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12/02/2016 | FRANCE | N°393700

France | France, Conseil d'État, 5ème - 4ème ssr, 12 février 2016, 393700


Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler les arrêtés du 6 novembre 2012 du préfet de la Manche refusant de lui délivrer l'autorisation d'exploiter des terres situées sur la commune de Gouvets et autorisant Mme C...à exploiter ces mêmes terres, ensemble la décision du 24 janvier 2013 du préfet de la Manche rejetant son recours gracieux. Par un jugement n° 1300508 du 17 octobre 2013, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n°13NT03264 QPC et par un arrêt n°13NT03264 du 23 juillet 20

15, la cour administrative d'appel de Nantes a, d'une part, refusé de trans...

Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler les arrêtés du 6 novembre 2012 du préfet de la Manche refusant de lui délivrer l'autorisation d'exploiter des terres situées sur la commune de Gouvets et autorisant Mme C...à exploiter ces mêmes terres, ensemble la décision du 24 janvier 2013 du préfet de la Manche rejetant son recours gracieux. Par un jugement n° 1300508 du 17 octobre 2013, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n°13NT03264 QPC et par un arrêt n°13NT03264 du 23 juillet 2015, la cour administrative d'appel de Nantes a, d'une part, refusé de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.A..., relative à l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction résultant de la loi n °2006-11 du 5 janvier 2006 d'orientation agricole, et, d'autre part, a rejeté l'appel formé par M. A...contre le jugement du 17 octobre 2013.

Par un pourvoi sommaire, enregistré le 23 septembre 2015, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de Mme C...et de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code rural et de la pêche maritime, notamment son article L. 331-3 ;

-le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Gautier-Melleray, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de M.A... ;

1. Considérant que les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 prévoient que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux ; que M. A...a, devant la cour administrative d'appel de Nantes, soulevé une question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d'orientation agricole ; qu'il se pourvoit contre l'ordonnance du 1er juin 2015 par laquelle le président de la troisième chambre de la cour administrative d'appel de Nantes a refusé de transmettre cette question au Conseil d'Etat au motif qu'elle ne présentait pas un caractère sérieux ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 771-5 du code de justice administrative : " Sauf s'il apparaît de façon certaine, au vu du mémoire distinct, qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité, notification de ce mémoire est faite aux autres parties. Il leur est imparti un bref délai pour présenter leurs observations " ; que s'il ne résulte pas de cette disposition que les observations formulées par les autres parties au litige doivent à peine d'irrégularité être communiquées à la partie qui a soulevé la question prioritaire de constitutionnalité, le principe du caractère contradictoire de la procédure interdit au juge administratif de se fonder sur des éléments invoqués par une partie et qui n'auraient pas été soumis au débat contradictoire ;

3. Considérant qu'il ressort des motifs de l'ordonnance attaquée que, pour refuser de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat, son auteur s'est fondé sur des éléments invoqués par le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt dans des observations qu'il avait produites en réponse au mémoire de M. A...soulevant cette question ; qu'il résulte des pièces du dossier soumis au juge d'appel que ces observations n'ont été transmises à M. A...qu'après la lecture de l'ordonnance ; que, dans ces conditions, cette ordonnance est entachée d'irrégularité et doit être annulée ;

4. Considérant qu'il y a lieu d'examiner la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant la cour administrative d'appel de Nantes ;

5. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d'Etat à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

6. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d'orientation agricole : " L'autorité administrative se prononce sur la demande d'autorisation en se conformant aux orientations définies par le schéma directeur départemental des structures agricoles applicable dans le département dans lequel se situe le fonds faisant l'objet de la demande. Elle doit notamment : 1° Observer l'ordre des priorités établi par le schéma départemental entre l'installation des jeunes agriculteurs et l'agrandissement des exploitations agricoles, en tenant compte de l'intérêt économique et social du maintien de l'autonomie de l'exploitation faisant l'objet de la demande (...) " ; qu'en vertu de ces dispositions le préfet, saisi de demandes concurrentes d'autorisation d'exploiter portant sur les mêmes terres, est tenu, pour statuer sur ces demandes, de respecter l'ordre des priorités établi par le schéma directeur départemental des structures agricoles ;

7. Considérant que le principe d'égalité garanti par l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; que l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime cité ci-dessus définit comme prioritaires l'installation des jeunes agriculteurs et l'agrandissement des exploitations agricoles, en renvoyant aux schémas directeurs départementaux le soin d'établir un ordre entre ces priorités dans chaque département ; que contrairement à ce qui est allégué, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet d'instaurer une priorité systématique et sans restriction en faveur de l'installation des jeunes agriculteurs ; qu'au demeurant l'installation de ces derniers, ainsi que l'agrandissement des exploitations existantes, répondent à des considérations d'intérêt général de nature à justifier qu'elles priment sur les autres motifs de demande d'autorisation ; que, dans ces conditions, l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime ne porte pas atteinte au principe d'égalité ;

8. Considérant qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, des limitations justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ; que si le droit de priorité que le schéma départemental doit, en application de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime, accorder soit aux jeunes agriculteurs désireux de s'installer, soit aux exploitants souhaitant s'agrandir est susceptible de porter atteinte à la liberté d'entreprendre des exploitants qui ne répondent pas au critère ainsi retenu, cette atteinte est, comme indiqué plus haut, justifiée par un objectif d'intérêt général et n'est pas disproportionnée au regard de cet objectif ;

9. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, " La loi fixe les règles concernant : (...) les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques " ; que si l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime renvoie au schéma directeur départemental le soin de définir des orientations pour l'application des dispositions sur le contrôle de structures agricoles, il fixe lui-même les différents critères devant guider l'appréciation portées par l'autorité administrative sur les demandes d'autorisation d'exploitation ; qu'en outre, le législateur a déterminé les modalités d'établissement des schémas directeurs départementaux à l'article L. 312-1 du même code ; que dans ces conditions, le législateur n'a pas méconnu sa compétence en renvoyant au pouvoir règlementaire le soin de déterminer l'ordre des priorités entre installation de jeunes agriculteurs et agrandissement des exploitations existantes ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'article L.331-3 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d'orientation agricole porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du 1er juin 2015 du président de la troisième chambre de la cour administrative d'appel de Nantes est annulée.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.A....

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B...A..., au Premier ministre et au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à MmeC....


Synthèse
Formation : 5ème - 4ème ssr
Numéro d'arrêt : 393700
Date de la décision : 12/02/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

54-10 Procédure.


Publications
Proposition de citation : CE, 12 fév. 2016, n° 393700
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Gautier-Melleray
Rapporteur public ?: M. Nicolas Polge
Avocat(s) : SCP DIDIER, PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 04/10/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:393700.20160212
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