La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/11/2015 | FRANCE | N°388765

France | France, Conseil d'État, 2ème / 7ème ssr, 25 novembre 2015, 388765


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 mars et 11 septembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A...B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 25 septembre 2014 accordant son extradition complémentaire aux autorités espagnoles ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Nicolaÿ, Lanouvelle, Hannotin, son avocat, au titre des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justic

e administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention euro...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 mars et 11 septembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A...B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 25 septembre 2014 accordant son extradition complémentaire aux autorités espagnoles ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Nicolaÿ, Lanouvelle, Hannotin, son avocat, au titre des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 ;

- la convention établie sur la base de l'article K3 du traité sur l'Union européenne, relative à l'extradition entre les Etats membres de l'Union européenne, signée à Dublin, le 27 septembre 1996 ;

- le code pénal ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Barrois de Sarigny, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de Mme B...;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 5 novembre 2015, présentée pour Mme B... ;

1. Considérant que Mme A...B..., de nationalité espagnole, détenue sur le territoire français en exécution d'une peine de réclusion criminelle prononcée pour une autre cause par la cour d'assises de Paris, a fait l'objet d'un décret du 22 décembre 2009 accordant son extradition aux autorités espagnoles ; que, par le décret attaqué, le Premier ministre a accordé aux autorités espagnoles son extradition complémentaire, sur le fondement d'un arrêt de mise en accusation et d'emprisonnement décerné le 10 janvier 1990 par le magistrat juge du tribunal central d'instruction n° 2 de l'Audience nationale, aux fins de poursuites de faits, commis le 6 août 1987, qualifiés en droit espagnol de délit d'attentat contre un agent de l'autorité provoquant la mort, de délit de blessures et de délit de ravages, sous condition qu'en cas de condamnation elle ne soit pas condamnée à une peine excédant douze années d'emprisonnement pour les faits qualifiés de ravages ;

Sur le moyen tiré de l'article 3 de la convention européenne d'extradition :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne d'extradition : " 1. L'extradition ne sera pas accordée si l'infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par la Partie requise comme une infraction politique ou comme un fait connexe à une telle infraction. / 2. La même règle s'appliquera si la Partie requise a des raisons sérieuses de croire que la demande d'extradition motivée par une infraction de droit commun a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinions politiques ou que la situation de cet individu risque d'être aggravée pour l'une ou l'autre de ces raisons... " ;

3. Considérant que l'extradition complémentaire de Mme B...a été accordée aux fins de poursuites d'infractions qui ne sont pas politiques par nature ; que la circonstance que les faits reprochés auraient été commis dans le cadre d'une lutte pour l'indépendance du pays basque ne suffit pas, compte tenu de leur gravité, à les faire regarder comme ayant un caractère politique ; qu'il ne ressort d'aucun élément versé au dossier que la demande d'extradition complémentaire aurait été présentée dans un but politique ; que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne d'extradition ne peut, par suite, qu'être écarté ;

Sur le moyen tiré de la prescription de l'action publique :

4. Considérant que les conventions d'extradition sont des lois de procédure qui, sauf stipulation contraire, sont applicables immédiatement aux faits survenus avant leur entrée en vigueur, même si elles ont un effet défavorable sur les intérêts de la personne réclamée ; qu'il en est ainsi notamment des conditions qu'elles fixent quant à la prescription de l'action publique ou de la peine ;

5. Considérant que la convention signée à Dublin le 27 septembre 1996, relative à l'extradition entre les Etats membres de l'Union européenne, dont les stipulations sont applicables en vertu du 5 de son article 18 aux demandes d'extradition présentées postérieurement à son entrée en vigueur, s'est substituée, entre ces Etats et sur les points qu'elle traite, à la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957, à compter de son entrée en vigueur le 1er juillet 2005 ; qu'il s'ensuit que les stipulations de la convention de Dublin ont vocation à régir la demande d'extradition complémentaire de Mme B...présentée par les autorités espagnoles le 15 octobre 2010 ; qu'en particulier, sont applicables à celle-ci les stipulations du paragraphe 1 de l'article 8 de cette convention, aux termes desquelles : " L'extradition ne peut être refusée au motif qu'il y a prescription de l'action ou de la peine selon la législation de l'Etat membre requis ", qui se sont substituées à celles de l'article 10 de la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 ;

6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, et qu'il n'est pas contesté, que le délai de prescription applicable aux infractions considérées est fixé à vingt ans par l'article 131 du code pénal espagnol ; que, selon l'article 132 du même code, la prescription est interrompue, le temps écoulé restant sans effet, lorsque la procédure est dirigée contre le coupable et recommence à courir dès que la procédure est paralysée ou est terminée sans condamnation ; qu'il ressort des pièces du dossier que Mme B...a fait l'objet d'un arrêt de mise en accusation et d'emprisonnement décerné le 10 janvier 1990, avant d'être déclarée en état de contumace par une ordonnance en date du 23 mars 1990 du magistrat juge du tribunal central d'instruction n° 2 de l'Audience nationale ; que cette déclaration de contumace a été confirmée par un arrêt de la deuxième section de la chambre pénale de l'Audience nationale en date du 28 mai 1990 ; que la prescription a recommencé de courir à compter de ce dernier acte en vertu des règles applicables en droit espagnol, résultant de l'article 132 du code pénal espagnol et telles qu'appliquées par la chambre criminelle du Tribunal suprême du Royaume d'Espagne, notamment dans sa décision du 12 avril 1997 ; qu'il ressort des pièces du dossier, en particulier des notes établies par le magistrat juge du tribunal central d'instruction n° 2 de l'Audience nationale les 5 juin 2013 et 5 mai 2015, transmises par les autorités espagnoles, que la procédure d'instruction à l'encontre de Mme B...a été rouverte le 19 avril 2010 et qu'elle a été renvoyée au tribunal ayant prononcé la contumace par arrêt de la deuxième section de la chambre pénale de l'Audience nationale du 28 avril 2010 ; que le délai de prescription de vingt ans, ayant recommencé de courir à compter de l'arrêt du 28 mai 1990, n'était ainsi pas expiré lorsque sont intervenus la décision de réouverture de la procédure le 19 avril 2010 et l'arrêt du 28 avril 2010 ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la prescription aurait été acquise en droit espagnol ne peut qu'être écarté, sans que puissent être utilement contestées devant le Conseil d'Etat les conditions dans lesquelles a été émis l'avis de la chambre de l'instruction s'étant prononcée sur ce point ;

Sur le moyen tiré de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

7. Considérant qu'aux termes des stipulations du paragraphe 1 de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droit de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise " ;

8. Considérant que si Mme B...soutient que le décret attaqué accorde son extradition aux autorités espagnoles en méconnaissance de ces stipulations en faisant valoir que le délit de ravages était sanctionné en droit espagnol d'une peine de douze années d'emprisonnement à la date des faits qui lui sont reprochés alors qu'il est désormais sanctionné d'une peine de quinze à vingt ans d'emprisonnement, il résulte des termes même du décret attaqué que l'extradition de la requérante n'a été accordée aux autorités espagnoles qu'à la condition que l'intéressée " ne soit pas, pour les faits qualifiés de ravages, condamnée à une peine excédant douze années d'emprisonnement " ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le décret attaqué, en accordant l'extradition de MmeB..., aurait méconnu les stipulations de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'elle attaque ; qu'il s'ensuit que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient accueillies les conclusions présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Mme B...est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A...B...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 2ème / 7ème ssr
Numéro d'arrêt : 388765
Date de la décision : 25/11/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 nov. 2015, n° 388765
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Barrois de Sarigny
Rapporteur public ?: Mme Béatrice Bourgeois-Machureau
Avocat(s) : SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:388765.20151125
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award