Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 juin et 20 septembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le Conseil national de l'ordre des médecins, dont le siège est 180 boulevard Haussmann, à Paris (75008), représenté par son président ; le conseil national demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 31 mars 2011 fixant la liste des formations qualifiantes et la réglementation des diplômes d'études spécialisées en odontologie ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
Vu la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 ;
Vu le code de l'éducation ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le décret n° 2011-22 du 5 janvier 2011 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Louis Dutheillet de Lamothe, Auditeur,
- les observations de la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins et de la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du Conseil national des chirurgiens-dentistes,
- les conclusions de M. Rémi Keller, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du Conseil national des chirurgiens-dentistes ;
1. Considérant que le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a intérêt au maintien de la décision attaquée ; qu'ainsi son intervention en défense est recevable ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 634-1 du code de l'éducation : " Le troisième cycle long des études odontologiques, dénommé internat en odontologie, est accessible par concours national aux étudiants ayant obtenu la validation du deuxième cycle des études odontologiques. / Les étudiants nommés à l'issue du concours en qualité d'interne en odontologie peuvent accéder à des formations qualifiantes de troisième cycle dont la liste est fixée par les ministres chargés de l'enseignement supérieur et de la santé. (...)/ Après validation de ce troisième cycle et soutenance d'une thèse, les internes obtiennent en plus du diplôme d'Etat de docteur en chirurgie dentaire un diplôme mentionnant la qualification obtenue. " ; qu'aux termes de l'article 9 du décret du 5 janvier 2011 relatif à l'organisation du troisième cycle long des études odontologiques : " La liste des formations qualifiantes du troisième cycle long des études odontologiques est fixée par arrêté des ministres chargés de l'enseignement supérieur et de la santé. Certaines formations peuvent être communes à la médecine et à l'odontologie. " ; qu'en vertu des dispositions des articles R. 4127-70 et R. 4127-204 du code de la santé publique, relatifs respectivement à la déontologie des médecins et des chirurgiens-dentistes, ceux-ci sont autorisés à effectuer les actes, donner les soins et formuler les prescriptions qui ressortissent à leur compétence professionnelle ;
3. Considérant que l'arrêté attaqué, pris en application des dispositions de l'article 9 du décret du 5 janvier 2011 pour définir les formations dispensées dans le cadre de l'internat en odontologie, crée une formation qualifiante commune, destinée à des étudiants de troisième cycle internes en odontologie et à des étudiants de troisième cycle internes en médecine, conduisant à l'obtention d'un diplôme d'études spécialisées de chirurgie orale ; que la formation théorique en chirurgie orale décrite en annexe de l'arrêté attaquée comprend, notamment, la formation à la chirurgie du péri-apex et des kystes des maxillaires odontogènes ou non odontogènes, la chirurgie préprothétique et implantaire, l'étude des pathologies tumorales bénignes, les pathologies salivaires et la prise en charge orthodontico-chirurgicale et orthognatique ; que la même annexe prévoit que ce cursus universitaire comprend notamment une formation pratique intégrant au moins trois semestres dans un service spécialisé en odontologie et trois semestres dans un service spécialisé en chirurgie maxillo-faciale ; qu'au terme de cette formation commune, les internes en odontologie et les internes en médecine qui l'ont suivie, qui se voient décerner respectivement, dans les conditions prévues aux articles L. 632-4 et L. 634-1 du code de l'éducation, les titres distincts de docteur d'Etat en chirurgie dentaire et de docteur d'Etat en médecine et sont inscrits, pour pratiquer leur art, dans leurs ordres professionnels respectifs, sont titulaires du même diplôme d'études spécialisées en chirurgie orale ; qu'en application des dispositions des articles R. 4127-70 et R. 4127-204 du code de la santé publique, tant les médecins spécialisés en chirurgie orale que les chirurgiens dentistes ayant la même spécialité, peuvent légalement pratiquer de manière habituelle tous les actes relevant de cette spécialité sans manquer à leur déontologie ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des termes mêmes de l'article L. 4122-1 du code de la santé publique, selon lequel le Conseil national de l'ordre des médecins " étudie les questions ou projets qui lui sont soumis par le ministre chargé de la santé ", que la consultation de ce conseil n'était pas obligatoire, contrairement à ce qui est soutenu ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions des articles L. 632-2 et L. 634-1 du code de l'éducation, relatives au troisième cycle des études médicales et au troisième cycle des études odontologiques ne font pas obstacle à ce que le pouvoir règlementaire, à qui ces mêmes dispositions confient le soin de déterminer le contenu et les modalités des formations, institue des formations qualifiantes communes à ces deux cursus universitaires ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'article 9 du décret du 5 janvier 2011 et l'arrêté attaqué méconnaissent ces dispositions doit être écarté ;
6. Considérant, en troisième lieu, que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que des recrutements différenciés soient instaurés pour tenir compte de la différence de situation entre les étudiants en médecine et les étudiants en odontologie, eu égard, notamment, aux durées respectives de leurs études ;
7. Considérant, en quatrième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que les compétences attestées par le diplôme de chirurgie orale institué par l'arrêté attaqué relèvent tant des disciplines médicales de la stomatologie et de la chirurgie maxillo-faciale que des disciplines de l'art dentaire ; qu'eu égard à leur formation initiale et au fait que les étudiants en odontologie sélectionnés pour préparer ce diplôme bénéficient d'une formation complémentaire dans les disciplines médicales, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'auteur du décret a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que les étudiants en odontologie sont susceptibles d'acquérir durant le temps de leur internat les connaissances médicales nécessaires à la pratique des actes auxquels ils sont formés ;
8. Considérant toutefois, en dernier lieu, que les articles 34 et 35 de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, invoquée par le Conseil national de l'ordre des médecins, définissent la formation de base de praticien de l'art dentaire et la formation de praticien de l'art dentaire spécialiste ; que les articles 24 et 25 de la même directive définissent la formation médicale de base et la formation de médecin spécialiste ; qu'aux termes de l'article 36 de la même directive : " (...) 2. La profession de praticien de l'art dentaire repose sur la formation dentaire visée à l'article 34 et constitue une profession spécifique et distincte de celle de médecin, qu'il soit ou non spécialisé. L'exercice des activités professionnelles de praticien de l'art dentaire suppose la possession d'un titre de formation visé à l'annexe V, point 5.3.2. (...) 3. Les Etats membres veillent à ce que les praticiens de l'art dentaire soient habilités d'une manière générale à accéder aux activités de prévention, de diagnostic et de traitement concernant les anomalies et maladies des dents, de la bouche, des mâchoires et des tissus attenants (...) " ;
9. Considérant que la réponse au moyen tiré de ce que l'article 9 du décret du 5 janvier 2011 et l'arrêté attaqué, pris en application de cet article, sont incompatibles avec ces dispositions, aux motifs que les matières enseignées dans le cadre de la nouvelle formation de troisième cycle accessible tant aux étudiants en médecine qu'aux étudiants en odontologie relèvent de spécialités médicales au sens de la directive 2005/36/CE et que la création d'un internat commun crée une profession commune à des médecins et à des dentistes, dépend de la question de savoir, d'une part, si la directive autorise un Etat membre à instaurer une formation qualifiante commune qui conduit des médecins et des dentistes à pratiquer la même spécialité et, d'autre part, si les dispositions de la directive relatives aux spécialités rattachées à la médecine doivent s'entendre comme visant tout ou partie de la formation en chirurgie orale détaillée en annexe de l'arrêté attaqué et rappelée au point 3 de la présente décision ;
10. Considérant que ces questions sont déterminantes pour la solution du litige que doit trancher le Conseil d'Etat ; qu'elles présentent une difficulté sérieuse ; qu'il y a lieu, par suite, d'en saisir la Cour de justice de l'Union européenne en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur la requête du Conseil national de l'ordre des médecins ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes est admise.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête présentée par le Conseil national de l'ordre des médecins jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :
1°) L'exigence de spécificité de la profession de praticien de l'art dentaire posée par l'article 36 de la directive 2005/36/CE fait-elle obstacle à la création d'une formation qualifiante de troisième cycle universitaire commune aux étudiants en médecine et en art dentaire '
2°) Les dispositions de la directive relatives aux spécialités rattachées à la médecine doivent-elles s'entendre comme excluant que des disciplines telles que celles énumérées au point 3 de la présente décision soient comprises dans une formation à l'art dentaire '
Article 3 : La présente décision sera notifiée au Conseil national de l'ordre des médecins, à la ministre des affaires sociales et de la santé, à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et au président de la Cour de Justice de l'Union européenne.
Copie en sera adressée au Premier ministre.