Vu le pourvoi, enregistré le 12 mai 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour Mme Zahra A, domiciliée ...; Mme A demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 14 janvier 2010 par lequel la cour régionale des pensions de Paris, réformant le jugement du 23 janvier 2008 du tribunal départemental des pensions de Paris, n'a condamné l'Etat qu'à lui verser les arrérages revalorisés au taux plein afférents aux années 1998 à 2001, ainsi que les intérêts moratoires ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment ses articles 61-1 et 62 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
Vu la déclaration gouvernementale du 19 mars 1962 relative à la coopération économique et financière entre la France et l'Algérie,
Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;
Vu la loi n° 59-1454 du 26 décembre 1959, notamment son article 71-1 ;
Vu la loi n° 81-734 du 3 août 1981 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002, notamment son article 68 ;
Vu la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010, notamment son article 211 ;
Vu la décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010 du Conseil constitutionnel ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Nadia Bergouniou-Gournay, Maître des Requêtes en service extraordinaire,
- les observations de la SCP Odent, Poulet, avocat de Mme A,
- les conclusions de M. Cyril Roger-Lacan, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Odent, Poulet, avocat de Mme A ;
Sur le pourvoi principal :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Mohamed Sahali, ressortissant algérien, a servi dans l'armée française en qualité d'engagé, puis réengagé volontaire du 15 mars 1939 au 22 avril 1962, date à laquelle il a trouvé la mort en service ; qu'à la suite de son décès, sa veuve, Mme A, a bénéficié d'une pension de réversion qui a été cristallisée et transformée en indemnité personnelle et viagère à compter du 23 avril 1962, en application de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 portant loi de finances pour 1960, puis de l'article 26 de la loi de finances rectificative du 3 août 1981 avant d'être revalorisée, à compter du 1er janvier 1999, en application des dispositions de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 portant loi de finances rectificative pour 2002 ; que par courrier adressé au Premier ministre le 3 septembre 2001, Mme A a sollicité d'une part, le rétablissement dans ses droits patrimoniaux lésés par la transformation de la pension en indemnité viagère cristallisée, d'autre part, le paiement du différentiel entre la pension qu'aurait dû percevoir le défunt et le montant de l'indemnité viagère effectivement versée et ce, depuis la date de jouissance à la date du décès, soit le 23 avril 1962, avec les intérêts moratoires capitalisés ; que par un jugement du 23 janvier 2008, le tribunal départemental des pensions de Paris a jugé que la cristallisation de la pension concédée était illégale et que Mme A était fondée à recevoir les arrérages échus de sa pension de réversion à compter du 23 avril 1962, avec les intérêts capitalisés ; que saisie d'un appel du ministre de la défense, la cour régionale des pensions de Paris a, par un arrêt du 14 janvier 2010, réformé le jugement du tribunal et limité les droits de Mme A aux arrérages revalorisés au taux plein afférents à l'année 2001, au cours de laquelle la demande a été déposée, et aux trois années antérieures, soit à compter du 1er janvier 1998 ; que Mme A se pourvoit contre l'arrêt attaqué en tant qu'il a réformé le jugement du tribunal départemental des pensions ;
Considérant, en premier lieu, que contrairement à ce qui est soutenu, la cour régionale des pensions n'a pas jugé que la pension de réversion de Mme A avait pu être légalement transformée en indemnité viagère cristallisée ; qu'elle a au contraire reconnu, après avoir rappelé la chronologie des décisions prises, que Mme A avait droit à une pension de réversion à taux plein, par suite de l'incompatibilité des dispositions de l'article 26 de la loi du 3 août 1981 et de l'article 68 de la loi du 30 décembre 1982 avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, combinées avec l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ; que, par suite, Mme A n'est pas fondée à soutenir que la cour aurait entaché son arrêt d'erreur de droit en ne tirant pas les conséquences de l'article 15 de la déclaration gouvernementale du 19 mars 1962 relative à la coopération économique et financière entre la France et l'Algérie ;
Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L.108 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre : " Lorsque, par suite du fait personnel du pensionné, la demande de liquidation ou de révision de la pension est déposée postérieurement à l'expiration de la troisième année qui suit celle de l'entrée en jouissance normale de la pension, le titulaire ne peut prétendre qu'aux arrérages afférents à l'année au cours de laquelle la demande a été déposée et aux trois années antérieures " ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A a présenté au Premier ministre, le 3 septembre 2001, une demande tendant à la revalorisation de la pension pour mettre fin aux effets de la cristallisation dont elle fait l'objet en application de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 ; que cette demande s'analyse comme une demande de liquidation d'une pension, au sens de ces dispositions ; que, dès lors, en faisant application des dispositions de l'article L. 108 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre à la demande de Mme A et en jugeant, par un arrêt suffisamment motivé, que c'était du fait personnel de l'intéressée, qui aurait pu déposer sa demande antérieurement, que cette demande n'avait été adressée au ministre de la défense qu'en 2001, la cour régionale des pensions de Paris n'a pas commis d'erreur de droit ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de Mme A doit être rejeté ;
Sur le pourvoi incident du ministre de la défense et des anciens combattants :
Considérant que, par la voie du pourvoi incident, le ministre de la défense et des anciens combattants demande l'annulation de l'arrêt attaqué pour tirer les conséquences de la décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010 par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 de finances rectificative pour 2002 contraires à la Constitution et a jugé qu'il appartenait au législateur de prévoir une application aux instances en cours à la date de sa décision des dispositions qu'il adopterait en vue de remédier à l'inconstitutionnalité constatée ; que le pourvoi du ministre de la défense se rattache au même litige relatif à la pension que celui que soulève le pourvoi principal ; qu'il est par suite recevable ;
Considérant, toutefois, que la cour régionale des pensions de Paris ne s'est pas, dans l'arrêt attaqué du 14 janvier 2010, fondée, pour statuer sur les droits à pension de Mme A, sur les dispositions de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 de finances rectificative pour 2002, qu'elle a écartées au motif de leur incompatibilité avec les articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er de son premier protocole additionnel ; que la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2010 ne conduit dès lors pas à remettre en cause, dans les conditions et limites définies par le paragraphe VI de l'article 211 de la loi de finances pour 2011, l'arrêt attaqué ; que, par suite, le ministre n'est pas fondé à demander l'annulation de cet arrêt ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de Mme A est rejeté.
Article 2 : Le pourvoi incident du ministre de la défense et des anciens combattants est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme Zahra A, au ministre de la défense et au ministre de l'économie, des finances et du commerce extérieur.