Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 novembre 2014, 10 février 2015 et 3 décembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union régionale interprofessionnelle CFDT Alsace, l'Union départementale CGT du Haut-Rhin, l'Union départementale CGT du Bas-Rhin et l'Union régionale Alsace de l'Union nationale des syndicats autonomes demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-1025 du 8 septembre 2014 relatif aux garanties d'assurance complémentaire santé des salariés mises en place en application de l'article L. 911-7 du code de la sécurité sociale en tant qu'il ne comporte aucune disposition fixant les conditions d'adaptation dont doit faire l'objet la couverture des salariés relevant du régime local d'assurance maladie complémentaire des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler pour excès de pouvoir le décret attaqué dans son entier ;
3°) d'enjoindre au Premier ministre de compléter le décret litigieux en prenant les dispositions d'adaptation dont doit faire l'objet la couverture des salariés relevant du régime local d'assurance maladie complémentaire des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle et de prendre les dispositions transitoires de nature à différer dans le temps l'entrée en vigueur du décret jusqu'à l'édiction des dispositions d'adaptation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Florence Marguerite, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de l'Union régionale interprofessionnelle CFDT Alsace, de l'Union départementale CGT du Haut-Rhin, de l'Union départementale CGT du Bas-Rhin et de l'Union régionale Alsace de l'Union nationale des syndicats autonomes ;
1. Considérant que l'Union régionale CFTC d'Alsace et l'Union régionale d'Alsace CFE-CGC justifient d'un intérêt suffisant à l'annulation du décret attaqué ; qu'ainsi, leur intervention est recevable ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-7 du code de la sécurité sociale, issu de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, dans sa rédaction applicable à la date du décret attaqué : " I. - Les entreprises dont les salariés ne bénéficient pas d'une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de remboursements complémentaires de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident déterminée selon l'une des modalités mentionnées à l'article L. 911-1 dont chacune des catégories de garanties et la part du financement assurée par l'employeur sont au moins aussi favorables que celles mentionnées au II du présent article sont tenues de faire bénéficier leurs salariés de cette couverture minimale par décision unilatérale de l'employeur, dans le respect de l'article 11 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques. Les salariés concernés sont informés de cette décision. / II. - La couverture minimale mentionnée au I comprend la prise en charge totale ou partielle des dépenses suivantes : / 1° La participation de l'assuré aux tarifs servant de base au calcul des prestations des organismes de sécurité sociale, prévue au I de l'article L. 322-2 pour les prestations couvertes par les régimes obligatoires ; / 2° Le forfait journalier prévu à l'article L. 174-4 ; / 3° Les frais exposés, en sus des tarifs de responsabilité, pour les soins dentaires prothétiques ou d'orthopédie dentofaciale et pour certains dispositifs médicaux à usage individuel admis au remboursement. / Un décret détermine le niveau de prise en charge de ces dépenses ainsi que la liste des dispositifs médicaux mentionnés au 3° entrant dans le champ de cette couverture. (...) Il précise les adaptations dont fait l'objet la couverture des salariés relevant du régime local d'assurance maladie complémentaire des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle défini à l'article L. 325-1, en raison de la couverture garantie par ce régime. (...) / L'employeur assure au minimum la moitié du financement de cette couverture. (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 14 juin 2013, que le législateur a entendu permettre au Gouvernement d'adapter la couverture collective complémentaire obligatoire des dépenses de santé devant être instituée au profit des salariés des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle pour tenir compte de l'existence, dans ces départements, du régime local d'assurance maladie complémentaire obligatoire défini à l'article L. 325-1 du code de la sécurité sociale couvrant déjà une partie des garanties devant être mises en place ; que, si le décret attaqué fixe le niveau de prise en charge des dépenses de santé concernées par la couverture collective complémentaire obligatoire des dépenses de santé, il n'édicte expressément aucune disposition d'adaptation de cette couverture pour les salariés relevant du régime local d'assurance maladie complémentaire des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ; que l'union requérante en conteste la légalité dans cette mesure ;
3. Considérant, en premier lieu, que l'article L. 911-7 du code de la sécurité sociale renvoie à un décret simple l'adoption des mesures réglementaires qu'il prévoit ; qu'aucune autre disposition n'impose l'adoption de ces mesures par décret en Conseil d'Etat ; que, dès lors, les organisations syndicales requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le Conseil d'Etat aurait dû être consulté préalablement à l'édiction du décret attaqué ;
4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article D. 325-4 du code de la sécurité sociale, le conseil d'administration du régime local d'assurance maladie du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, notamment, " 4° Détermine la liste des prestations prises en charge par le régime ainsi que leurs taux de remboursement conformément aux dispositions prévues aux articles D. 325-6 et D. 325-7 ; / 5° Fixe les taux des cotisations mentionnées aux premier et second alinéas de l'article L. 242-13 dans la limite d'une fourchette de 0,75 p. 100 à 2,5 p. 100 ; / (...) 10° Prend les mesures nécessaires pour assurer l'équilibre financier du régime dans les conditions fixées à l'article D. 325-12 " et se prononce, en vertu du 11° du même article, " sur les projets de loi et de règlement intéressant les matières de sa compétence " ; que le décret attaqué, ainsi qu'il est dit ci-dessus, est relatif à la seule couverture collective complémentaire obligatoire des dépenses de santé ; que ses dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet d'apporter une quelconque modification aux prestations ou aux cotisations du régime local et ne sont, ainsi, pas susceptible d'avoir une incidence sur l'équilibre financier de ce régime ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le Premier ministre aurait dû consulter le conseil d'administration du régime local en application de l'article D. 325-4 du même code doit être écarté ;
5. Considérant, en troisième lieu, que si le pouvoir réglementaire a fait le choix, comme il le pouvait, de ne pas prendre de dispositions expresses d'adaptation de la couverture collective complémentaire obligatoire des dépenses de santé à la situation des salariés relevant du régime local d'assurance maladie complémentaire des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, il découle néanmoins de la combinaison des dispositions des article L. 911-7 et L. 325-1 du code de la sécurité sociale que la prise en charge par l'assurance collective complémentaire obligatoire des dépenses de santé des salariés de ces trois départements, du fait du caractère différentiel de cette couverture, ne concerne que le seul reliquat des prestations qui ne sont pas déjà couvertes par les régimes obligatoires légaux, dont le régime légal complémentaire applicable localement ; qu'il en résulte que le niveau des prestations minimales que doit garantir l'assurance collective complémentaire obligatoire des dépenses de santé est implicitement mais nécessairement adapté à la situation spécifique des salariés relevant du régime local d'assurance maladie complémentaire, par la prise en charge du seul reliquat des prestations non couvertes par les régimes légaux dont ce régime local ; qu'il suit de là que les organisations syndicales requérantes ne sont fondées à soutenir ni que le Premier ministre aurait méconnu l'étendue de sa compétence en s'abstenant de prévoir d'autres modalités d'adaptation de la couverture collective complémentaire obligatoire des dépenses de santé pour ce qui concerne les salariés des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et la Moselle, ni que le décret attaqué méconnaîtrait l'article 1er de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, ni qu'il serait entaché d'erreur de droit faute de comporter des dispositions transitoires retardant l'entrée en vigueur du dispositif jusqu'à l'édiction de ces dispositions d'adaptation ;
6. Considérant, en quatrième lieu, que la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 a consacré le principe selon lequel, tant qu'elles n'ont pas été remplacées par les dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles, des dispositions législatives et réglementaires particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle peuvent demeurer en vigueur ; qu'à défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit commun, ces dispositions particulières ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et que leur champ d'application n'est pas élargi ; que le décret attaqué, qui vise, en application de l'article L. 911-7 du code de la sécurité sociale, à garantir une couverture complémentaire obligatoire des dépenses de santé de niveau globalement identique pour l'ensemble des salariés français, n'a pas, par lui-même, accru les différences de traitement existant entre les salariés des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle et ceux des autres départements, ni élargi le champ d'application des dispositions spécifiques applicables aux salariés de ces trois départements ; que si les requérants soutiennent, en outre, que méconnaîtrait le principe rappelé ci-dessus le maintien, dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, d'un financement intégral du régime local par les assurés sociaux, alors que la couverture collective obligatoire prévue par l'article L. 911-7 du code de la sécurité sociale, qui se borne à le compléter dans ces mêmes départements tandis qu'elle constitue la totalité de la couverture complémentaire obligatoire des dépenses de santé dans les autres départements, est financée pour au moins 50 % par l'employeur, un tel moyen ne peut qu'être écarté dès lors que l'ajout au régime local d'une couverture collective complémentaire obligatoire des dépenses de santé partiellement financée par les employeurs conduit dorénavant à ce que ces derniers contribuent au financement de la couverture complémentaire, prise globalement, ce qui a, à l'inverse de ce qui est soutenu, pour effet de réduire le caractère spécifique du traitement réservé à ces salariés ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les conclusions d'annulation des organisations syndicales requérantes dirigées contre le décret du 8 septembre 2014 relatif aux garanties d'assurance complémentaire santé des salariés mises en place en application de l'article L. 911-7 du code de la sécurité sociale doivent être rejetées ; que, par voie de conséquence, leurs conclusions aux fins d'injonction et tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être également rejetées ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de l'Union régionale CFTC d'Alsace et de l'Union régionale d'Alsace CFE-CGC est admise.
Article 2 : La requête de l'Union régionale interprofessionnelle CFDT Alsace, de l'Union départementale CGT du Haut-Rhin, de l'Union départementale CGT du Bas-Rhin et de l'Union régionale Alsace de l'UNSA est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Union régionale interprofessionnelle CFDT Alsace, premier requérant dénommé, à l'Union régionale CFTC d'Alsace, à l'Union régionale d'Alsace CFE-CGC, au Premier ministre et à la ministre des affaires sociales et de la santé.
Les autres requérants seront informés de la présente décision par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d'Etat.