Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 31 octobre 2012 et 1er février 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société civile agricole Canagri, dont le siège est Villa Tergest, 411 rue du Prado à Marseille (13008) ; la société civile agricole Canagri demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 10MA01788 du 31 août 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a, d'une part, annulé le jugement n° 0901862 du tribunal administratif de Nîmes du 11 mars 2010 ainsi que la décision du 6 mai 2009 du préfet du Gard refusant, sur la demande de la société agricole du Canavérier, de la mettre en demeure de demander l'autorisation prévue par l'article L. 331-2 du code rural et a, d'autre part, enjoint au préfet du Gard de réexaminer la demande présentée par la société agricole du Canavérier dans un délai de deux mois à compter de la notification de son arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la requête présentée par la société agricole du Canavérier devant la cour administrative d'appel ;
3°) de mettre à la charge de la société agricole du Canavérier la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code rural ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne-Françoise Roul, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, avocat de la société civile agricole du Canagri et à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de la société agricole du Canavérier ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un bail rural conclu le 10 février 1987 pour la période du 1er janvier 1987 au 31 décembre 2004, la société agricole du Canavérier a donné à bail à la société civile agricole Canagri des terres situées à Saint-Laurent d'Aigouze ; que ces sociétés ont conclu un second bail le 26 avril 2004, pour une période de neuf ans s'étendant du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2013 ; que, le 8 avril 2009, la société agricole du Canavérier a demandé au préfet du Gard de mettre en demeure la société civile agricole Canagri, sur le fondement de l'article L. 331-7 du code rural, de présenter la demande d'autorisation d'exploitation prévue par l'article L. 331-2 ; que, par une décision du 6 mai 2009, le préfet a refusé d'adresser à la société civile agricole Canagri une telle mise en demeure, au motif, en ce qui concerne le premier bail, qu'était acquise la prescription de l'action publique, de trois ans à compter du jour où a commencé l'exploitation, et, en ce qui concerne le second bail, qu'il ne pouvait être regardé comme ayant donné lieu à l'installation ou à l'agrandissement d'une exploitation agricole ; que, par un jugement du 11 mars 2010, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté la demande de la société agricole du Canavérier tendant à l'annulation de cette décision ; que, par un arrêt du 31 août 2012, contre lequel la société civile agricole Canagri se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement ainsi que la décision du préfet du Gard du 6 mai 2009 ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 331-7 du code rural : " Lorsqu'elle constate qu'un fonds est exploité contrairement aux dispositions du présent chapitre, l'autorité administrative met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation (...) / La mise en demeure mentionnée à l'alinéa précédent prescrit à l'intéressé (...) de présenter une demande d'autorisation (...). Si (...) l'autorité administrative constate que l'exploitation se poursuit dans des conditions irrégulières, elle peut prononcer à l'encontre de l'intéressé une sanction pécuniaire " ; que ce dispositif de contrôle et de sanction administrative a été substitué, à compter de la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999, à un dispositif de sanction pénale qui résultait des dispositions de l'article 188-7 de l'ancien code rural, devenu l'article L 331-12 du nouveau code issu de la loi du 22 juillet 1993, qui prévoyaient que, lorsqu'il constatait qu'un fonds était exploité sans qu'ait été demandée l'autorisation requise par les dispositions alors en vigueur, le préfet, après mise en demeure et à défaut de présentation d'une demande d'autorisation par l'exploitant, transmettait le dossier au procureur de la République en vue de l'application des dispositions de l'article 188-9 devenu l'article L. 331-15 du code rural, qui instituaient une sanction pénale ; qu'aux termes de l'article 188-9-1, devenu l'article L. 331-15, applicable au dispositif de sanction pénale antérieur à la loi du 9 juillet 1999 : " Toutes les actions, y compris l'action publique, exercées en application du présent titre se prescrivent par trois ans. Dans tous les cas, la prescription court à partir du jour où a commencé l'exploitation irrégulière ou interdite " ;
3. Considérant qu'aucune disposition de la loi mentionnée ci-dessus du 9 juillet 1999 n'a rendu la sanction administrative qu'elle instaure applicable aux infractions pour lesquelles la prescription prévue par les dispositions précitées de l'article L. 331-15 était acquise à la date de son entrée en vigueur ; qu'ainsi, en jugeant que la circonstance que la prescription de trois ans prévue par les dispositions précitées de l'article 188-9-1 du code rural, en vigueur le 1er janvier 1987, était acquise, était sans incidence sur le pouvoir du préfet d'adresser, en 2009, à la société civile agricole Canagri, la mise en demeure prévue par les dispositions précitées de l'article L. 331-7 du code rural, au motif que l'exploitation des terres situées à Saint-Laurent d'Aigouze par cette société était irrégulière en 1987 et l'était restée après l'entrée en vigueur de la loi, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt du 31 août 2012 doit être annulé ;
4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond par application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
5. Considérant, en premier lieu, qu'il est constant que la société civile agricole Canagri a commencé dès le 1er janvier 1987 à exploiter les terres qui lui ont été données à bail par la société agricole du Canavérier ; qu'à supposer même qu'une autorisation ait été nécessaire préalablement à cette exploitation, il résulte en tout état de cause des dispositions précitées de l'article 188-9-1 du code rural, alors en vigueur, que la prescription qu'elles prévoyaient a été acquise le 1er janvier 1990 ; que, dès lors, le préfet du Gard n'a pas commis d'erreur de droit en fondant sa décision du 6 mai 2009 refusant, en ce qui concerne le premier bail conclu le 10 février 1987, d'adresser à la société civile agricole Canagri la mise en demeure prévue par l'article L. 331-7 du code rural, sur le motif tiré de ce que la prescription prévue par les dispositions, alors applicables, de l'article 188-9-1 du code rural était acquise ;
6. Considérant, en second lieu, qu'aux termes des dispositions de l'article L. 331-2, dans sa rédaction applicable en 2004 : " Sont soumises à autorisation préalable les opérations suivantes : 1° Les installations, les agrandissements ou les réunions d'exploitations agricoles (...) 3° Quelle que soit la superficie en cause, les installations (...) au bénéfice d'une exploitation agricole : / a) Dont l'un des membres ayant la qualité d'exploitant ne remplit pas les conditions de capacité ou d'expérience professionnelle ou a atteint l'âge requis pour bénéficier d'un avantage de vieillesse agricole ; / b) Ne comportant pas de membre ayant la qualité d'exploitant " ;
7. Considérant, d'une part, qu'il ressort des mentions des deux baux ruraux que la société agricole du Canavérier a successivement conclus avec la société civile agricole Canagri qu'alors même qu'une modification de l'état parcellaire serait intervenue, ces baux portent sur les mêmes terres, d'une surface totale de 701 ha, 94 a, 95 ca ; que, dès lors, le second bail, conclu en 2004, ne saurait être regardé comme ayant donné lieu à une opération d'agrandissement ou de réunion d'exploitations agricoles entrant dans le champ d'application des dispositions précitées du 1° de l'article L. 331-2 du code rural ;
8. Considérant, d'autre part, que, pour le bail conclu en 2004, les membres de l'exploitation agricole sont, comme les parcelles concernées, inchangés ; qu'ainsi, à supposer même que Mme B...A..., gérante de la société civile agricole Canagri, aurait été un exploitant ne remplissant pas les conditions de capacité, d'expérience professionnelle ou d'âge prévues par le 3° de l'article L. 331-2 ou n'aurait pas eu la qualité d'exploitant ou encore aurait fait appel à un sous-traitant pour réaliser les travaux agricoles, ce second bail, qui ne saurait être regardé comme ayant donné lieu à l'installation d'une exploitation agricole, n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions précitées du 3° de l'article L. 331-2 du code rural ;
9. Considérant, par suite, que le préfet du Gard n'a pas commis d'erreur de droit en fondant sa décision du 6 mai 2009, en ce qui concerne le bail conclu le 26 avril 2004, sur le motif tiré de ce que la signature de ce bail n'était pas soumise à l'autorisation prévue par les dispositions de l'article L. 331-2 du code rural ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société agricole du Canavérier n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement du 11 mars 2010 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du préfet du Gard du 6 mai 2009 ;
11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société agricole du Canavérier la somme de 4 000 euros à verser à la société civile agricole Canagri au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative pour les frais exposés devant le Conseil d'Etat et la cour administrative d'appel et non compris dans les dépens; que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société civile agricole Canagri la somme que demande la société agricole du Canavérier ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 31 août 2012 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par la société agricole du Canavérier devant la cour administrative d'appel de Marseille est rejetée.
Article 3 : La société agricole du Canavérier versera la somme de 4 000 euros à la société civile agricole Canagri au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société agricole du Canavérier au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Canagri, à la société agricole du Canavérier et au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.