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27/06/2016 | FRANCE | N°385087

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 27 juin 2016, 385087


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 octobre 2014, 31 décembre 2014 et 23 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union départementale CFDT de la Moselle demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social du 15 juillet 2014 portant extension de l'accord collectif territorial (Bas-Rhin, Haut-Rhin, Moselle) du 6 janvier 2014 relatif aux contreparties accordées aux salariés dans le

cadre des dérogations dominicales dans le secteur du commerce, en tant qu'...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 octobre 2014, 31 décembre 2014 et 23 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union départementale CFDT de la Moselle demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social du 15 juillet 2014 portant extension de l'accord collectif territorial (Bas-Rhin, Haut-Rhin, Moselle) du 6 janvier 2014 relatif aux contreparties accordées aux salariés dans le cadre des dérogations dominicales dans le secteur du commerce, en tant qu'il a exclu la Moselle de l'extension prononcée ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler cet arrêté dans son entier ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Florence Marguerite, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de l'Union départementale CFDT de la Moselle ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2261-15 du code du travail : " Les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel, répondant aux conditions particulières déterminées par la sous-section 2, peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2261-25 du même code : " Le ministre chargé du travail peut exclure de l'extension, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective, les clauses qui seraient en contradiction avec des dispositions légales ".

2. Par un arrêté du 15 juillet 2014 pris sur le fondement de ces dispositions, le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social a prononcé l'extension de l'accord collectif territorial (Bas-Rhin, Haut-Rhin, Moselle) du 6 janvier 2014 relatif aux contreparties accordées aux salariés dans le cadre des dérogations dominicales dans le secteur du commerce, en excluant de cette extension, d'une part, le département de la Moselle et, d'autre part, la clause de cet accord prévoyant la participation de l'administration du travail à la commission de suivi et d'interprétation qu'il instaurait. L'Union départementale CFDT de la Moselle demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté, à titre principal, en tant qu'il comporte ces deux exclusions et, à titre subsidiaire, dans son entier.

Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué :

3. Il ressort des pièces du dossier que, conformément aux dispositions de l'article D. 2261-3 du code du travail, l'arrêté attaqué a été précédé de la publication, au Journal officiel de la République française du 17 mai 2014, d'un avis invitant les organisations et les personnes intéressées à faire connaître leurs observations sur l'extension envisagée de l'accord collectif territorial du 6 janvier 2014 relatif aux contreparties accordées aux salariés dans le cadre des dérogations dominicales dans le secteur du commerce. La sous-commission des conventions et accords de la Commission nationale de la négociation collective, compétente en vertu des dispositions combinées des articles L. 2271-1 et R. 2272-10 du code du travail, a ensuite rendu un avis le 23 juin 2014, avant que le ministre ne procède, par l'arrêté attaqué du 15 juillet 2014, à l'extension de l'accord.

4. D'une part, aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit que les réserves que le ministre se propose d'apporter à l'extension d'un accord collectif soient mentionnées dans l'avis publié au Journal officiel pour permettre aux organisations et personnes intéressées de faire connaître leurs observations. Eu égard à la procédure prévue pour l'extension d'un accord collectif, il incombe seulement au ministre de soumettre les réserves qu'il envisage à l'avis de la Commission nationale de la négociation collective, dont sont membres les représentants des organisations syndicales représentatives au niveau national. Il suit de là que la circonstance que l'avis publié le 17 juin 2014 n'indiquait pas les réserves dont le ministre a, par la suite, assorti l'extension de l'accord du 6 janvier 2014 n'est pas de nature à entacher d'irrégularité la procédure suivie.

5. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que la sous-commission des conventions et accords de la Commission nationale de la négociation collective s'est prononcée au vu d'un rapport du ministre chargé du travail mentionnant les réserves dont le ministre entendait assortir l'extension et les motifs pour lesquels elles étaient envisagées et que son avis, rendu lors de sa séance du 23 juin 2014, comporte l'exposé de considérations relatives au champ d'application territorial de l'accord. Par suite, l'union requérante n'est pas fondée à soutenir que les membres de la commission n'auraient pu utilement se prononcer et que l'avis rendu serait insuffisamment motivé en ce qui concerne l'exclusion de la Moselle de l'extension prononcée, en méconnaissance de l'article L. 2261-15 du code du travail.

Sur la légalité interne de l'arrêté attaqué :

En ce qui concerne le champ d'application territorial de l'extension prononcée :

6. En premier lieu, aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 2261-19 du même code : " Pour pouvoir être étendus, la convention de branche ou l'accord professionnel ou interprofessionnel, leurs avenants ou annexes, doivent avoir été négociés et conclus en commission paritaire. / Cette commission est composée de représentants des organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives dans le champ d'application considéré ". Il résulte de ces dispositions que les accords professionnels ou interprofessionnels ne peuvent légalement faire l'objet d'un arrêté d'extension que s'ils ont été négociés et signés par les organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives dans leur champ d'application ou, sous réserve du respect de la procédure prévue par l'article L. 2261-27, par certaines d'entre elles.

7. Il ressort des pièces du dossier qu'aucune organisation syndicale d'employeurs représentative des employeurs du département de la Moselle n'a négocié, ni conclu l'accord objet de l'extension. En particulier, la circonstance que les organisations patronales d'Alsace signataires de l'accord étaient affiliées à une organisation représentative au niveau national n'avait pas pour effet de rendre ces organisation représentatives des employeurs du département de la Moselle. Par suite, le ministre chargé du travail était tenu de refuser d'étendre au département de la Moselle l'accord du 6 janvier 2014. Dès lors, l'union requérante ne peut utilement soutenir qu'il aurait porté atteinte à un objectif de généralisation de la couverture conventionnelle à l'ensemble des salariés.

8. En second lieu, d'une part, la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 a consacré le principe selon lequel, tant qu'elles n'ont pas été remplacées par les dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles, des dispositions législatives et réglementaires particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle peuvent demeurer en vigueur. A défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit commun, ces dispositions particulières ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et que leur champ d'application n'est pas élargi. Ce principe n'impose nullement par lui-même, contrairement à ce qui est soutenu par l'union requérante, que des règles de droit identiques soient applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Par ailleurs, ce principe n'est pas méconnu par l'arrêté attaqué, qui n'a pour effet ni d'accroître les différences de traitement, par rapport au droit commun, résultant du droit local, ni d'élargir le champ d'application de dispositions spécifiques à tout ou partie de ces trois départements.

9. D'autre part, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. En l'espèce, la différence faite par l'arrêté attaquée entre départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin et département de la Moselle est en rapport direct avec la circonstance qu'aucune organisation syndicale représentative des employeurs du département de la Moselle n'a négocié, ni conclu l'accord du 6 janvier 2014 pour le département de la Moselle et n'est pas manifestement disproportionnée au regard de cette différence de situation et de l'intérêt s'attachant à l'extension de l'accord dans le champ géographique pour lequel elle pouvait être légalement envisagée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit être également écarté.

10. Il résulte de ce qui précède que l'union requérante n'est fondée à soutenir ni que le ministre aurait illégalement exclu le département de la Moselle de l'extension prononcée, ni qu'il ne pouvait légalement prendre un arrêté étendant l'accord du 6 janvier 2014 dans les seuls départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

En ce qui concerne l'exclusion de la clause relative à la participation de l'administration du travail à la commission de suivi et d'interprétation instaurée par l'accord :

11. Il résulte des articles L. 2221-1 et L. 2221-2 du code du travail que les conventions et accords collectifs ont vocation à déterminer les conditions d'emploi, de formation professionnelle et de travail ainsi que les garanties sociales des salariés. Si l'article L. 2232-4 du même code prévoit que les accords interprofessionnels instituent des commissions paritaires d'interprétation, il ne résulte ni de ces dispositions, ni d'aucune autre que les signataires de tels accords auraient compétence pour prescrire la participation de membres de l'administration du travail à ces commissions. Or il résulte clairement de l'article 6 de l'accord du 6 janvier 2014 que celui-ci prévoit la mise en place d'une commission de suivi et d'interprétation composée des organisations signataires " avec la participation de l'administration du travail ". Dès lors, le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social ne s'est pas mépris sur la portée de cette clause en l'excluant de l'extension qu'il prononçait.

12. Il résulte de tout ce qui précède que l'Union départementale CFDT de la Moselle n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 15 juillet 2014.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

13. L'Etat n'étant pas, dans la présente instance, la partie perdante, les conclusions de l'Union départementale CFDT de la Moselle tendant à ce qu'une somme soit mise à sa charge au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de l'Union départementale CFDT de la Moselle est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union départementale CFDT de la Moselle et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Copie en sera adressée à la confédération générale des petites et moyennes entreprises d'Alsace, au mouvement des entreprises de France Alsace, à l'union professionnelle artisanale d'Alsace, à la CFDT Alsace, à la CFDT Moselle, à la CFTC Alsace, à la CFTC Moselle, à la CGT Alsace et à la CGT-FO Alsace.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 385087
Date de la décision : 27/06/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 27 jui. 2016, n° 385087
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Florence Marguerite
Rapporteur public ?: M. Jean Lessi
Avocat(s) : SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:385087.20160627
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