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30/12/2015 | FRANCE | N°389601

France | France, Conseil d'État, 6ème - 1ère ssr, 30 décembre 2015, 389601


Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 7 septembre 2011 par laquelle le conseil médical de l'aéronautique civile l'a déclaré inapte classe 1 et classe 2 ainsi que la décision en date du 8 février 2012 par laquelle cette même autorité l'a, de nouveau, déclaré inapte classe 1 et classe 2. Par un jugement n° 1120245, 206526 du 23 avril 2013, le tribunal administratif de Paris a annulé ces deux décisions.

Par un arrêt avant dire droit n° 13PA02442 du 1er juillet 2014, la cour

administrative d'appel de Paris a sursis à statuer sur le recours formé par l...

Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 7 septembre 2011 par laquelle le conseil médical de l'aéronautique civile l'a déclaré inapte classe 1 et classe 2 ainsi que la décision en date du 8 février 2012 par laquelle cette même autorité l'a, de nouveau, déclaré inapte classe 1 et classe 2. Par un jugement n° 1120245, 206526 du 23 avril 2013, le tribunal administratif de Paris a annulé ces deux décisions.

Par un arrêt avant dire droit n° 13PA02442 du 1er juillet 2014, la cour administrative d'appel de Paris a sursis à statuer sur le recours formé par le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie contre ce jugement et ordonné une expertise médicale de l'intéressé. Par un arrêt n° 13PA02442 du 16 février 2015, cette cour a, d'une part, rejeté le recours du ministre et, d'autre part, lui a enjoint de procéder à un nouvel examen de la demande de dérogation présentée par M. A...dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt.

Par un pourvoi et deux mémoires en réplique, enregistrés les 20 avril, 13 juillet et 3 décembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son recours ;

3°) de mettre à la charge de M. A...la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'aviation civile ;

- le code de la santé publique ;

- le code des transports ;

- la loi nº 78-753 du 17 juillet 1978 ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- l'arrêté du 2 décembre 1988 du ministre des transports et de la mer et du ministre de la défense ;

- l'arrêté du 27 janvier 2005 du ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer et du ministre de la défense ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyrille Beaufils, auditeur,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de M. A...;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'un incident de vol, M. B... A..., commandant de bord de la compagnie Air France, a été placé en " arrêt de vol " par sa hiérarchie ; qu'il a été déclaré inapte classe 1 (pilote professionnel) et classe 2 (pilote non professionnel) par une décision du 19 mai 2010 du médecin du service médical de la compagnie, puis par deux décisions des 21 mai et 25 juin 2010 du chef du centre d'expertise médicale aéronautique de Paris ; que l'intéressé a saisi le 18 mars 2011 le conseil médical de l'aéronautique civile d'une demande de dérogation aux conditions d'aptitude médicale sur le fondement des dispositions du 6 de l'article R. 424-2 du code de l'aviation civile, alors en vigueur ; que ce conseil a, par une première décision provisoire du 26 avril 2011, rejeté sa demande, en l'invitant à représenter son dossier après une expertise complète de classe 1 par le centre principal d'expertise médicale du personnel naviguant de l'hôpital d'instruction des armées Percy ; qu'au vu de cette expertise, le conseil médical de l'aéronautique civile l'a, par une décision en date du 7 septembre 2011, déclaré inapte classe 1 et classe 2 ; que, par une décision en date du 8 février 2012, le conseil médical de l'aéronautique civile, saisi sur le fondement des dispositions du a) de l'article 5 de l'article R. 424-2 du code de l'aviation civile d'un recours dirigé contre les décisions des 21 mai et 25 juin 2010 mentionnées ci-dessus, l'a rejeté ; que, par un jugement du 23 avril 2013, le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions des 7 septembre 2011 et 8 février 2012 du conseil médical de l'aéronautique civile ; que, saisi d'un recours du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie contre ce jugement, la cour administrative d'appel de Paris a, par un arrêt avant dire droit du 1er juillet 2014, prescrit une expertise ; que, par un arrêt du 16 février 2015, contre lequel le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté le recours du ministre et lui a enjoint de procéder à un nouvel examen de la demande de dérogation de M. A...dans un délai de deux mois à compter de sa décision ;

2. Considérant qu'il résulte des dispositions des articles L. 410-1 et L. 410-2 du code de l'aviation civile, dont la substance a été reprise aux articles L. 6511-1 et L. 6511-2 du code des transports, et de leurs dispositions réglementaires d'application, que les pilotes doivent satisfaire aux conditions d'aptitude physique et mentale exigées pour la conduite des aéronefs ; qu'il appartient aux centres d'expertise de médecine aéronautique ou aux médecins examinateurs agréés par l'autorité administrative d'attester ces conditions d'aptitude ; qu'en vertu des dispositions des a) du 5 et du 6 de l'article D. 424-2, alors en vigueur, du code de l'aviation civile, le conseil médical de l'aéronautique civile se prononce notamment sur les recours interjetés par les personnels navigants professionnels déclarés médicalement inaptes au titre de l'aéronautique civile par un centre d'expertise de médecine aéronautique ou par un médecin examinateur, et sur les demandes visant à obtenir une dérogation aux conditions d'aptitude médicale prévues par les règlements en vigueur présentées par les personnels navigants professionnels déclarés médicalement inaptes par un centre d'expertise de médecine aéronautique ou un médecin examinateur ; qu'un arrêté ministériel du 27 janvier 2005 définit les normes d'aptitude réglementaire des personnels navigants techniques professionnels de l'aéronautique civile ; qu'un autre arrêté ministériel du 2 décembre 1998 définit les normes d'aptitude réglementaire des personnels non professionnels de l'aéronautique civile ; qu'il résulte de ces dispositions combinées qu'il appartient au conseil médical de l'aéronautique civile de se prononcer sur l'aptitude physique et mentale des personnes chargées de la conduite des aéronefs en fonction des normes d'aptitude réglementairement définies, des risques pour la sécurité aérienne qu'est susceptible de présenter l'état de santé des intéressés et de son pouvoir d'appréciation sur les demandes de dérogation et les recours dont il est saisi ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article FCL 3.205 de l'annexe de l'arrêté du 27 janvier 2005 précité : " Le candidat ne doit pas avoir d'antécédents médicaux avérés, ni présenter de signes cliniques d'une quelconque maladie ou incapacité, état ou désordre psychiatriques, aigus ou chroniques, congénitaux ou acquis, susceptibles d'interférer sur l'exercice en toute sécurité des privilèges de la ou des licences concernées. (...) " ; qu'aux termes de l'article FCL 3.240 de l'annexe du même arrêté : " Le candidat ne doit pas présenter de déficiences psychologiques avérées (...) susceptibles d'interférer sur l'exercice en toute sécurité des privilèges de la ou des licences concernées. (...) " ; que l'annexe de l'arrêté du 2 décembre 1988 précité dispose : " Les normes suivantes constituent un niveau minimal dont le médecin examinateur doit apprécier chaque composante au regard de son incidence sur les conditions de sécurité dans lesquelles le navigant doit exercer ses fonctions (...) / 2.1.1. Affections neurologiques et mentales / M. - Le médecin porte une attention particulière à la recherche d'antécédents médicaux et de signes cliniques d'affections neurologiques ou mentales. (...) / 2.1.1.2. Affections mentales / Le candidat ne doit présenter ni antécédents médicaux ni manifestations cliniques d'une des affections mentales suivantes : / - psychose ; / - névrose caractérisée et constituée ; / - troubles de la personnalité pouvant causer des désordres des actes ou des troubles des conduites ou des attitudes et réactions sociopathiques nettement établies ; / - état déficitaire ; / - manifestations psychosomatiques importantes et habituelles (...) " ;

4. Considérant que, pour juger que M. A...ne remplissait pas les conditions pour être déclaré inapte en classe 1 ou 2, la cour s'est essentiellement fondée sur la circonstance que le rapport de l'expert, désigné par ses soins, estimait que les traits de la personnalité de M. A... ne répondaient pas aux troubles de la personnalité interdisant l'aptitude en classe 2 ou en classe 1 ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond et des mentions mêmes de l'arrêt de la cour que l'expert ainsi désigné soulignait dans son rapport une vulnérabilité psychique, caractérisée notamment par un manque de sérénité, une psychorigidité, des difficultés d'adaptation, une tendance constante à l'interprétation et une " hypertrophie du moi " ; qu'en outre, tant le médecin du service médical, faisant état de la perte de confiance du chef de division concernant la sécurité des vols à la suite d'un incident survenu lors d'un vol Rio-Paris d'Air France effectué en avril 2010, au cours duquel il avait fait part aux membres de l'équipage de sa théorie, reposant sur une approche paranormale, concernant la disparition du vol Rio-Paris survenu le 1er juin 2009, que le médecin chef de centre d'Air France ont déclaré l'intéressé médicalement inapte ; que le rapport d'expertise du chef du service médical de psychologie clinique appliquée à l'aéronautique de l'hôpital d'instruction des armées Percy souligne un contexte psychopathologique s'inscrivant dans la durée, un risque d'effondrement dépressif à prendre en compte et des risques non négligeables en termes de sécurité de vol ; qu'une expertise psychiatrique du 10 juillet 2012, réalisée à la demande de la direction générale de l'aviation civile par un psychiatre des hôpitaux, chef de service, fait état d'un épisode délirant en 2009, d'une vulnérabilité psychique et d'un risque de réitération de la pathologie dans des situations stressantes ; qu'il résultait ainsi de l'ensemble de ces éléments que l'intéressé souffrait de troubles pathologiques sérieux sur le plan psychiatrique, qui avaient affecté son comportement en vol et mettaient en cause l'impératif de sécurité de vol ; qu'il suit de là qu'en estimant que M. A...remplissait, à la date des décisions attaquées, les conditions d'aptitude psychiatrique à la conduite d'aéronefs la cour a dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumises ; que le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie est, par suite, fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4, que le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a jugé que les décisions des 7 septembre 2011 et 8 février 2012 déclarant M. A...inapte classe 1 et classe 2 étaient entachées d'une erreur d'appréciation ; qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés à l'encontre des décisions attaquées, celles des 7 septembre et 8 février 2012 n'étant en tout état de cause, contrairement à ce que soutient le ministre, pas confirmatives de celle du 6 avril 2011 ;

7. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que, par sa décision du 6 avril 2011, le conseil médical de l'aéronautique civile a, ainsi qu'il lui était loisible de le faire, statué à titre provisoire sur la demande de dérogation de M.A..., en prescrivant une expertise médicale complémentaire, en vue d'un réexamen ultérieur de son dossier ; que, par la décision attaquée du 7 septembre 2011, le conseil a statué à titre définitif sur cette demande, au vu du rapport d'expertise qu'il avait sollicité ; que, par suite, le moyen tiré de ce que cette dernière décision serait entachée d'incompétence, dès lors que le conseil médical de l'aéronautique civile se serait " saisi d'office " du cas de l'intéressé, ne peut qu'être écarté ;

8. Considérant, en deuxième lieu, que les décisions attaquées ont été prises dans le cadre d'attributions imposant au conseil médical de l'aéronautique civile, en vertu des articles L. 1110-4, R. 4127-4 et R. 4127-104 du code de la santé publique, de ne fournir à l'administration ou à l'employeur, pour tenir compte du secret médical institué par la loi, que ses conclusions sur le plan administratif, sans indiquer les raisons médicales qui les motivent ; qu'ainsi, et conformément au deuxième alinéa de l'article 4 de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, alors en vigueur, aux termes duquel : " Les dispositions de la présente loi ne dérogent pas aux textes législatifs interdisant la divulgation ou la publication de faits couverts par le secret ", ces décisions ne pouvaient comporter de motifs relatifs à des éléments couverts par le secret médical ; qu'il était cependant loisible au requérant de demander communication des informations à caractère médical le concernant, ainsi que le prévoit l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal, alors en vigueur ; que, toutefois, la circonstance, à la supposer établie, que le conseil médical de l'aéronautique civile ne lui aurait pas communiqué les considérations médicales justifiant ces décisions est par elle-même sans incidence sur leur régularité ;

9. Considérant, en troisième lieu, que contrairement à ce qui est soutenu, le conseil médical de l'aéronautique civile ne s'est pas exclusivement fondé sur des avis médicaux ou pièces anciens, mais a apprécié l'aptitude de l'intéressé en tenant compte de l'ensemble des éléments disponibles à la date de sa décision et notamment du rapport d'expertise complète en date du 1er juillet 2011 réalisé à sa demande par le centre principal d'expertise médicale du personnel naviguant de l'hôpital d'instruction des armées Percy ; qu'il n'a, ce faisant, entaché ses décisions d'aucune erreur de droit ou erreur d'appréciation ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions des 7 septembre 2011 et 8 février 2012 du conseil médical de l'aéronautique civile ;

11. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 16 février 2015 de la cour administrative d'appel de Paris et le jugement du 23 avril 2013 du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. A...et le surplus de ses conclusions présentées en cause d'appel et en cassation sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions présentées par le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et à M. B...A....


Synthèse
Formation : 6ème - 1ère ssr
Numéro d'arrêt : 389601
Date de la décision : 30/12/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 déc. 2015, n° 389601
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cyrille Beaufils
Rapporteur public ?: Mme Suzanne von Coester
Avocat(s) : SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 10/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:389601.20151230
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