Mme E...A...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 28, 29 et 30 du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autre

s pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son artic...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 22 juillet et 11 octobre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. F... C..., M. D... B...et Mme E...A...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 28, 29 et 30 du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 62 ;

- le code du travail ;

- la loi du 20 février 1922 sur l'exercice de la profession d'avocat et la discipline du barreau en Alsace-Lorraine, notamment son article 8 ;

- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

- le décret n° 2014-52 du 23 janvier 2014 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de M. C...et autres, et à la SCP Boré, Salve de Bruneton, avocat de l'ordre des avocats de Colmar ;

1. Considérant que l'ordre des avocats à la cour d'appel de Colmar a intérêt au maintien du décret attaqué ; qu'ainsi, son intervention est recevable ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 portant réformes de certaines professions judiciaires et juridiques : " Nul ne peut, s'il n'est avocat, assister ou représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit, sous réserve des dispositions régissant les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. / Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à l'application des dispositions législatives ou réglementaires spéciales en vigueur à la date de publication de la présente loi et, notamment, au libre exercice des activités des organisations syndicales régies par le code du travail ou de leurs représentants, en matière de représentation et d'assistance devant les juridictions sociales et paritaires et les organismes juridictionnels ou disciplinaires auxquels ils ont accès. " ; que l'article 5 de la même loi, dans sa rédaction applicable à la date d'entrée en vigueur du décret attaqué, dispose : " Les avocats exercent leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires, sous les réserves prévues à l'article 4. / Ils peuvent postuler devant l'ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de cour d'appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d'appel. / Par dérogation au deuxième alinéa, les avocats ne peuvent postuler devant un autre tribunal que celui auprès duquel est établie leur résidence professionnelle ni dans le cadre des procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation, ni au titre de l'aide juridictionnelle, ni dans des instances dans lesquelles ils ne seraient pas maîtres de l'affaire chargés également d'assurer la plaidoirie. " ; que l'article 80 de la même loi précise qu'elle est applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, à l'exception du chapitre V de son titre Ier, et sous réserve du maintien des règles de procédure civile et d'organisation judiciaire locales ; que l'article 8 de la loi du 20 février 1922 sur l'exercice de la profession d'avocat et la discipline du barreau en Alsace-Lorraine dispose : " Devant les tribunaux des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, les avocats inscrits au tableau près de ces tribunaux sont admis, à l'exclusion des stagiaires, à représenter les parties, à postuler, à conclure et, d'une manière générale, faire tous les actes de procédure. / Ils exerceront ce droit de représentation dans les conditions prévues par les lois locales dont les dispositions en cette matière sont maintenues en vigueur. / Les avocats inscrits au tableau des avocats de Colmar devront faire connaitre, par une déclaration qui sera portée par le bâtonnier à la connaissance du procureur général, s'ils entendent exercer le droit de représenter et postuler devant la cour d'appel ou devant le tribunal de première instance. / (...). " ; qu'il résulte de ces dispositions combinées ainsi que des lois locales et nationales régissant les procédures juridictionnelles dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle qu'avant le 1er août 2016 les règles spécifiques de représentation obligatoire des justiciables prévues par la loi du 20 février 1922 n'étaient pas applicables aux procédures d'appel devant la chambre sociale de la cour d'appel d'un jugement d'un conseil de prud'hommes ;

3. Considérant que l'article L. 1453-4 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur depuis le 1er août 2016, dispose : " Un défenseur syndical exerce des fonctions d'assistance ou de représentation devant les conseils de prud'hommes et les cours d'appel en matière prud'homale. / Il est inscrit sur une liste arrêtée par l'autorité administrative sur proposition des organisations d'employeurs et de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel, national et multiprofessionnel ou dans au moins une branche, dans des conditions définies par décret. " ; que, pour l'application de ces dispositions, l'article R. 1453-2 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret du 20 mai 2016 relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail, précise que " les personnes habilitées à assister ou à représenter les parties sont : / 1° Les salariés ou les employeurs appartenant à la même branche d'activité ; / 2° Les défenseurs syndicaux ; / 3° Le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin ; / 4° Les avocats. / L'employeur peut également se faire assister ou représenter par un membre de l'entreprise ou de l'établissement. / Le représentant, s'il n'est pas avocat, doit justifier d'un pouvoir spécial. Devant le bureau de conciliation et d'orientation, cet écrit doit l'autoriser à concilier au nom et pour le compte du mandant, et à prendre part aux mesures d'orientation. " ; que les dispositions des articles 28, 29 et 30 du même décret, dont M. C...et autres demandent l'annulation pour excès de pouvoir, rendent obligatoire la représentation des parties par un avocat ou un défenseur syndical en cas d'appel devant la chambre sociale de la cour d'appel d'un jugement d'un conseil de prud'hommes ; que toutes ces dispositions législatives et réglementaires sont applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ;

4. Considérant qu'il résulte des dispositions citées au point précédent que les parties devant les conseils de prud'hommes ont la faculté de se faire représenter notamment par tout avocat ou par un défenseur syndical ; que les articles 28, 29 et 30 du décret attaqué ont pour objet, à compter du 1er août 2016, de rendre obligatoire en appel la représentation des parties par tout avocat ou par un défenseur syndical ; qu'elles n'ont ni pour objet ni pour effet d'étendre, à compter de cette date, les règles de postulation prévues respectivement par l'article 5 de la loi du 31 décembre 1971 et par l'article 8 de la loi du 20 février 1922 aux procédures d'appel devant la chambre sociale de la cour d'appel d'un jugement d'un conseil de prud'hommes ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

5. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État (...). " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 que les dispositions de l'article 8 de la loi du 20 février 1922 ne sont pas applicables au présent litige ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 8 de la loi du 20 février 1922 portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;

Sur les autres moyens de la requête :

7. Considérant que si aux termes de l'article 1er du décret du 23 janvier 2014 relatif à la commission du droit local d'Alsace-Moselle : " Il est créé auprès du garde des sceaux, ministre de la justice, une commission chargée d'étudier et de proposer toutes mesures relatives au droit particulier applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, et en particulier les harmonisations qui paraîtraient possibles avec le droit applicable dans les autres départements. ", il ne résulte pas de ces dispositions, ni d'aucune autre, que la consultation de cette commission était en l'espèce légalement requise ; que le moyen tiré de l'absence de consultation de cet organisme doit donc être écarté ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 que, contrairement à ce qui est soutenu, les articles 28, 29 et 30 du décret attaqué ne rendent pas obligatoire, dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, la représentation des parties par un avocat inscrit à la cour d'appel en cas d'appel devant la chambre sociale de la cour d'appel d'un jugement d'un conseil de prud'hommes ; que, par suite, les moyens tirés de ce qu'en instituant, à compter du 1er août 2016, un tel monopole de représentation, le décret attaqué méconnaîtrait le principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de droit applicable en Alsace-Moselle, le principe d'égalité et la liberté d'entreprendre ne peuvent qu'être écartés ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. C... et autres ne sont pas fondés à demander l'annulation des dispositions du décret qu'ils attaquent ; que leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention de l'ordre des avocats à la cour d'appel de Colmar est admise.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. C...et autres.

Article 3 : La requête de M. C...et autres est rejetée.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. F...C..., à M. D... B..., à Mme E...A..., au Premier ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.


Synthèse
Formation : 6ème chambre jugeant seule
Numéro d'arrêt : 401741
Date de la décision : 21/10/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 oct. 2016, n° 401741
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Didier Ribes
Rapporteur public ?: M. Xavier de Lesquen
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON ; SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:401741.20161021
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