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21/10/2016 | FRANCE | N°389770

France | France, Conseil d'État, 10ème et 9ème chambres réunies, 21 octobre 2016, 389770


Vu la procédure suivante :

Par deux requêtes distinctes, Mme B...A...et M. C...A...ont demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir les deux arrêtés du 4 janvier 2012 du ministre de l'intérieur prononçant leur mutation à la circonscription de sécurité publique de La Seyne-sur-Mer (Var) à compter du 1er août 2012, ainsi que les deux décisions implicites de rejet de leurs recours gracieux exercés le 13 février 2012 et les deux décisions explicites de rejet du 9 mai 2012 et, d'autre part, d'enjoindre au ministre de l'intérieur d

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Vu la procédure suivante :

Par deux requêtes distinctes, Mme B...A...et M. C...A...ont demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir les deux arrêtés du 4 janvier 2012 du ministre de l'intérieur prononçant leur mutation à la circonscription de sécurité publique de La Seyne-sur-Mer (Var) à compter du 1er août 2012, ainsi que les deux décisions implicites de rejet de leurs recours gracieux exercés le 13 février 2012 et les deux décisions explicites de rejet du 9 mai 2012 et, d'autre part, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de leur situation. Par un jugement n° 1201604,1201605 du 14 mars 2014, le tribunal administratif de Toulon a fait droit à leurs demandes.

Par un arrêt n° 14MA02229 du 17 février 2015, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par le ministre de l'intérieur contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 avril et 22 juillet 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 ;

- le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 ;

- le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 ;

- l'arrêté du 20 octobre 1995 pris pour l'application de l'article 28 du décret n° 95-654 du 9 mai 1995 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gadiou, Chevallier, avocat de M. et Mme A...;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme A..., tous deux personnels actifs de la police nationale affectés à la circonscription de la sécurité publique de La Seyne-sur-Mer (Var), ont été mutés dans le département de la Martinique, à compter du 1er février 2008 pour une durée de trois ans, par deux arrêtés du 17 décembre 2007. Cette affectation a été prolongée une première fois à leur demande pour une durée d'un an, par deux arrêtés du 4 octobre 2010. Par deux arrêtés du 4 janvier 2012, le ministre de l'intérieur leur a accordé une prolongation exceptionnelle de séjour jusqu'au 31 juillet 2012, afin de permettre à deux de leurs enfants d'achever leur année scolaire en Martinique, et prononcé leur mutation à compter du 1er août 2012 dans leur circonscription d'origine. Par un jugement du 14 mars 2014, le tribunal administratif de Toulon a fait droit aux demandes de M. et Mme A...tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de ces arrêtés. Par un arrêt du 17 février 2015, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel du ministre de l'intérieur dirigé contre ce jugement. Le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Sur le moyen tiré de la contradiction de motifs :

2. L'arrêt attaqué énonce dans ses motifs qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser aux épouxA..., au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Toutefois, l'article 3 du dispositif met à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à ce titre. L'arrêt attaqué est donc entaché, dans cette mesure, d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à demander l'annulation de l'article 3 de l'arrêt qu'il attaque.

Sur les autres moyens du pourvoi :

3. L'article 19 de la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité prévoit que le statut spécial des personnels actifs de la police nationale peut déroger au statut général de la fonction publique, afin d'adapter l'organisation des corps et des carrières aux missions spécifiques de la police nationale, et que ces personnels, compte tenu de la nature de ces missions, sont soumis à des obligations particulières de disponibilité, de durée d'affectation, de mobilité et de résidence. L'article 25 du décret du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale rend applicable les dispositions de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 aux termes duquel : " L'autorité compétente procède aux mouvements des fonctionnaires après avis des commissions administratives paritaires (...). Dans le cas où il s'agit de remplir une vacance d'emploi compromettant le fonctionnement du service et à laquelle il n'est pas possible de pourvoir par un autre moyen, même provisoirement, la mutation peut être prononcée sous réserve d'examen ultérieur par la commission compétente ". Le même article 25 précise toutefois que les dispositions de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 ne sont pas applicables lorsque le fonctionnaire actif de la police nationale, parce que l'intérêt du service l'exige, est exceptionnellement déplacé ou changé d'emploi. L'article 28 du même décret renvoie à un arrêté interministériel la fixation de la durée maximale de séjour de ces personnels lorsqu'ils sont appelés à servir outre-mer, en précisant qu'une prolongation d'un an, qui ne saurait constituer un droit, peut leur être accordée à leur demande. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 20 octobre 1995 pris pour l'application de cet article 28, qui fixe à 3 ans la durée maximale du séjour dans le département de la Martinique : " (...) II. - La durée de séjour n'est pas applicable : /(...) 2. Aux fonctionnaires affectés dans les départements et collectivités d'outre-mer s'ils en sont originaires ; (...)/ III. - Il peut être dérogé à la durée de séjour, après avis des commissions administratives paritaires compétentes, pour des fonctionnaires servant outre-mer en cas : / 1. De mariage ou de pacte civil de solidarité contracté avec un originaire au moins un an avant la date du dépôt de la demande de dérogation. Cette demande doit être formulée au plus tard six mois avant la date d'expiration du séjour ; /2. De circonstances graves ou exceptionnelles ; /3. D'une insuffisance de candidats à la mutation dans un département ou une collectivité d'outre-mer. / IV. - La qualité d'originaire s'apprécie à la date du dépôt de la demande de mutation en fonction du lieu de résidence habituelle, tel que défini par le décret du 20 mars 1978 susvisé ".

4. Pour rejeter l'appel dirigé contre le jugement du 14 mars 2014 par lequel le tribunal administratif de Toulon a annulé les arrêtés du 4 janvier 2012, la cour administrative d'appel de Marseille a retenu deux motifs tirés de ce que la situation des requérants présentait un caractère exceptionnel justifiant une dérogation à la durée maximale de séjour en Martinique et de ce que les arrêtés attaqués avaient été pris avant que la commission administrative compétente se prononce sur leur affectation en métropole à l'issue de leur séjour outre-mer.

5. Pour juger, en premier lieu, que M. et Mme A...étaient fondés à soutenir que leur situation présentait un caractère exceptionnel justifiant qu'il soit dérogé à la durée maximale de séjour des fonctionnaires appelés à servir dans le département de la Martinique, la cour administrative d'appel s'est fondée sur la circonstance que ces derniers, respectivement brigadier-chef de police nationale et gardien de la paix, avaient été, ainsi que leur famille, l'objet de menaces personnelles et ciblées, du fait de leur activité professionnelle, lors de leur affectation à la circonscription de sécurité publique de La Seyne-sur-Mer, que la mutation des intéressés dans le département de la Martinique avait permis à Mme A...de retrouver un équilibre et un état de santé lui permettant de reprendre son travail, que cette dernière était désormais placée en congé de longue maladie pour cause de dépression réactionnelle depuis l'annonce de son retour en métropole et qu'un tel retour aurait eu des effets psychologiques néfastes sur les enfants du couple. Si de telles circonstances pouvaient justifier que les intéressés ne fussent pas mutés à nouveau dans leur circonscription d'origine à l'issue de leur séjour outre-mer, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'erreur de droit en considérant qu'elles étaient de nature à caractériser des " circonstances exceptionnelles ", au sens des dispositions de l'article 1er de l'arrêté du 20 octobre 1995, justifiant leur maintien dans le département de la Martinique au-delà de la durée maximale légalement autorisée, qui tient à la spécificité des conditions de service dans les territoires d'outre-mer et aux exigences du bon fonctionnement des services publics.

6. La cour administrative d'appel de Marseille a relevé, en second lieu, que les arrêtés du 4 janvier 2012 étaient illégaux en tant qu'ils affectaient M. et Mme A...à La Seyne-sur-Mer à compter du 1er août 2012 dès lors que la commission administrative compétente ne s'était pas prononcée préalablement sur la localisation géographique de leur affectation en métropole à l'issue de leur séjour outre mer. En application des article 25 et 28 du décret du 9 mai 1995 et de l'article 1er de l'arrêté du 20 octobre 1995 cités au point 3, la consultation préalable de la commission administrative paritaire compétente s'impose s'agissant des fonctionnaires actifs de la police nationale servant outre-mer qui demandent qu'il soit dérogé à la durée maximale de séjour outre-mer autorisée pour l'un des motifs prévus par ces dispositions. En outre, en application des articles 60 de la loi du 11 janvier 1984 et 25 du décret du 9 mai 1995, la mutation des fonctionnaires actifs de la police nationale à l'issue de leur séjour ultra-marin doit être soumise à l'avis préalable des commissions administratives paritaires, sauf s'il s'agit de remplir une vacance d'emploi compromettant le fonctionnement du service et à laquelle il n'est pas possible de pourvoir par un autre moyen, même provisoirement ou s'ils sont déplacés ou changés d'emploi dans l'intérêt du service. Contrairement à ce qui est soutenu, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'il résulte de ces dispositions, alors même que le ministre de l'intérieur soutient que les fonctionnaires actifs de la police nationale sont, en pratique, réaffectés dans leur circonscription d'origine à l'issue de leur séjour ultra-marin, que la commission administrative paritaire compétente doit nécessairement être saisie, en cas de rejet d'une demande de dérogation à la durée maximale de séjour outre-mer ou d'une demande d'affectation définitive, à titre exceptionnel sur l'affectation en métropole du demandeur.

7. Saisi d'un pourvoi dirigé contre une décision juridictionnelle reposant sur plusieurs motifs dont l'un est erroné, le juge de cassation, à qui il n'appartient pas de rechercher si la juridiction aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur les autres motifs, doit, hormis le cas où ce motif erroné présenterait un caractère surabondant, accueillir le pourvoi. Il en va cependant autrement lorsque la décision juridictionnelle attaquée prononce l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif, dans la mesure où l'un quelconque des moyens retenus par le juge du fond peut suffire alors à justifier son dispositif d'annulation. En pareille hypothèse - et sous réserve du cas où la décision qui lui est déférée aurait été rendue dans des conditions irrégulières - il appartient au juge de cassation, si l'un des moyens reconnus comme fondés par cette décision en justifie légalement le dispositif, de rejeter le pourvoi. Toutefois, en raison de l'autorité de chose jugée qui s'attache aux motifs constituant le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle déférée, le juge de cassation ne saurait, sauf à méconnaître son office, prononcer ce rejet sans avoir, au préalable, censuré celui ou ceux de ces motifs qui étaient erronés.

8. Seul le motif censuré au point 5 de la présente décision était de nature à justifier légalement l'annulation totale des arrêtés du 4 janvier 2012. Le second motif de l'arrêt attaqué, reconnu fondé au point 6, n'est pour sa part de nature à justifier légalement l'annulation des arrêtés attaqués qu'en tant qu'ils affectaient M. et Mme A...à La Seyne-sur-Mer à compter du 1er août 2012.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est fondé à demander l'annulation de l'arrêt du 17 février 2015, outre celle de l'article 3 de son dispositif, qu'en tant qu'il rejette l'appel dirigé contre le jugement du 14 mars 2014 du tribunal administratif de Toulon en tant que ce jugement prononce l'annulation des arrêtés du 4 janvier 2012 en tant qu'ils rejettent la demande d'affectation définitive en Martinique de M. et Mme A....

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit conclusions de M. et Mme A...présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 17 février 2015 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé en tant qu'il rejette l'appel dirigé contre le jugement du 14 mars 2014 du tribunal administratif de Toulon en tant que ce jugement prononce l'annulation des arrêtés du 4 janvier 2012 en tant qu'ils rejettent la demande d'affectation définitive en Martinique de M. et Mme A...et en tant qu'à son article 3, il met à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros verser à M. et Mme A....

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Marseille.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de M. et Mme A...présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur, à Mme B...A...et à M. C...A....


Synthèse
Formation : 10ème et 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 389770
Date de la décision : 21/10/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 oct. 2016, n° 389770
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Isabelle Lemesle
Rapporteur public ?: M. Edouard Crépey
Avocat(s) : SCP GADIOU, CHEVALLIER

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:389770.20161021
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