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31/01/2014 | FRANCE | N°361150

France | France, Conseil d'État, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 31 janvier 2014, 361150


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 juillet et 18 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'Association française des opérateurs de réseaux et services de télécommunications (AFORST), dont le siège est 30, rue Cambacérès à Paris (75008) ; l'association requérante demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2012-0007 du 17 janvier 2012 de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) modifiant les durées d'amortissement des

actifs de boucle locale cuivre de France Télécom prévues par la décision n° 0...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 juillet et 18 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'Association française des opérateurs de réseaux et services de télécommunications (AFORST), dont le siège est 30, rue Cambacérès à Paris (75008) ; l'association requérante demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2012-0007 du 17 janvier 2012 de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) modifiant les durées d'amortissement des actifs de boucle locale cuivre de France Télécom prévues par la décision n° 05-0834 du 15 décembre 2005, ainsi que la décision implicite par laquelle le président de l'ARCEP a rejeté son recours gracieux du 16 mai 2012 tendant à l'abrogation de la décision du 17 janvier 2012 de l'ARCEP, en tant que celle-ci ne modifie pas la méthode de valorisation des actifs de boucle locale cuivre résultant de la décision du 15 décembre 2005 ;

2°) de mettre à la charge de l'ARCEP la somme de 5 000 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) de prescrire une enquête sur les faits qu'elle mentionne, en application de l'article R. 623-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 ;

Vu la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 ;

Vu la directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 ;

Vu le code des postes et des communications électroniques ;

Vu l'arrêt du 24 avril 2008 de la Cour de justice des Communautés européennes Arcor AG et Co. KG (C-55/06) ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Gaudillère, Maître des requêtes,

- les conclusions de M. Xavier Domino, Rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'Association française des opérateurs de réseaux et services de télécommunications ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, par une décision n° 05-0277 du 19 mai 2005, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a imposé à France Télécom, en tant qu'opérateur exerçant une influence significative sur le marché de gros de l'accès dégroupé à la boucle locale cuivre, diverses obligations, notamment celle de fixer les tarifs en fonction de ses coûts réels ; que l'ARCEP a, par une décision n° 05-0834 du 15 décembre 2005, adopté une nouvelle méthode de valorisation des actifs de la boucle, dite méthode des annuités économiques ou " coûts courants économiques ", et fixé leur durée d'amortissement respectivement à quarante ans pour les actifs de génie civil et à vingt-cinq ans pour les actifs de câbles en cuivre ; qu'une telle méthode de comptabilisation des coûts sert de fondement au calcul des tarifs pratiqués par France Télécom pour l'accès des opérateurs alternatifs à la boucle locale cuivre ; que, le 29 mars 2011, l'Autorité a ouvert une consultation publique sur les critères qui devaient présider au choix d'une méthode d'annualisation des coûts d'investissement et aux conséquences à tirer de la transition de l'usage du cuivre vers celui de la fibre optique ; que, le 15 novembre 2011, l'Autorité a ouvert une nouvelle consultation relative à l'éventuelle opportunité d'une modification des durées d'amortissement des actifs ; qu'à l'issue de ces deux consultations, l'ARCEP a, par une décision n° 2012-0007 du 17 janvier 2012, modifié les durées d'amortissement précédemment fixées par la décision du 15 décembre 2005, en portant respectivement celle des actifs de génie civil en conduite à cinquante ans et celle des actifs de câbles en cuivre à treize ans, sans modifier la méthode de valorisation de ces actifs ; que, par une lettre du 16 mars 2012 adressée au président de l'Autorité, l'association française des opérateurs de réseaux et services de télécommunications (AFORST), se prévalant du changement des circonstances de fait né du remplacement progressif du cuivre par la fibre, a formé un recours gracieux contre la décision du 17 janvier 2012, en tant que, par celle-ci, l'Autorité avait refusé de modifier la méthode de valorisation des actifs ; que du silence gardé par le président de l'ARCEP pendant plus de deux mois est née une décision implicite de rejet ; que les conclusions présentées par l'AFORST dans la présente requête doivent être regardées comme tendant à l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, de la décision de l'ARCEP du 17 janvier 2012 en tant que, par celle-ci, l'Autorité avait refusé de modifier la méthode de valorisation des actifs et, d'autre part, de la décision implicite par laquelle le président de cette autorité a rejeté son recours gracieux du 16 mars 2012 ;

Sur la légalité externe :

2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 130 du code des postes et des communications électroniques : " L'Autorité de régulation des communications électroniques ne peut délibérer que si cinq au moins de ses membres sont présents. (...) " ; qu'il ressort des pièces du dossier que les sept membres du collège de l'ARCEP étaient présents lors de la réunion du 17 janvier 2012 au cours de laquelle la décision litigieuse a été adoptée ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le quorum n'aurait pas été réuni manque en fait ;

3. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte des dispositions combinées du point 3 de l'article 7 de la directive 2002/21/CE du 7 mars 2002 relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques et de l'article 8 de la directive 2002/19/CE du 7 mars 2002 relative à l'accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu'à leur interconnexion, que les autorités réglementaires nationales sont tenues de soumettre à la Commission européenne les projets de mesure imposant des obligations réglementaires spécifiques aux opérateurs exerçant une influence significative sur les marchés pertinents du secteur des communications électroniques ; que la décision du 17 janvier 2012, par laquelle l'ARCEP se borne à modifier les durées d'amortissement retenues dans la méthode de valorisation des actifs définie par sa décision n° 05-0834 du 15 décembre 2005 ne met pas de nouvelles obligations spécifiques à la charge de France Télécom, imposant que soit à nouveau transmise à la Commission européenne la méthode qui lui avait été notifiée le 10 novembre 2005 ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que la décision n° 2012-0007 aurait été prise au terme d'une procédure irrégulière doit, en tout état de cause, être écarté ;

4. Considérant, en troisième lieu, que la décision du 17 janvier 2012 comporte les motifs pour lesquels, d'une part, les durées d'amortissement des actifs de la boucle locale sont modifiées et, pour lesquels d'autre part, la méthode de valorisation de ces actifs définie par la décision du 15 décembre 2005 est maintenue ; que, par suite, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation de cette décision ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ;

Sur la légalité interne :

5. Considérant, en premier lieu, qu'il ne résulte d'aucune disposition du droit de l'Union européenne ou du code des postes et des communications électroniques, l'existence d'un " principe de continuité de la valeur nette " en cas de modification de la méthode de valorisation des actifs de la boucle locale ; qu'au surplus, il ressort des pièces du dossier que la méthode définie par l'Autorité dans sa décision du 15 décembre 2005 excluait les investissements réels déjà amortis sous l'empire de la méthode précédente, dite des " coûts de remplacement en filière ", et ne répercutait sur les coûts du dégroupage que les montants d'investissement restant à amortir, soit la valeur nette résiduelle après amortissements ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que, dans son arrêt du 24 avril 2008 Arcor AG et Co. KG, C-55/06, la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit, dans le cadre de l'application du principe d'orientation des tarifs de l'accès dégroupé à la boucle locale en fonction des coûts, alors prévu par l'article 3, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 2887/2000 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2000 relatif au dégroupage de l'accès à la boucle locale, que les autorités de régulation nationale (ARN) doivent prendre en compte, pour déterminer la base de calcul des coûts de l'opérateur notifié, les coûts réels, à savoir les coûts déjà payés par l'opérateur notifié, ainsi que les coûts prévisionnels, ces derniers étant fondés, le cas échéant, sur une estimation des frais de remplacement du réseau ou de certains éléments de celui-ci ; qu'elle a notamment relevé, au point 108 de son arrêt, que la base de calcul des coûts qui doivent être pris en compte dans le cadre de la fixation des tarifs d'accès dégroupé à la boucle locale ne saurait être exclusivement fondée sur les coûts historiques, sauf à désavantager de manière injustifiée l'opérateur notifié, ce que la réglementation communautaire vise précisément à éviter ; que la Cour a également relevé, notamment au point 116 du même arrêt, qu'en l'absence d'une réglementation communautaire spécifique, il appartient aux ARN de définir les méthodes de détermination de la base de calcul des coûts ; que la méthode des " coûts courants économiques " retenue par l'ARCEP, qui ne se borne pas à prendre en compte la seule comptabilité de l'opérateur France Télécom, est conforme à cette exigence ; que, par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que l'ARCEP, en ne procédant pas à la modification de la méthode des " coûts courants économiques ", aurait méconnu le principe d'orientation des tarifs vers les coûts, tel qu'interprété par la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt Arcor AG et Co. KG ;

7. Considérant, par ailleurs, que l'AFORST n'apporte pas d'éléments permettant d'établir que le changement de circonstances de fait né de l'utilisation de la fibre optique aurait été de nature à imposer, au regard de l'obligation d'orientation des tarifs vers les coûts prévue au 4° de l'article L. 38 du code des postes et des communications électroniques, outre la modification des durées d'amortissement des actifs opérée par la décision du 17 janvier 2012, une modification de la méthode de valorisation de ces mêmes actifs ; qu'en particulier, ni la stabilisation des investissements effectués dans le génie civil en conduite depuis 2005, ni l'accélération de l'obsolescence des câbles en cuivre ne sauraient être regardées comme des évolutions imposant la substitution à la méthode des " coûts courants économiques " de celle des " coûts historiques " proposée par l'association requérante ;

8. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte des dispositions du II de l'article D. 311 du code des postes et des communications électroniques, que l'ARCEP, lorsqu'elle définit les méthodes de tarification et de comptabilisation des coûts en vue de la mise en oeuvre de l'obligation d'orientation des tarifs vers les coûts, doit veiller à ce que les méthodes retenues promeuvent l'efficacité économique, favorisent une concurrence durable et optimisent les avantages pour le consommateur ;

9. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la régulation du marché du dégroupage mise en oeuvre par l'ARCEP, notamment par sa décision du 15 décembre 2005 déjà mentionnée, a permis la réalisation d'investissements importants dans les réseaux, ainsi que le développement d'une concurrence durable entre opérateurs, notamment sur le marché de détail du haut débit ; que les tarifs du dégroupage ont connu une baisse continue depuis 2005 ; que le prix de marché des offres a permis d'atteindre un taux élevé d'équipement de la population française en accès en haut débit fixe ; que l'AFORST n'établit pas en quoi l'absence de modification de la méthode des " coûts courants économiques " serait de nature à compromettre la réalisation par l'Autorité des objectifs assignés à la régulation en vertu des dispositions du II de l'article D. 311 du code des postes et des communications électroniques ; que, dès lors, en estimant que le respect de ces objectifs ne lui imposait pas la modification de la méthode de valorisation des actifs adoptée en 2005, l'Autorité n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir soulevées en défense par l'ARCEP et par France Télécom, ni de procéder à l'enquête sollicitée par l'AFORST sur le fondement de l'article R. 623-1 du code de justice administrative, que l'association requérante n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions qu'elle attaque ;

11. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par l'AFORST au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par France Télécom ;

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de l'Association française des opérateurs de réseaux et services de télécommunications est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par France Télécom au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Association française des opérateurs de réseaux et services de télécommunications (AFORST), à France Télécom, à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et au ministre du redressement productif.


Synthèse
Formation : 2ème et 7ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 361150
Date de la décision : 31/01/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 31 jan. 2014, n° 361150
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Gaudillère
Rapporteur public ?: M. Xavier Domino
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:361150.20140131
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