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28/12/2012 | FRANCE | N°350195

France | France, Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 28 décembre 2012, 350195


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 juin et 16 septembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Daniel A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 10NT00672 du 15 avril 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a rejeté l'appel qu'il a formé contre le jugement n° 0301839 du 6 octobre 2005 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant, d'une part, à titre principal, à l'annulation de la d

cision du 11 février 2003 par laquelle le préfet d'Indre-et-Loire a p...

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 juin et 16 septembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Daniel A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 10NT00672 du 15 avril 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a rejeté l'appel qu'il a formé contre le jugement n° 0301839 du 6 octobre 2005 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant, d'une part, à titre principal, à l'annulation de la décision du 11 février 2003 par laquelle le préfet d'Indre-et-Loire a prononcé la déchéance totale de ses droits liés au contrat territorial d'exploitation qu'il avait souscrit le 30 mars 2001 et, à titre subsidiaire, à ce que soit ordonnée une expertise pour établir le caractère imprévisible des difficultés économiques qui l'ont empêché de respecter tous ses engagements et, d'autre part, à faire opposition à l'état exécutoire émis par le centre national d'aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA) le 24 février 2004 en remboursement de l'aide perçue au titre de ce contrat ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le règlement (CE) n° 1257/99 du Conseil du 17 mai 1999 ;

Vu le règlement (CE) n° 2419/2001 de la Commission du 11 décembre 2001 ;

Vu le règlement (CE) n° 445/2002 de la Commission du 26 février 2002 ;

Vu le code rural ;

Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

Vu l'arrêté du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et du ministre de l'agriculture et de la pêche du 8 novembre 1999 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christophe Pourreau, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. A,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. A ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 30 mars 2001, M. Daniel A, éleveur d'ovins à Luynes (Indre-et-Loire), a conclu avec le préfet d'Indre-et-Loire un contrat territorial d'exploitation d'une durée de cinq ans par lequel il s'engageait notamment, au titre de la partie économique et relative à l'emploi du contrat, à maintenir l'emploi d'un salarié sous contrat à durée indéterminée à 75% et à recruter un second salarié sous contrat à durée indéterminée à 75% ; que, le 6 mars 2002, M. A a informé le préfet d'Indre-et-Loire qu'en raison de difficultés économiques exceptionnelles, il avait procédé au licenciement de ses deux salariés à compter du 28 février 2002 ; que, le 11 février 2003, estimant qu'il n'avait pas respecté ses engagements en matière d'emploi, le préfet d'Indre-et-Loire a prononcé la résiliation du contrat territorial d'exploitation et la déchéance totale des droits à subventions de M. A, avec l'obligation de reverser les sommes déjà perçues, assortie des intérêts ; que, le 24 février 2004, le centre national d'aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA) a émis à l'encontre de M. A un titre exécutoire de 8 467,84 euros correspondant au reversement des subventions perçues au titre du contrat territorial d'exploitation, assorties des intérêts ; que, par une décision du 30 décembre 2009, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé l'arrêt du 27 juin 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté la requête de M. A dirigée contre le jugement du 6 octobre 2005 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 11 février 2003 et d'opposition à l'état exécutoire du 24 février 2004 ; que M. A se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 15 avril 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a de nouveau rejeté sa requête ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 311-3 du code rural, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " Toute personne physique ou morale exerçant une activité agricole au sens de l'article L. 311-1 peut souscrire avec l'autorité administrative un contrat territorial d'exploitation qui comporte un ensemble d'engagements portant sur les orientations de la production de l'exploitation, l'emploi et ses aspects sociaux, la contribution de l'activité de l'exploitation à la préservation des ressources naturelles, à l'occupation de l'espace ou à la réalisation d'actions d'intérêt général et au développement de projets collectifs de production agricole. [...] " ; qu'aux termes du I de l'article L. 341-1 du même code, dans sa rédaction applicable à cette date : " I. - L'aide financière de l'Etat aux exploitants agricoles prend la forme de subventions, de prêts ou de bonifications d'intérêts, de remises partielles ou totales d'impôts ou de taxes. [...] / Sauf lorsqu'elle a revêtu la forme de prêts, l'aide financière peut être interrompue [...] si les engagements souscrits dans le cadre du contrat territorial d'exploitation ne sont pas tenus. Dans tous les cas, elle peut donner lieu à remboursement si ces circonstances sont imputables à l'exploitant. " ; qu'aux termes de l'article R. 341-11 du même code, dans sa rédaction applicable à cette date : " Les aides qui peuvent être accordées au titre des contrats territoriaux d'exploitation sont intégrées aux programmations mentionnées à l'article 40 du règlement (CE) n° 1257/1999. " ; qu'aux termes de l'article 6 de l'arrêté du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et du ministre de l'agriculture et de la pêche du 8 novembre 1999 relatif aux aides accordées aux titulaires de contrats territoriaux d'exploitation par le fonds de financement des contrats territoriaux d'exploitation : " [...] Les cas de force majeure doivent être notifiés par l'exploitant ou son ayant droit dans un délai de dix jours ouvrables ; ces cas sont : / - le décès de l'exploitant ; / - l'incapacité professionnelle de longue durée de l'exploitant ; / - l'expropriation d'une partie importante de l'exploitation, si cette expropriation n'était pas prévisible le jour de la souscription de l'engagement ; / - une catastrophe naturelle grave qui affecte de façon importante la surface agricole de l'exploitation ; / - la destruction accidentelle des bâtiments de l'exploitation destinés à l'élevage ; / - une épizootie touchant tout ou partie du cheptel de l'exploitant. / La constatation de force majeure libère les cocontractants de leurs obligations respectives. [...] " ;

3. Considérant que la Cour de justice des Communautés européennes a jugé, notamment dans ses arrêts du 13 octobre 1993, An Bord Bainne Co-operative Ltd, aff. C-124/92, et du 7 décembre 1993, Edmond Huygen, aff. C-12/92, que, dans le domaine des aides à l'agriculture, la notion de force majeure n'est pas limitée à celle d'impossibilité absolue, mais doit être entendue dans le sens de circonstances étrangères à l'opérateur concerné, anormales et imprévisibles, dont les conséquences n'auraient pu être évitées qu'au prix de sacrifices excessifs, malgré toutes les diligences déployées ;

4. Considérant qu'en se bornant à relever que les difficultés économiques invoquées par M. A pour justifier le licenciement de ses deux salariés n'entraient dans aucune des catégories de force majeure énumérées à l'article 6 de l'arrêté du 8 novembre 1999, pour en déduire que le préfet d'Indre-et-Loire avait pu prononcer la déchéance totale de l'aide dont bénéficiait M. A au titre du contrat territorial d'exploitation qu'il avait souscrit, sans examiner si ces difficultés s'analysaient comme des circonstances étrangères à l'intéressé, anormales et imprévisibles, dont le requérant n'aurait pu éviter les conséquences qu'au prix de sacrifices excessifs, malgré toutes les diligences déployées, la cour administrative d'appel de Nantes a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que M. A est fondé, pour ce motif, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

5. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire. " ; qu'il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond ;

6. Considérant, en premier lieu, que, si, dans son mémoire complémentaire du 16 septembre 2011, M. A soutient que la décision du préfet d'Indre-et-Loire du 11 février 2003 a méconnu les dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations et de l'article 6 de l'arrêté du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et du ministre de l'agriculture et de la pêche du 8 novembre 1999, ce moyen, qui procède d'une cause juridique distincte de celle à laquelle se rattachaient les moyens développés dans le délai d'appel est, en tout état de cause, irrecevable ;

7. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article R. 341-9 du code rural, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " Le projet de contrat territorial d'exploitation doit comporter tous les éléments nécessaires pour apprécier s'il répond aux objectifs fixés dans l'article L. 311-3, et notamment : / [...] 2° Le détail des engagements pris par l'exploitant [...] ; doivent être précisées à cette occasion : / [...] c) La portée sociale du projet, notamment ses conséquences prévisibles sur le maintien et le développement de l'emploi ; le contractant doit s'engager au minimum à maintenir l'effectif des emplois non salariés de l'exploitation et, le cas échéant, l'effectif des salariés sous contrat de travail à durée indéterminée ainsi que le volume annuel d'heures de travail salarié réalisées sous contrat de travail à durée déterminée, ceci pour une durée fixée par le contrat qui ne peut être inférieure à deux ans à compter de sa signature. [...] " ; qu'aux termes de l'article R. 341-15 du même code, dans sa rédaction applicable à cette date : " L'exploitant est tenu de respecter ses engagements pendant la totalité de la durée du contrat [...]. / Lorsque le titulaire d'un contrat territorial d'exploitation ne se conforme pas à l'un de ses engagements ou fait une fausse déclaration, les subventions prévues au contrat sont suspendues, réduites ou supprimées dans les conditions prévues à l'article 48 du règlement (CE) n° 1750/1999 de la Commission du 23 juillet 1999. / Si la cohérence du contrat territorial d'exploitation est remise en cause du fait de l'importance des engagements non respectés, le préfet peut le résilier après avoir recueilli l'avis de la commission départementale d'orientation de l'agriculture. L'exploitant est préalablement mis en mesure de présenter ses observations. " ; qu'aux termes de l'article 62, paragraphe 3, du règlement n° 445/2002 du 26 février 2002 reprenant certaines des dispositions de l'article 48 du règlement (CE) n° 1750/1999 de la Commission du 23 juillet 1999 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 1257/1999 du Conseil concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole : " 3. En cas de paiement indu, le bénéficiaire d'une mesure de développement rural concerné a l'obligation de rembourser ces montants conformément aux dispositions de l'article 49 du règlement (CE) n° 2419/2001. " ; qu'aux termes de l'article 49, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 2419/2001 de la Commission du 11 décembre 2001 portant modalités d'application du système intégré de gestion et de contrôle relatif à certains régimes d'aides communautaires établis par le règlement (CEE) n° 3508/92 du Conseil : " 1. En cas de paiement indu, l'exploitant rembourse les montants en cause, majorés d'intérêts calculés conformément au paragraphe 3. " ;

8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le maintien dans l'emploi d'un salarié en contrat de travail à durée indéterminée et le recrutement d'un second salarié sous le même statut constituaient des engagements centraux de la partie économique et relative à l'emploi du contrat territorial d'exploitation conclu par M. A ; qu'après avoir recruté un second salarié en contrat à durée indéterminée le 21 mai 2001, M. A a licencié ses deux salariés dès le 28 février 2002 ; qu'ainsi, il n'a pas respecté l'un des engagements centraux du contrat territorial d'exploitation ; que, si M. A justifie ces licenciements par la situation très déficitaire de son exploitation, une telle situation ne peut être regardée ni comme étrangère à l'intéressé, ni comme anormale et imprévisible ; que, dès lors, elle n'a pas le caractère de force majeure ; qu'il en résulte que le préfet d'Indre-et-Loire, en demandant à M. A le remboursement des aides perçues, majorées des intérêts dus, et en résiliant le contrat territorial d'exploitation qu'il avait souscrit, n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation et a fait une exacte application des dispositions précitées ; que l'opposition de M. A à l'état exécutoire du 24 février 2004 est, par voie de conséquence, elle aussi, infondée ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 11 février 2003 et d'opposition à l'état exécutoire du 24 février 2004 ; que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 15 avril 2011 est annulé.

Article 2 : La requête présentée par M. A devant la cour administrative d'appel de Nantes est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. A au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Monsieur Daniel A, au ministre de l'intérieur, au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.

Copie pour information en sera transmise à l'agence de services et de paiement.


Synthèse
Formation : 3ème et 8ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 350195
Date de la décision : 28/12/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 28 déc. 2012, n° 350195
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Christophe Pourreau
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher
Avocat(s) : SCP LE BRET-DESACHE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:350195.20121228
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