Vu la procédure suivante :
La société Les Trois Coteaux a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner la commune de Longueville à lui verser la somme de 213 600 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de la décision du 18 décembre 2007 par laquelle le maire de Longueville a refusé de lui délivrer le permis de construire qu'elle sollicitait en vue de l'édification de trois bâtiments à usage d'habitation.
Par un jugement n° 0902666 du 10 juin 2011, le tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 11NT02135 du 14 juin 2013, la cour administrative d'appel de Nantes, saisie en appel par la société Les Trois Coteaux, d'une part, a annulé ce jugement, d'autre part, a condamné la commune à verser à la société Les Trois Coteaux la somme de 209 900 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 1er septembre 2009.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 14 août et 31 octobre 2013 et le 15 mars 2016, la commune de Longueville demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge de la société Les Trois Coteaux la somme de 4 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que la contribution pour l'aide juridique.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Guillaume Déderen, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Longueville et à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la société Les Trois Coteaux ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Les Trois Coteaux a conclu le 18 juin 2007 un compromis de vente en vue de l'acquisition d'un terrain situé sur le territoire de la commune de Longueville, afin d'y réaliser un ensemble immobilier ; que ce compromis prévoyait une condition suspensive tenant à l'obtention d'un permis de construire sur ce terrain, dont il était précisé qu'elle était stipulée " au seul profit de l'acquéreur, lequel pourra toujours y renoncer " ; que, par un arrêté du 18 décembre 2007, le maire de Longueville a refusé de délivrer à la société Les Trois Coteaux un permis de construire portant sur la réalisation de trois bâtiments d'habitation ; que, par un jugement du 23 avril 2009 devenu définitif, le tribunal administratif de Caen a, à la demande de la société, annulé pour excès de pouvoir cet arrêté ; que la société a renoncé à l'acquisition du terrain et à la réalisation de ce projet ; que, par un jugement du 10 juin 2011, le tribunal administratif de Caen a rejeté les conclusions indemnitaires de la société tendant à la réparation du préjudice qu'elle soutient avoir subi du fait de cette illégalité, au titre des honoraires d'architecte et du manque à gagner ; que par un arrêt du 14 juin 2013, contre lequel la commune de Longueville se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé ce jugement et a condamné la commune de Longueville à verser à la société Les Trois Coteaux la somme de 209 900 euros ;
2. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des énonciations non contestées de l'arrêt attaqué qu'en refusant de délivrer à la société Les Trois Coteaux le permis de construire qu'elle sollicitait, le maire de Longueville a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune ; que la cour a retenu que l'illégalité de ce refus de permis de construire présentait un lien de causalité direct avec les préjudices dont la société Les Trois Coteaux demandait réparation résultant de ce qu'elle n'avait pu mettre en oeuvre son projet immobilier, et a estimé que, contrairement à ce qu'avait jugé le tribunal administratif de Caen, ces préjudices ne sauraient être regardés comme imputables à une prétendue faute commise par la société tenant à ce qu'elle n'avait pas renoncé à la condition suspensive susmentionnée d'obtention du permis de construire ; qu'eu égard à l'objet de la clause suspensive stipulée dans le compromis de vente au profit de l'acquéreur, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ou d'erreur de qualification juridique en écartant l'existence d'une imprudence de la part de la société, de nature à exonérer en tout ou partie la commune de sa responsabilité, pour n'avoir pas spontanément renoncé au bénéfice de cette clause ; qu'en en déduisant, compte tenu de ce que le refus de permis litigieux avait empêché la société de réaliser son projet immobilier, qu'il existait un lien de causalité directe entre les préjudices invoqués et la faute commise par la commune, la cour n'a pas entaché son arrêt, qui est sur ce point suffisamment motivé et est exempt de toute dénaturation, d'une erreur de qualification juridique ;
3. Considérant, en second lieu, que l'ouverture du droit à indemnisation est subordonnée au caractère direct et certain des préjudices invoqués ; que la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d'un refus illégal de permis de construire revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation ; qu'il en va toutefois autrement si le requérant justifie de circonstances particulières, tels que des engagements souscrits par de futurs acquéreurs ou l'état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l'espèce, un caractère direct et certain ; qu'il est fondé, si tel est le cas, à obtenir réparation au titre du bénéfice qu'il pouvait raisonnablement attendre de cette opération ; que, par suite, en se bornant, pour accorder une somme de 180 000 euros de ce chef, à faire référence aux conclusions d'un rapport d'expert évaluant à ce montant le préjudice subi, par comparaison avec une opération présentant des caractéristiques similaires et réalisée, à la même époque, dans une commune voisine, sans rechercher si les circonstances particulières de l'espèce permettaient de faire regarder ce préjudice comme ayant un caractère direct et certain, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune de Longueville est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, en tant qu'il statue sur le préjudice indemnisable au titre du manque à gagner ;
5. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Longueville qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Les Trois Coteaux une somme globale de 2 000 euros qui sera versée à la commune de Longueville au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de celles de l'article R. 761-1 du même code relatives au remboursement de la contribution pour l'aide juridique ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 14 juin 2013 est annulé en tant qu'il statue sur le préjudice indemnisable au titre du manque à gagner.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la limite de la cassation ainsi prononcée, à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : La société Les Trois Coteaux versera une somme de 2 000 euros à la commune de Longueville au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de celles de l'article R. 761-1 du même code relatives au remboursement de la contribution pour l'aide juridique.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la commune est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de Longueville et à la société Les Trois Coteaux.