Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 4 septembre et 4 décembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Bernard Leclercq Architecture, dont le siège est 11, rue de la Jeunesse à Schoelcher (97233), représentée par son gérant en exercice ; la société Bernard Leclercq Architecture demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 11BX01833 du 5 juin 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 1000051 du 19 mai 2011 par lequel le tribunal administratif de Fort-de-France a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'hôpital du François à lui verser la somme de 75 000 euros en paiement de l'indemnité prévue au règlement de la consultation dans le cadre du marché de conception-réalisation relatif à la reconstruction de l'hôpital du François ou, à titre subsidiaire, d'enjoindre à l'hôpital de communiquer le montant exact et les modalités de calcul de la prime réduite et de procéder à son versement ;
2°) de mettre à la charge de l'hôpital du François le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Natacha Chicot, Auditeur,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Blanc, Rousseau, avocat de la société Bernard Leclercq Architecture, et à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de l'hôpital du François ;
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
1. Considérant qu'aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne " ; que la communication aux parties du sens des conclusions, prévue par ces dispositions, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré ; qu'en conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public ;
2. Considérant qu'il ressort du relevé de l'application " Sagace " que le sens des conclusions du rapporteur public sur l'affaire litigieuse a été porté à la connaissance des parties quatre heures avant le début de l'audience de la cour administrative d'appel de Bordeaux ; que la société Bernard Leclercq Architecture ne peut, dans les circonstances de l'espèce, être regardée comme ayant été mise en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, le sens des conclusions du rapporteur public ; qu'il s'ensuit, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que l'arrêt attaqué a été rendu au terme d'une procédure irrégulière et doit, dès lors, être annulé ;
3. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société Bernard Leclercq Architecture, candidate à l'attribution d'un marché de conception-réalisation relatif à la reconstruction de l'hôpital du François dont la procédure de passation a été annulée par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Fort-de-France en date du 22 décembre 2007, a demandé en vain à l'hôpital le versement de la prime de 75 000 euros prévue par l'article 2.11.4 du règlement de cette consultation ; que, par un jugement du 19 mai 2011 dont elle relève appel, le tribunal administratif de Fort-de-France a rejeté sa demande d'indemnisation ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
5. Considérant, d'une part, que, contrairement à ce que soutient l'hôpital du François, ni la télécopie du 19 février 2008, ni la lettre adressée à la requérante le 29 avril 2008 ne peuvent être regardées comme des décisions refusant explicitement le versement de la prime litigieuse ; qu'elles n'ont ainsi, en tout état de cause, pas été de nature à faire courir le délai de recours contentieux ;
6. Considérant, d'autre part, qu'à supposer que la formation d'un recours juridictionnel tendant à l'octroi d'une provision établisse que l'auteur de ce recours a eu connaissance de la décision refusant le versement de la somme revendiquée, une telle circonstance ne suffit pas, en elle-même, à considérer que la demande présentée par la société Bernard Leclercq Architecture serait tardive ;
Au fond :
7. Considérant qu'aux termes de l'article 37 du code des marchés publics : " Un marché de conception-réalisation est un marché de travaux qui permet au pouvoir adjudicateur de confier à un groupement d'opérateurs économiques ou, pour les seuls ouvrages d'infrastructure, à un seul opérateur économique, une mission portant à la fois sur l'établissement des études et l'exécution des travaux " ; que, selon le I de l'article 69 code des marchés publics, applicable au marché de conception-réalisation lancé par l'hôpital du François : " Les marchés de conception-réalisation définis à l'article 37 sont passés par les pouvoirs adjudicateurs soumis aux dispositions de la loi du 12 juillet 1985 susmentionnée selon la procédure d'appel d'offres restreint sous réserve des dispositions particulières qui suivent : / Un jury est composé dans les conditions fixées par le I de l'article 24. (...) / Le jury dresse un procès-verbal d'examen des candidatures et formule un avis motivé sur la liste des candidats à retenir. Le pouvoir adjudicateur arrête la liste des candidats admis à réaliser des prestations, auxquels sont remises gratuitement les pièces nécessaires à la consultation. Les candidats admis exécutent des prestations sur lesquelles se prononce le jury, après les avoir auditionnés. Ces prestations comportent au moins un avant-projet sommaire pour un ouvrage de bâtiment ou un avant-projet pour un ouvrage d'infrastructure, accompagné de la définition des performances techniques de l'ouvrage. (...) / Le marché est attribué au vu de l'avis du jury. / (...) Le règlement de la consultation prévoit le montant des primes et les modalités de réduction ou de suppression des primes des candidats dont le jury a estimé que les offres remises avant l'audition étaient incomplètes ou ne répondaient pas au règlement de la consultation. Le montant de la prime attribuée à chaque candidat est égal au prix estimé des études de conception à effectuer telles que définies par le règlement de la consultation, affecté d'un abattement au plus égal à 20 %. La rémunération de l'attributaire du marché tient compte de la prime qu'il a reçue " ; que l'article 2.11.4 du règlement de la consultation édicté pour la procédure de passation du marché de conception-réalisation en cause stipulait qu'une prime d'un montant de 75 000 euros hors taxe serait versée aux concurrents ayant remis une prestation conforme à ce règlement, le jury se réservant toutefois la possibilité d'en réduire le montant ou de la supprimer en fonction de critères tenant au contenu et à la qualité des documents transmis ;
8. Considérant, d'une part, que le pouvoir adjudicateur et les candidats sélectionnés par un jury pour exécuter les prestations visant à l'attribution d'un marché de conception-réalisation sont, indépendamment de l'attribution de ce marché, engagés dans un contrat ayant pour objet la remise de prestations conformes aux documents de la consultation et pour prix, conformément aux dispositions du code des marchés publics citées ci-dessus, une prime susceptible d'être réduite ou supprimée sur décision du jury ;
9. Considérant, d'autre part, que, lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ; que, dans l'hypothèse où la procédure de passation d'un marché de conception-réalisation a été annulée, il appartient au juge saisi d'une demande de paiement de la prime par un candidat admis à concourir de déterminer si les vices ayant conduit à l'annulation de la procédure de passation du marché doivent ou non le conduire à écarter l'application du contrat passé par le pouvoir adjudicateur au titre de l'exécution des prestations exécutées dans le cours de cette procédure ;
10. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, pour prononcer l'annulation de la procédure de passation du marché de conception-réalisation, le juge des référés du tribunal administratif de Fort-de-France a relevé que la discordance entre le délai de validité des offres indiqué dans le règlement de la consultation et celui mentionné dans les avis de publicité, était constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence ; que ce vice est toutefois sans incidence sur la validité de l'engagement contractuel relatif au versement de la prime ; que l'hôpital du François n'invoque aucune autre irrégularité et ne fait état d'aucun élément de nature à justifier une réduction du montant de la prime ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, conformément aux termes de l'acte d'engagement du groupement dont le mandataire était la société requérante figurant au dossier, la part de la prime qui revient à celle-ci s'élève à 63 750 euros hors taxe ; que la société Bernard Leclercq Architecture a droit aux intérêts sur cette somme à compter du 6 mai 2008, date de sa demande auprès de l'hôpital du François ; qu'ayant demandé la capitalisation des intérêts échus par un mémoire enregistré le 27 juillet 2011 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, la société a droit à la capitalisation des intérêts échus à cette date, puis à chaque échéance annuelle ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu d'examiner si la société Bernard Leclercq Architecture était recevable à invoquer la responsabilité quasi-délictuelle de l'hôpital du François à l'appui de ses conclusions, que la requérante est fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Fort-de-France ayant rejeté sa demande tendant au versement de la prime et à ce que l'hôpital du François soit condamné à lui verser la somme de 63 750 euros, assortie des intérêts à compter du 6 mai 2008, avec capitalisation des intérêts échus au 27 juillet 2011, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Bernard Leclercq Architecture qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'hôpital du François la somme de 4 500 euros à verser à la société Bernard Leclercq Architecture en application des mêmes dispositions, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, tant devant les juges du fond que devant le Conseil d'Etat ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 5 juin 2012 et le jugement du tribunal administratif de Fort-de-France du 19 mai 2011 sont annulés.
Article 2 : L'hôpital du François est condamné à verser à la société Bernard Leclercq Architecture une somme de 63 750 euros hors taxe. Cette somme portera intérêts à compter du 6 mai 2008 avec capitalisation au 27 juillet 2011 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 3 : L'hôpital du François versera à la société Bernard Leclercq Architecture une somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, tant devant les juges du fond que devant le Conseil d'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Bernard Leclercq Architecture et à l'hôpital du François.