Vu la requête, enregistrée le 13 mai 2014, présentée par le ministre de l'intérieur ;
Le ministre de l'intérieur demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1201604-1201605 rendu le 14 mars 2014 par le tribunal administratif de Toulon qui a annulé ses arrêtés du 4 janvier 2012 affectant M. et Mme A...à la circonscription de La Seyne-sur-Mer à compter du 1er août 2012 et lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. et Mme A...dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement ;
2°) de rejeter les requêtes de première instance des épouxA... ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État ;
Vu la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité ;
Vu le décret n° 78-399 du 20 mars 1978 relatif, pour les départements d'outre-mer, à la prise en charge des frais de voyage de congés bonifiés accordés aux magistrats et fonctionnaires civils de l'État ;
Vu le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires ;
Vu le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale ;
Vu l'arrêté du 30 décembre 2005 portant déconcentration en matière de gestion des fonctionnaires actifs des services de la police nationale ;
Vu l'arrêté du 15 mars 2007 modifiant l'arrêté du 20 octobre 1995 pris pour l'application de l'article 28 du décret n° 95-654 du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 janvier 2015 :
- le rapport de M. Angéniol, rapporteur,
- et les conclusions de Mme Hogedez, rapporteur public ;
1. Considérant que le ministre de l'intérieur relève appel du jugement rendu le 14 mars 2014 par le tribunal administratif de Toulon qui a annulé ses arrêtés du 4 janvier 2012, affectant M. et Mme A...à la circonscription de La Seyne-sur-Mer à compter du 1er août 2012 et lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. et Mme A...dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement ; que les épouxA..., pour leur part, concluent à la confirmation du jugement et demandent à la Cour qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer leur situation ;
Sur la légalité des décisions querellées du 4 janvier 2012 :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée : " L'autorité compétente procède aux mouvements des fonctionnaires après avis des commissions administratives paritaires " ; qu'aux termes du quatrième alinéa de l'article 19 de la loi du 21 janvier 1995 susvisée, concernant les personnels de la police nationale : " Le statut spécial de ces personnels peut déroger au statut général de la fonction publique afin d'adapter l'organisation des corps et des carrières aux missions spécifiques de la police nationale " ; qu'aux termes de l'article 25 du décret du 9 mai 1995 susvisé : " Les dispositions de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée sont applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale. / Toutefois, lorsque l'intérêt du service l'exige, le fonctionnaire actif des services de la police nationale peut être exceptionnellement déplacé ou changé d'emploi. Dans ce cas, les dispositions mentionnées au premier alinéa du présent article ne sont pas applicables aux fonctionnaires actifs de la police nationale. (...) " ; qu'aux termes de l'article 52 du même décret : " Les commissions administratives paritaires compétentes pour les corps des fonctionnaires actifs des services de la police nationale, régies par le décret n° 82-451 du 28 mai 1982, sont créées par arrêtés conjoints du ministre de l'intérieur et du ministre chargé de la fonction publique. Ces commissions peuvent être instituées à l'échelon national, interdépartemental, départemental ou local " ; qu'aux termes de l'article 28 du décret du
9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale : " La durée maximale de séjour des personnels actifs de la police nationale appelés à servir outre-mer est fixée par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur, du ministre du budget et du ministre des départements et territoires d'outre-mer. (...) une prolongation d'un an de la durée ainsi fixée, et qui ne saurait constituer un droit pour les intéressés, peut être accordée à leur demande. / Cette demande doit être présentée au plus tard six mois avant la date d'expiration du séjour " ; qu'aux termes de l'article 1er de l'arrêté interministériel du 20 octobre 1995, dans sa rédaction issue de l'arrêté modificatif du 15 mars 2007 " I. - La durée de séjour des personnels actifs de la police nationale appelés à servir outre-mer est fixée comme suit : / Trois ans (...) en Martinique (...) / II. - La durée de séjour n'est pas applicable : / 1. Aux fonctionnaires des corps de l'État pour l'administration de la Polynésie française ni aux fonctionnaires recrutés localement en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte et en Guyane ; / 2. Aux fonctionnaires affectés dans les départements et collectivités d'outre-mer s'ils en sont originaires ; / 3. Aux fonctionnaires mariés ou liés par un pacte civil de solidarité à un originaire depuis un an à la date du dépôt de la demande de mutation (...) / III. - Il peut être dérogé à la durée de séjour, après avis des commissions administratives paritaires compétentes, pour des fonctionnaires servant outre-mer en cas : / 1. De mariage ou de pacte civil de solidarité contracté avec un originaire au moins un an avant la date du dépôt de la demande de dérogation (...) ; / 2. De circonstances graves ou exceptionnelles ; / ;
3. Considérant, en premier lieu, que le ministre de l'intérieur soutient qu'il n'était pas nécessaire qu'intervienne une consultation de la commission administrative paritaire compétente pour se prononcer sur la mutation des époux A...à l'issue de leur séjour ultra-marin ; que, toutefois, d'une part, il n'est nullement établi que l'intérêt du service ait pu justifier en application des dispositions de l'article 25 du décret du 9 mai 1995 susmentionné une dérogation exceptionnelle aux dispositions légales imposant une telle consultation ; que, d'autre part, le ministre invoque le fait que les fonctionnaires de police mutés en outre-mer se trouvent dans une situation spécifique qui rend une telle consultation inutile, dans la mesure où la commission paritaire, lorsqu'elle se prononce sur la mutation des fonctionnaires en outre-mer, qui est nécessairement limitée dans le temps, se prononce également implicitement sur le principe de leur réaffectation en métropole à l'issue de leur séjour ultra marin ; que cependant, si, lors de la mutation d'un fonctionnaire de police pour l'outre-mer, le principe de son retour en métropole à l'issue d'un séjour dont la durée est nécessairement limitée, est implicitement acté, cela ne signifie pas pour autant que la commission paritaire n'ait pas, à l'issue de ce séjour, à se prononcer sur les modalités de ce retour en métropole quant à l'affectation géographique précise du fonctionnaire de police concerné qui n'est pas nécessairement celle qui était la sienne avant son départ en
outre-mer ; que, par suite, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, c'est sans commettre d'erreur de droit que le tribunal a considéré que les arrêtés litigieux ne pouvaient légalement intervenir sans consultation préalable de la commission administrative paritaire compétente et que, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu d'une consultation de la commission administrative paritaire qui n'a été sollicitée que le 28 mars 2012, postérieurement à l'édiction des arrêtés contestés, lesdits arrêtés, en date du 4 janvier 2012, et par lesquels le ministre de l'intérieur a muté M. et Mme A...à la circonscription publique de La Seyne-sur-Mer à compter du 1er août 2012 devaient être annulés ;
4. Considérant en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossiers que M. et Mme A..., respectivement brigadier-chef de police nationale et gardien de la paix, alors qu'ils étaient en poste à la circonscription de sécurité publique de La Seyne-sur-Mer (Var), ont été confrontés à des menaces personnelles et ciblées visant jusqu'à leurs enfants, à la suite de leur action menée notamment contre un trafic de stupéfiants au sein de la cité Berthe ; qu'après avoir vainement tenté de changer de domicile pour tenter d'échapper à ce danger qui dépassait le cadre normal des sujétions auxquelles peuvent être confrontés de simples fonctionnaires de police, il n'est pas utilement contesté qu'il a été proposé, à titre dérogatoire, aux époux A...de les muter en Martinique et ainsi de soustraire leur famille auxdites menaces ; qu'il n'est également pas utilement contesté que Mme A...qui a été psychologiquement très affectée par cette situation de danger à l'époque de son affectation à La Seyne-sur-Mer, et alors qu'elle avait retrouvé un équilibre et un état de santé lui permettant de reprendre le travail en Martinique, est désormais placée en congé de longue maladie pour une dépression réactionnelle depuis qu'elle a appris qu'il était question de son retour en métropole ; qu'il n'est de même pas contesté qu'un tel retour aurait des effets néfastes et un retentissement psychologique important sur les enfants du couple qui avaient été très affectés par la fin de leur séjour en métropole ; qu'ainsi, et dans les circonstances très particulière de l'espèce, les époux A...sont fondés à soutenir que leur situation présentait un caractère exceptionnel, justifiant, en application des dispositions précitées de l'article 1er de l'arrêté interministériel du 20 octobre 1995, qu'il puisse être dérogé en leur faveur à la durée de séjour maximal en Martinique ; que, dans ces conditions, les décisions attaquées sont entachées d'une seconde erreur de droit justifiant également leur annulation ;
Sur les conclusions à fin d'injonction présentées par les épouxA... :
5. Considérant que si le présent arrêt confirme la solution des premiers juges qui ont annulé les arrêtés du 4 janvier 2012 par lesquels le ministre de l'intérieur a muté M. et Mme A... à la circonscription publique de La Seyne-sur-Mer à compter du 1er août 2012 et enjoint au ministre de procéder au réexamen leur situation, le motif supplémentaire d'annulation, tiré de la prise en compte de circonstances exceptionnelles, sur lequel se fonde le présent arrêt, implique qu'il soit fait droit à leur demande d'injonction de réexamen de leur situation, en tenant compte de ce nouveau motif d'annulation ; que par conséquent, il est enjoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de la situation de M. et Mme A...dans le délai de
deux mois à compter de la notification du présent arrêt ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;
7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par les époux A...et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de la situation de M. et Mme A...dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à M. et Mme A...la somme de 2 000 (deux mille) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A..., à Mme B...A...et au ministre de l'intérieur.
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N° 14MA022295