Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 19 juin et le 6 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A...B...demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 24 mars 2015 rapportant le décret du 26 février 2010 qui lui avait accordé la nationalité française.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Tristan Aureau, auditeur,
- les conclusions de M. Xavier Domino, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gadiou, Chevallier, avocat de MmeB... ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 27-2 du code civil, dans leur rédaction applicable au présent litige : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai d'un an à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude " ;
2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que MmeB..., ressortissante marocaine, a déposé une demande de naturalisation le 10 mars 2009 par laquelle elle a indiqué être divorcée et s'est engagée sur l'honneur à signaler tout changement qui viendrait à survenir dans sa situation personnelle et familiale ; que, le 29 juin 2009, elle a déclaré sur l'honneur qu'aucune modification n'était intervenue dans sa situation personnelle et familiale depuis la date de dépôt de sa demande ; qu'au vu de ses déclarations, elle a été naturalisée par décret du 26 février 2010 ; que, par bordereau reçu le 16 avril 2013, le ministre des affaires étrangères a informé le ministre chargé des naturalisations de ce que Mme B...avait épousé au Maroc, le 15 mai 2009, un ressortissant marocain résidant habituellement au Maroc et que deux enfants étaient nés de cette union les 27 mars 2010 et 1er janvier 2012 ; que, par le décret attaqué, le Premier ministre a rapporté le décret prononçant la naturalisation de Mme B...au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressée quant à sa situation familiale ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des mentions de l'ampliation du décret attaqué, certifiée conforme par le secrétaire général du Gouvernement, que le décret a été signé par le Premier ministre et contresigné par le ministre de l'intérieur ; que l'ampliation notifiée à Mme B...n'avait pas à être revêtue de ces signatures ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que le délai de deux ans imparti par l'article 27-2 du code civil pour rapporter le décret de naturalisation de Mme B...a commencé à courir à la date à laquelle la réalité de la situation familiale de l'intéressée a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations ; que la circonstance que le mariage de Mme B...aurait été mentionné le 29 mars 2010 à l'officier d'état-civil de la mairie du 15ème arrondissement de Paris lors de la déclaration de la naissance du premier enfant de Mme B...ne peut être regardée comme ayant mis le ministre chargé des naturalisations à même de découvrir la réalité de la situation familiale de l'intéressée ; qu'il ressort des pièces du dossier que ce ministre n'a été informé de cette situation par le ministre des affaires étrangères que le 16 avril 2013 ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le décret du 24 mars 2015 aurait été pris après l'expiration du délai prévu par les dispositions du code civil ne peut qu'être écarté ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que Mme B... a déclaré sur l'honneur, dans sa demande de naturalisation faite le 10 mars 2009, qu'elle était divorcée et n'a pas indiqué de changement de sa situation maritale lors de son entretien d'assimilation du 29 juin 2009 ; que si Mme B...soutient qu'elle aurait fait uniquement preuve de négligence en omettant de signaler son mariage au Maroc et qu'elle croyait de bonne foi que le signalement de son mariage à l'occasion de l'établissement de l'acte de naissance de son fils le 29 mars 2010 était suffisant pour informer l'administration chargée des naturalisations de cet événement, il ressort des pièces du dossier que l'intéressée maîtrise la langue française et ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'elle a signée ; qu'elle doit, dans les circonstances de l'espèce, être regardée comme ayant volontairement dissimulé les modifications de sa situation familiale au Maroc ; que, par suite, en rapportant sa naturalisation, le Premier ministre n'a pas fait une inexacte application de l'article 27-2 du code civil ;
6. Considérant, enfin, que le décret qui rapporte pour fraude un décret de naturalisation ne porte, par lui-même, pas atteinte au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale ; qu'ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être accueilli ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 24 mars 2015 rapportant le décret du 26 février 2010 qui lui avait accordé la nationalité française ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de Mme B...est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A...B...et au ministre de l'intérieur.