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23/12/2015 | FRANCE | N°372907

France | France, Conseil d'État, 1ère ssjs, 23 décembre 2015, 372907


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 octobre 2013, 21 janvier 2014 et 13 mai 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la caisse autonome de retraite des médecins de France, M. A...E..., M. G...D..., M. F...I..., M. B...J...et Mme H...C...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites de rejet nées du silence gardé par le Premier ministre et par le ministre des affaires sociales et de la santé sur leur demande tendant à l'

abrogation des articles D. 134-2 à D. 134-9 du code de la sécurité sociale ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 octobre 2013, 21 janvier 2014 et 13 mai 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la caisse autonome de retraite des médecins de France, M. A...E..., M. G...D..., M. F...I..., M. B...J...et Mme H...C...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites de rejet nées du silence gardé par le Premier ministre et par le ministre des affaires sociales et de la santé sur leur demande tendant à l'abrogation des articles D. 134-2 à D. 134-9 du code de la sécurité sociale ou, à titre subsidiaire, des articles D. 134-3 à D. 134-5 ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger ces articles et d'adopter une nouvelle réglementation conforme aux motifs de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens, y compris la contribution pour l'aide juridique mentionnée à l'article R. 761-1 du même code.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la décision du 17 juillet 2015 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la caisse autonome de retraite des médecins de France et les autres requérants ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-495 QPC du 20 octobre 2015 statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la caisse autonome de retraite des médecins de France et les autres requérants ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Puigserver, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la caisse autonome de retraite des médecins de France, de MM.E..., D..., I..., J...et K...C...;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 134-1 du code de la sécurité sociale : " Il est institué une compensation entre les régimes obligatoires de sécurité sociale comportant un effectif minimum, autres que les régimes complémentaires au sens des articles L. 635-1, L. 644-1 et L. 921-4 du présent code et du I de l'article 1050 du code rural. Cette compensation porte sur les charges de l'assurance vieillesse au titre des droits propres. / La compensation tend à remédier aux inégalités provenant des déséquilibres démographiques et des disparités de capacités contributives entre les différents régimes. Toutefois, tant que les capacités contributives de l'ensemble des non-salariés ne pourront être définies dans les mêmes conditions que celles des salariés, la compensation entre l'ensemble des régimes de salariés et les régimes de non-salariés aura uniquement pour objet de remédier aux déséquilibres démographiques. / La compensation prévue au présent article est calculée sur la base d'une prestation de référence et d'une cotisation moyenne ; elle est opérée après application des compensations existantes. / Les soldes qui en résultent entre les divers régimes sont fixés par arrêtés interministériels, après consultation de la commission de compensation prévue à l'article L. 114-3 ". Aux termes de l'article L. 134-2 du même code : " Des décrets fixent les conditions d'application de l'article L. 134-1 et déterminent notamment : / 1°) l'effectif minimum nécessaire pour qu'un régime de sécurité sociale puisse participer à la compensation instituée par cet article ; / 2°) les modalités de détermination des bases de calcul des transferts opérés au titre de la compensation prévue à cet article ". Les articles D. 134-2 à D. 134-9 du même code, que les requérants ont demandé au Premier ministre d'abroger, fixent les conditions d'application de l'article L. 134-1.

2. En premier lieu, il résulte de la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-495 QPC du 20 octobre 2015 que les requérants, dont la question prioritaire de constitutionnalité a été regardée comme portant sur la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article L. 134-1 du code de la sécurité sociale, ne sont pas fondés à soutenir que ces dispositions, instituant entre l'ensemble des régimes obligatoires de base d'assurance vieillesse de salariés et les régimes de non-salariés une compensation reposant uniquement sur des bases démographiques, porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

3. En deuxième lieu, par sa décision du 20 octobre 2015, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de l'article L. 134-1 du code de la sécurité sociale faisant référence à l'impossibilité de définir les capacités contributives des non-salariés dans les mêmes conditions que celles des salariés étaient dépourvues de toute portée normative et ne sauraient confier au pouvoir réglementaire la faculté de décider qu'il y a lieu d'opérer une compensation prenant en compte les capacités contributives. Si les requérants soutiennent que les dispositions de l'article L. 134-1 du code de la sécurité sociale, ainsi interprétées, méconnaîtraient les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ils ne précisent pas le droit ou la liberté reconnu par cette convention ou par ses protocoles additionnels dont la jouissance serait affectée par la discrimination alléguée et le moyen tiré de cette méconnaissance ne peut, par suite, qu'être écarté. Ainsi, eu égard à la portée de la loi, les requérants ne peuvent utilement soutenir que le pouvoir réglementaire aurait violé les dispositions de l'article L. 134-1 du code de la sécurité sociale, méconnu le principe d'égalité ou commis une erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de prendre en considération les revenus des cotisants dans les bases de calcul des transferts opérés au titre de la compensation.

4. En troisième lieu, si la compensation généralisée vieillesse restreint le libre usage, par les caisses, des ressources qui proviennent des cotisations des assurés et peuvent être regardées comme des biens, au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, c'est pour assurer, conformément à l'intérêt général, une solidarité financière des régimes d'assurance vieillesse, définie en fonction de critères objectifs, en rapport avec son objet, afin d'atténuer les déséquilibres démographiques entre les différents régimes et de remédier aux inégalités affectant les prestations de retraite dont bénéficient les différents assurés. Contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions réglementaires contestées déterminent de façon suffisamment claire et prévisible les bases de calcul des transferts opérés au titre de la compensation. La contribution mise à la charge de certaines caisses est fonction de leur situation démographique et ne peut être regardée comme portant une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens, alors même qu'elle représenterait une part significative des produits de certaines de ces caisses. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance, par les dispositions des articles D. 134-2 à D. 134-9 du code de la sécurité sociale, des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. En outre, l'obligation de participation des différents régimes concernés à ces mécanismes n'instituant aucune discrimination prohibée par les stipulations de l'article 14 de la même convention, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de cet article combinées avec l'article premier du premier protocole additionnel doit être également écarté.

5. En quatrième lieu, d'une part, l'article L. 114-3 du code de la sécurité sociale institue " auprès du ministre en charge de la sécurité sociale une commission de compensation, présidée par un magistrat désigné par le premier président de la Cour des comptes, comprenant des représentants des régimes de sécurité sociale et des représentants des ministres en charge de la sécurité sociale et du budget ", qui " contrôle les informations quantitatives fournies par les régimes pour servir de base aux calculs ". D'autre part, il résulte des articles D. 134-3 à D. 134-5 du code de la sécurité sociale que la compensation démographique est déterminée en comparant, pour les régimes de salariés pris de façon globale et pour chaque régime de non-salariés, d'une part, les dépenses qui résulteraient du versement à chaque titulaire d'une pension de droit propre, âgé d'au moins 65 ans, d'une pension égale à la pension moyenne la plus basse entre la prestation moyenne des régimes de salariés pris dans leur ensemble et la prestation moyenne de chacun des régimes de non-salariés et, d'autre part, les ressources qui résulteraient du versement par chaque cotisant actif de la cotisation qui serait nécessaire pour financer le versement de la prestation de référence à tous les pensionnés dans le cadre d'un régime unique. Aux termes de l'article D. 134-4, est considérée comme cotisant actif toute personne, quel que soit son âge, exerçant une activité professionnelle, assujettie à un régime obligatoire de sécurité sociale et qui verse personnellement ou pour laquelle est versée une cotisation. L'article D. 134-5 précise que les effectifs concernés sont appréciés au 1er juillet de l'année considérée et qu'en cas d'affiliation multiple, les cotisants actifs et les bénéficiaires sont comptés simultanément dans chaque régime pour une unité.

6. Le pouvoir réglementaire a ainsi déterminé les bases de calcul de la compensation démographique entre régimes de retraite, en fixant en particulier les règles applicables à l'évaluation du nombre de bénéficiaires et de cotisants de chaque régime, laquelle doit être opérée sous le contrôle de la commission prévue par l'article L. 114-3. Ces dispositions sont suffisamment précises au regard de l'article L. 134-2 du code de la sécurité sociale. Les requérants ne sont pas davantage fondés à soutenir qu'elles méconnaîtraient l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme, faute de règles précises, harmonisées et cohérentes permettant de collecter de façon fiable les données. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que les règles de collecte des données et les modalités de calcul de la compensation ne permettraient pas d'atteindre l'objectif fixé à l'article L. 134-1 et seraient, pour ce motif, entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

7. En dernier lieu, en vertu du dernier alinéa de l'article D. 134-4 du code de la sécurité sociale, sont considérés comme cotisants actifs les effectifs dont les cotisations sont prises en charge par le fonds de solidarité vieillesse, c'est-à-dire essentiellement les travailleurs involontairement privés d'emploi du régime général et du régime des assurances sociales agricoles. Contrairement à ce qui est soutenu, ces dispositions sont sans incidence sur la détermination de la prestation de référence mais ont seulement pour effet de tenir compte, pour le calcul des effectifs des différents régimes, de l'ensemble des personnes qui versent elles-mêmes ou pour lesquelles sont versées des cotisations à ces régimes. Une telle règle d'évaluation du nombre de cotisants de chaque régime ne méconnaît pas l'article L. 134-1 du code de la sécurité sociale et n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense par le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, les conclusions des requérants tendant à l'annulation du refus d'abroger les articles D. 134-2 à D. 134-9 du code de la sécurité sociale doivent être rejetées. Leurs conclusions présentées à fin d'injonction et au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être également rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser la contribution pour l'aide juridique, mentionnée par l'article R. 761-1 du même code, dans sa rédaction applicable à la date d'introduction de la requête, à la charge des requérants.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la caisse autonome de retraite des médecins de France, de MM. E..., D..., I...et J...et K...C...est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la caisse autonome de retraite des médecins de France, premier requérant dénommé, au Premier ministre et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Les autres requérants seront informés de la présente décision par Me Foussard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d'Etat.


Synthèse
Formation : 1ère ssjs
Numéro d'arrêt : 372907
Date de la décision : 23/12/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 23 déc. 2015, n° 372907
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Frédéric Puigserver
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 17/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:372907.20151223
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