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23/12/2015 | FRANCE | N°385172

France | France, Conseil d'État, 4ème ssjs, 23 décembre 2015, 385172


Vu la procédure suivante :

Par un jugement n° 1202982 du 2 octobre 2014, le président de la 6ème chambre du tribunal administratif de Strasbourg a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée par M. A...B..., enregistrée au greffe de ce tribunal administratif le 3 juillet 2012.

Par une requête et un mémoire enregistrés les 16 octobre et 29 décembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler, d'une part, la décision implicite

née du silence gardé par le ministre des affaires sociales et de la santé et, d...

Vu la procédure suivante :

Par un jugement n° 1202982 du 2 octobre 2014, le président de la 6ème chambre du tribunal administratif de Strasbourg a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée par M. A...B..., enregistrée au greffe de ce tribunal administratif le 3 juillet 2012.

Par une requête et un mémoire enregistrés les 16 octobre et 29 décembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler, d'une part, la décision implicite née du silence gardé par le ministre des affaires sociales et de la santé et, d'autre part, la décision du 4 mai 2012 du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, rejetant tous deux sa demande tendant à obtenir réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de la durée excessive de la procédure juridictionnelle relative à la mesure de suspension prononcée à son encontre par arrêté interministériel du 12 avril 2006 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 90 000 euros en réparation de son préjudice moral, 30 000 euros en réparation d'une perte de chance de progression de carrière, 19 224,78 euros en réparation de son préjudice matériel, majorées des intérêts au taux légal à compter du 28 décembre 2011 ;

3) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Florence Chaltiel-Terral, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. B...;

1. Considérant que M.B..., professeur des universités-praticien hospitalier au centre hospitalo-universitaire de Strasbourg, recherche la responsabilité de l'Etat en réparation de préjudices qu'il impute à des dysfonctionnements de la juridiction disciplinaire et à des faits de harcèlement moral ;

Sur les conclusions relatives aux préjudices résultant d'un délai excessif de jugement :

2. Considérant qu'il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que les requêtes soient jugées dans un délai raisonnable ; que, si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect ; qu'il en résulte que, lorsque leur droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu, ils peuvent obtenir la réparation de l'ensemble des préjudices tant matériels que moraux, directs et certains, causés par le fonctionnement défectueux du service de la justice et se rapportant à la période excédant le délai raisonnable ; que le caractère raisonnable du délai doit, pour une affaire, s'apprécier de manière globale, compte tenu notamment de l'exercice des voies de recours, et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure, de même que le comportement des parties tout au long de celle ci, et aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l'intérêt qu'il peut y avoir pour l'une ou l'autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu'il soit tranché rapidement ; que lorsque la durée globale de jugement n'a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l'Etat est néanmoins susceptible d'être engagée si la durée de l'une des instances a, par elle-même, revêtu une durée excessive ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. B...a fait l'objet d'une mesure de suspension de ses fonctions par un arrêté du 12 avril 2006 du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et du ministre chargé de la santé ; que la juridiction disciplinaire, saisie le 12 avril 2006, a entendu M. B...pour la première fois le 16 octobre 2006 ; que par une décision du même jour, elle a sursis à statuer et ordonné des mesures d'instruction supplémentaires ; que les rapports d'expertise sollicités ont été produits en mars et septembre 2007 ; que la juridiction disciplinaire ne s'est réunie à nouveau que le 10 décembre 2010 pour juger que les faits reprochés à M. B...n'étaient pas établis et proposer la reprise de son activité professionnelle ; qu'ainsi, entre le moment où la juridiction disposait des éléments qui lui permettaient de se prononcer et la date où elle a statué, il s'est écoulé un délai de trois ans et deux mois alors que le jugement de l'affaire ne présentait pas de difficulté particulière ; que, dès lors, M. B...a subi, du fait de la durée excessive de cette instance qui le maintenait dans une situation de suspension de l'exercice de ses fonctions, un préjudice moral consistant en des désagréments qui vont au-delà de ceux habituellement provoqués par un procès ; qu'eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à M. B...une indemnité de 5 000 euros tous intérêts compris à la date de la présente décision ;

4. Considérant que M.B..., qui a continué à percevoir ses émoluments pendant la période de suspension, ne peut obtenir réparation du préjudice matériel résultant de l'absence de paiement de gardes et astreintes pendant cette même période, dès lors que ces compléments de rémunération ne sont dus qu'en contrepartie de services de garde et d'assistance effectivement assurés et non récupérés ; que s'il allègue que la mesure de suspension lui a fait perdre une chance d'obtenir une promotion et d'accéder à des responsabilités de chef de service, il ne produit pas d'élément de nature à établir qu'il aurait effectivement subi un préjudice de ce chef à raison de la durée excessive de la procédure devant la juridiction disciplinaire ; que M. B... n'établit pas que la durée de la procédure lui aurait causé des frais d'avocats supplémentaires ;

Sur les conclusions tendant à la réparation du préjudice invoqué par M. B...pour des faits de harcèlement moral :

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la demande préalable aux fins d'indemnisation présentée devant le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et le ministre chargé de la santé était exclusivement fondée sur la durée anormalement longue de la procédure juridictionnelle disciplinaire et que c'est sur ce même fondement que M. B...a saisi le tribunal administratif de Strasbourg du refus opposé à sa demande par ces autorités le 4 mai 2012 ; que, dans ces conditions, les conclusions présentées par M. B...devant le Conseil d'Etat tendant à la réparation de préjudices qu'il aurait subis en raison de faits de harcèlement moral sont nouvelles ; qu'elles sont dès lors irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B...au titre de ces dispositions ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. B...une somme de 5 000 euros, tous intérêts compris.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à M. B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A...B..., à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.


Synthèse
Formation : 4ème ssjs
Numéro d'arrêt : 385172
Date de la décision : 23/12/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 23 déc. 2015, n° 385172
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Florence Chaltiel-Terral
Rapporteur public ?: Mme Sophie-Justine Lieber
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:385172.20151223
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