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10/02/2014 | FRANCE | N°351308

France | France, Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 10 février 2014, 351308


Vu 1°, sous le n° 351308, la requête, enregistrée le 27 juillet 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. A... B..., demeurant à... ; M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2011-685 du 16 juin 2011 en tant qu'il homologue les dispositions du chapitre II du cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée (AOC) " Cognac ", " Eau-de-vie de Cognac " et " Eau-de-vie des Charentes " ;

2°) d'enjoindre au bureau national interprofessionnel du Cognac (BNIC), d'une part, de réexaminer son dos

sier sans délai, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, et, d'au...

Vu 1°, sous le n° 351308, la requête, enregistrée le 27 juillet 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. A... B..., demeurant à... ; M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2011-685 du 16 juin 2011 en tant qu'il homologue les dispositions du chapitre II du cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée (AOC) " Cognac ", " Eau-de-vie de Cognac " et " Eau-de-vie des Charentes " ;

2°) d'enjoindre au bureau national interprofessionnel du Cognac (BNIC), d'une part, de réexaminer son dossier sans délai, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, et, d'autre part, de ne pas lui retirer le bénéfice de l'AOC, à compter d'une date à déterminer, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge du BNIC la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°, sous le n° 351960, la requête, enregistrée le 16 août 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le comité de défense de la viticulture charentaise-MODEF, dont le siège est 14, boulevard d'Aquitaine, BP 316 à Angoulême Cedex (16000), et le MODEF Charente-Maritime, dont le siège est 49, boulevard Goulebenèze à Burie (17770) ; ils demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le même décret en tant qu'il homologue les dispositions du 3° du D du chapitre Ier du cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée (AOC) " Cognac ", " Eau-de-vie de Cognac " et " Eau-de-vie des Charentes " ;

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne ;

Vu le traité sur l'Union européenne ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Vu le règlement (CE) n° 110/2008 du Parlement européen et du Conseil du 15 janvier 2008 ;

Vu le code rural et de la pêche maritime ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christophe Pourreau, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de l'Institut national de l'origine et de la qualité ;

1. Considérant que, par un décret du 16 juin 2011, le Premier ministre a homologué le cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée (AOC) " Cognac " ou " Eau-de-vie de Cognac " ou " Eau-de-vie des Charentes " ; qu'aux termes du 3° du D du chapitre Ier de ce cahier des charges : " Le rendement annuel maximum autorisé d'eau-de-vie, exprimé en alcool pur, est fixé chaque année par arrêté interministériel, sur proposition du comité national compétent de l'INAO, après avis de l'organisme de défense et de gestion, dans la limite d'un rendement butoir de 16 hectolitres d'alcool pur par hectare. / En outre, le rendement annuel susvisé peut être majoré, à titre individuel, d'une certaine quantité d'eau-de-vie dans la limite du rendement butoir, pour constituer une réserve dite " réserve climatique individuelle ". Cette quantité d'eau-de-vie ne peut être mise en vieillissement. / Les volumes destinés à la réserve climatique individuelle : / - sont constitués au-delà du rendement annuel pour les opérateurs ayant mis en réserve des volumes au titre des mesures de régulation de marché ; / - sont constitués au-delà du rendement annuel moins le volume susceptible d'être mis en réserve au titre des mesures de régulation de marché pour les opérateurs qui n'ont pas souhaité bénéficier de ces mesures. / Le rendement annuel maximum autorisé éventuellement majoré est calculé en fonction de l'alcool pur contenu dans les vins livrés ou mis en oeuvre. / Les quantités produites au-delà du rendement annuel maximum autorisé, à l'exclusion des quantités mises en réserve climatique individuelle, ne peuvent prétendre à l'AOC " Cognac ". Elles doivent être transformées dans les conditions prévues à l'article D. 645-22 du code rural et de la pêche maritime. " ;

2. Considérant que, d'une part, si M. A... B...demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 16 juin 2011 en tant qu'il homologue les dispositions du chapitre II du cahier des charges de l'AOC " Cognac " ou " Eau-de-vie de Cognac " ou " Eau-de-vie des Charentes ", les conclusions de sa requête doivent, eu égard à son argumentation, être regardées comme tendant à l'annulation de ce décret en tant qu'il homologue les dispositions du 3° du D du chapitre Ier de ce cahier des charges ; que, d'autre part, le comité de défense de la viticulture charentaise-MODEF et le MODEF Charente-Maritime demandent l'annulation pour excès de pouvoir du même décret en tant qu'il homologue ces mêmes dispositions ; qu'ainsi, les deux requêtes présentent à juger des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

3. Considérant, en premier lieu, que ni l'article 2 de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, ni aucun autre texte ou principe n'imposent de motiver le décret attaqué ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que le Cognac, l'eau-de-vie de Cognac et l'eau-de-vie des Charentes sont des eaux-de-vie de vin bénéficiant d'une indication géographique visée au point 4 de l'annexe III au règlement n° 110/2008 du 15 janvier 2008 concernant la définition, la désignation, la présentation, l'étiquetage et la protection des indications géographiques des boissons spiritueuses et abrogeant le règlement (CEE) n° 1576/89 du Conseil ; qu'aux termes de l'article 6, paragraphe 1, de ce règlement : " 1. Lors de la mise en oeuvre des politiques de qualité pour les boissons spiritueuses produites sur leur territoire et notamment pour les indications géographiques enregistrées à l'annexe III, (...) les Etats membres peuvent établir des règles plus strictes que celles qui figurent à l'annexe II en ce qui concerne la production (...), dans la mesure où elles sont compatibles avec le droit communautaire. " ;

5. Considérant que, si les dispositions du cahier des charges citées au point 1 posant le principe de la fixation chaque année, dans la limite d'un rendement butoir, d'un rendement maximum autorisé, exprimé en hectolitres d'alcool pur par hectare de vigne, lequel fait partie des conditions de production, fixent des règles plus strictes que celles figurant à l'annexe II au règlement du 15 janvier 2008, laquelle, s'agissant des eaux-de-vie de vin, ne comporte aucune disposition relative au rendement, elles participent d'une politique de qualité des eaux-de-vie obtenues par distillation du vin ainsi produit et, par suite, de qualité du Cognac, de l'eau-de-vie de Cognac et de l'eau-de-vie des Charentes obtenus par vieillissement de ces eaux-de-vie ; que tel est également le cas des dispositions du cahier des charges offrant à chaque producteur la possibilité de constituer, au-delà du rendement annuel autorisé, mais dans la limite du rendement butoir, une réserve d'eau-de-vie non mise en vieillissement, en vue de pallier l'éventuelle insuffisance des volumes d'eau-de-vie produits au titre d'une année marquée par des aléas climatiques ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué, en tant qu'il homologue les dispositions litigieuses du cahier des charges de l'AOC " Cognac ", " Eau-de-vie de Cognac " et " Eau-de-vie des Charentes ", méconnaîtrait l'article 6 du règlement du 15 janvier 2008 ne peut qu'être écarté ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 32, paragraphe 3, du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 38, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Les produits qui sont soumis aux dispositions des articles 33 à 38 inclus sont énumérés à la liste qui fait l'objet de l'annexe I du présent traité. " ; que les boissons spiritueuses ne figurent pas dans cette annexe ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait les stipulations de l'article 34 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 40 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, doit être écarté ;

7. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article 81 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur (...)." ; qu'ainsi qu'il a été interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, cet article, lu en combinaison avec l'article 4, paragraphe 3, du traité sur l'Union européenne, impose aux Etats membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d'éliminer son effet utile à l'égard des entreprises ; que le moyen soulevé par les requérants doit être regardé comme tiré de la méconnaissance des stipulations combinées de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de l'article 4 du traité sur l'Union européenne ;

8. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 5, les dispositions litigieuses du cahier des charges homologué par le décret attaqué participent d'une politique de qualité du Cognac, de l'eau-de-vie de Cognac et de l'eau-de-vie des Charentes ; qu'en adoptant une telle réglementation, les pouvoirs publics n'ont ni imposé, ni favorisé la conclusion d'ententes entre entreprises contraires à l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué, en tant qu'il homologue les dispositions litigieuses du cahier des charges de l'AOC " Cognac ", " Eau-de-vie de Cognac " et " Eau-de-vie des Charentes ", méconnaîtrait les stipulations combinées de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de l'article 4 du traité sur l'Union européenne ne peut qu'être écarté ;

9. Considérant, en cinquième lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le principe de la fixation d'un rendement annuel maximum autorisé d'eau-de-vie ait obéi à un objectif autre que la qualité du Cognac, de l'eau-de-vie de Cognac et de l'eau-de-vie des Charentes ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué, en tant qu'il homologue les dispositions litigieuses du cahier des charges de l'AOC " Cognac ", " Eau-de-vie de Cognac " et " Eau-de-vie des Charentes ", serait entaché de détournement de procédure et de détournement de pouvoir ne peut qu'être écarté ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par l'Institut national de l'origine et de la qualité à la requête du comité de défense de la viticulture charentaise-MODEF et du MODEF Charente-Maritime, les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret attaqué en tant qu'il homologue les dispositions du 3° du D du chapitre Ier du cahier des charges de l'AOC " Cognac ", " Eau-de-vie de Cognac " et " Eau-de-vie des Charentes " ; que, par voie de conséquence, les conclusions à fins d'injonction présentées par M. B... doivent être rejetées ; que doivent également être rejetées ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes de M. B... et du comité de défense de la viticulture charentaise-MODEF et du MODEF Charente-Maritime sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., au comité de défense de la viticulture charentaise-MODEF, au MODEF Charente-Maritime, au Premier ministre, au ministre de l'économie et des finances, au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt et à l'Institut national de l'origine et de la qualité.


Synthèse
Formation : 3ème et 8ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 351308
Date de la décision : 10/02/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 fév. 2014, n° 351308
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Christophe Pourreau
Rapporteur public ?: M. Vincent Daumas
Avocat(s) : SCP DIDIER, PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:351308.20140210
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