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30/09/2016 | FRANCE | N°388538

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 30 septembre 2016, 388538


Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Basse-Terre d'annuler la décision par laquelle le préfet de la région Guadeloupe a rejeté sa demande du 10 janvier 2012 tendant à ce que le concours de la force publique lui soit octroyé pour faire exécuter les décisions par lesquelles le juge judiciaire a prononcé l'expulsion des occupants de la parcelle dont il est propriétaire sur le territoire de la commune de Sainte-Rose. Par un jugement n° 1200293 du 9 décembre 2014, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un pourvoi somma

ire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 9...

Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Basse-Terre d'annuler la décision par laquelle le préfet de la région Guadeloupe a rejeté sa demande du 10 janvier 2012 tendant à ce que le concours de la force publique lui soit octroyé pour faire exécuter les décisions par lesquelles le juge judiciaire a prononcé l'expulsion des occupants de la parcelle dont il est propriétaire sur le territoire de la commune de Sainte-Rose. Par un jugement n° 1200293 du 9 décembre 2014, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 9 mars 2015, 8 juin 2015 et le 6 septembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Charles Touboul, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. B...;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un jugement du 6 janvier 1994, le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre a ordonné l'expulsion des occupants de la parcelle située sur le territoire de la commune de Sainte-Rose (Guadeloupe) appartenant à M.B... ; que la cour d'appel de Basse-Terre, saisie par les occupants, a rejeté l'appel formé contre ce jugement par un arrêt du 13 janvier 1997 devenu définitif ; que M. B...a demandé le 16 décembre 2003 au préfet de la Guadeloupe de lui accorder le concours de la force publique pour faire exécuter ces décisions ; que le préfet de la Guadeloupe a rejeté sa demande ; que M. B...a adressé au préfet le 10 janvier 2012 une nouvelle demande de concours de la force publique ; qu'il se pourvoit en cassation contre le jugement du 9 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Basse-Terre a refusé d'annuler pour excès de pouvoir le refus opposé par le préfet à cette seconde demande ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) " ; qu'aux termes de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international (...) " ; qu'aux termes de l'article 16 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, applicable au litige, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution : " L'Etat est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l'Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation " ;

3. Considérant qu'il résulte de ces textes que le représentant de l'Etat, saisi d'une demande en ce sens, doit prêter le concours de la force publique en vue de l'exécution des décisions de justice ayant force exécutoire ; que seules des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public, ou des circonstances postérieures à une décision de justice ordonnant l'expulsion d'occupants d'un local, faisant apparaître que l'exécution de cette décision serait de nature à porter atteinte à la dignité de la personne humaine, peuvent légalement justifier, sans qu'il soit porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, le refus de prêter le concours de la force publique ; que, dans le cas où, à la suite d'un premier refus de concours de la force publique, la décision de justice demeure inexécutée pendant une durée manifestement excessive au regard des droits et intérêts en cause, il incombe au représentant de l'Etat, alors même que des considérations impérieuses justifieraient toujours un refus de concours de la force publique, de rechercher toute mesure de nature à permettre de mettre fin à l'occupation illicite des lieux ; que, s'il est alors saisi d'une demande d'annulation pour excès de pouvoir d'un nouveau refus de concours de la force publique, il appartient au juge administratif d'analyser les conclusions dont il est saisi comme dirigées non seulement contre ce refus, mais aussi, subsidiairement, contre le refus d'accomplir des diligences appropriées pour mettre en oeuvre l'obligation définie ci-dessus ; qu'il lui appartient, par suite, de se prononcer sur la légalité du nouveau refus de concours, mais aussi, dans l'hypothèse où il juge que ce refus est légalement justifié, sur les diligences accomplies par le représentant de l'Etat ; que, dans cette dernière hypothèse, s'il annule la décision en tant qu'elle refuse d'accomplir des diligences appropriées, il peut, saisi de conclusions en ce sens, enjoindre au représentant de l'Etat, le cas échéant sous astreinte, d'accomplir de telles diligences, dans un délai qu'il fixe ;

4. Considérant que le tribunal administratif de Basse-Terre a retenu que les personnes occupant la propriété de M. B...étaient " constituées en collectif ", qu'une enquête diligentée par la gendarmerie locale le 8 novembre 2007 avait conclu à l'existence d'un risque de trouble à l'ordre public et que le requérant produisait des pièces faisant état d'insultes et de menaces dirigées par les occupants contre lui et les tiers l'accompagnant ; qu'en jugeant que ces seuls éléments, faiblement circonstanciés et pour partie anciens, permettaient de regarder comme établie l'existence de considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public justifiant légalement la décision de refus opposée par le préfet de la Guadeloupe, le tribunal a inexactement qualifié les faits de l'espèce ; qu'il a, au surplus, commis une erreur de droit en s'abstenant, après avoir refusé d'annuler cette décision, de se prononcer sur les diligences accomplies par le préfet de la Guadeloupe pour mettre fin à l'occupation illicite des lieux ; qu'il y a lieu, par suite, d'annuler son jugement ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du 9 décembre 2014 du tribunal administratif de Basse-Terre est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de la Guadeloupe.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à M. B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Guadeloupe.


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 388538
Date de la décision : 30/09/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 sep. 2016, n° 388538
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Charles Touboul
Rapporteur public ?: M. Nicolas Polge
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 18/10/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:388538.20160930
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