Vu le pourvoi, enregistré le 8 avril 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 09NC00886 du 4 février 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel qu'il a interjeté du jugement n° 0605957 du 12 février 2009 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a prononcé la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle M. et Mme Jean-Daniel A ont été assujettis au titre de l'année 2001, ainsi que des pénalités correspondantes ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, Auditeur,
- les observations de Me Le Prado, avocat de M. et Mme A,
- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Le Prado, avocat de M. et Mme A ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société holding MCH Finances, dont le capital était détenu directement ou indirectement par des personnes physiques membres des familles C, A, B et D à hauteur respectivement de 38,32 %, de 25,85 %, de 30,53 % et de 5,30%, détenait plusieurs filiales exerçant leur activité dans le secteur de la grande distribution ; qu'au décès de M. Marc B, les membres de la famille B ont manifesté l'intention de céder leur participation au capital ; que les membres des familles C, A et D, désireux de poursuivre l'activité structurée autour de la société MCH Finances, ont alors constitué, le 19 juillet 2001, une nouvelle société holding, la société MCH Gestion, qui a procédé le 27 août 2001 au rachat sans paiement immédiat de l'ensemble des filiales détenues par la société MCH Finances moyennant un prix de 58 820 000 francs, incluant des titres de participations pour 38 137 596 francs et des créances rattachées d'un montant de 20 682 404 francs ; que, le 8 septembre 2001, les familles C, D et A ont fait apport à la société MCH Gestion d'une partie des titres de la société MCH Finances pour un montant total de 37 299 990 francs, le capital de la société MCH Gestion s'élevant après cette opération à 38 379 427 francs ; que la totalité des titres de la société MCH Finances a ensuite été cédée, le 11 septembre 2001, à la société financière Fuscoc, spécialisée dans le désinvestissement, pour un prix de 115 952 000 francs, légèrement inférieur au montant de l'actif net de la société MCH Finances ; que la société MCH Finances a été dissoute par fusion-absorption en décembre 2001, quelques mois après la cession de ses titres à la société Fuscoc ; que l'administration fiscale a regardé ce montage comme constitutif d'un abus de droit au motif qu'il répondrait au but exclusif de permettre aux familles d'actionnaires d'échapper, grâce à la taxation proportionnelle des plus-values sur cessions de titres, à la progressivité de l'impôt sur le revenu à laquelle leurs membres auraient normalement été soumis pour l'appréhension du revenu distribué constitué par les liquidités de la société MCH Finances, imposable dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ; qu'elle a procédé aux redressements correspondants sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; que les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles M. et Mme A ont été assujettis au titre de l'année 2001 par suite de ces redressements, ainsi que les pénalités correspondantes, ont été mises en recouvrement le 30 avril 2006 pour un montant total de 436 167 euros ; que, par un jugement du 12 février 2009, le tribunal administratif de Strasbourg a déchargé M. et Mme A de ces suppléments d'impôt et de ces pénalités ; que, par un arrêt du 4 février 2010, contre lequel le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Nancy a confirmé ce jugement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : / (...) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus (...). / L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement " ; qu'il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif ou bien, à défaut, recherchent le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs et n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ; que l'administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l'intention du contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales ; que, dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l'opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, ainsi que l'a relevé la cour, les membres des familles A, D et C soutenaient, d'une part, avoir pour objectifs, compte tenu de l'intention de la famille Médoc de céder sa participation dans le capital de la société MCH Finances, de poursuivre l'activité de holding qui était exercée par cette société et l'activité commerciale de ses filiales, de préserver l'équilibre entre les différents actionnaires en évitant que l'un d'entre eux n'acquière une position dominante et de faire en sorte que la participation de la famille Médoc soit valorisée à son juste prix, et, d'autre part, que, pour atteindre ces objectifs, ils n'étaient pas en mesure de procéder eux-mêmes au rachat direct des parts de la famille Médoc dans le capital de la société MCH Finances et n'identifiaient aucun repreneur intéressé par un tel rachat ; qu'il ressort par ailleurs des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les familles A, D et C ont procédé à la création d'une nouvelle société holding, la société MCH Gestion, qui a racheté sans paiement immédiat l'ensemble des filiales détenues par la société MCH Finances ; que, après que le capital de la nouvelle société holding eut été augmenté, grâce à l'apport, par les familles C, A et D, de titres de la société MCH Finances pour un montant à peu près égal à la valeur des filiales, la totalité des titres de la société MCH Finances a été cédée à la société financière Fuscoc pour un prix de 115 952 000 francs, légèrement inférieur au montant de l'actif de la société MCH Finances, qui ne se composait plus que de liquidités et de la créance détenue sur la société MCH Gestion, la société Fuscoc n'ayant effectivement versé, pour le paiement de ce prix, qu'une somme à peu près égale au montant de ces liquidités, diminué d'une somme de 6,554 millions de francs ; que l'administration fiscale a soutenu devant la cour que le montage ainsi mis en place n'avait pas d'autre résultat, après cession des titres de la société MCH Finances à un groupe spécialisé dans le désinvestissement, contre paiement d'un prix correspondant en réalité au montant des liquidités logées dans la société MCH Finances, diminué d'une " commission " versée au cessionnaire, puis dissolution de la société MCH Finances, que celui qui aurait été atteint par l'utilisation des liquidités de la société MCH Finances qui auraient été appréhendées par les familles Cerf- Klein, A et D en vue de racheter les parts de la famille B dans le respect des objectifs, rappelés ci-dessus, qu'elles s'étaient fixés ; que l'administration en déduisait que le montage en litige devant la cour avait été mis en place à seule fin de bénéficier d'une application des textes prévoyant l'imposition des plus-values de cession des titres à un taux proportionnel, en donnant à l'appréhension des liquidités de la société MCH Finances qui étaient nécessaires aux trois familles en cause, normalement soumise à l'imposition au taux progressif des revenus de capitaux mobiliers, l'apparence d'une cession de valeurs mobilières, et qu'il n'avait pu être inspiré par aucun motif autre que celui d'atténuer ainsi les charges fiscales que ces contribuables auraient normalement supportées ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le montage décrit ci-dessus a permis aux associés qui le souhaitaient de poursuivre l'activité de holding exercée par la société MCH Finances et l'activité commerciale de ses filiales, grâce à l'appréhension des liquidités de cette société nécessaires au rachat des parts détenues par la famille B, en étant imposés au taux proportionnel d'imposition des plus-values sur cession de titres ; qu'aucun motif autre que fiscal de nature à justifier le montage litigieux n'a été valablement mis en avant ; que, par ailleurs, la diminution du prix de vente des titres de la société MCH Finances, à hauteur d'une somme que la cour a elle-même qualifiée de " commission prise par l'acquéreur ", révélait un service rendu par la société Fuscoc, spécialisée dans le désinvestissement, en permettant de donner à l'appréhension des liquidités de la société MCH Finances l'apparence d'une cession de titres ; qu'il ressortait ainsi des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, compte tenu des éléments dont se prévalait l'administration sans être valablement contredite, le montage litigieux avait permis, dans un but exclusivement fiscal, une appréhension de liquidités ayant la nature d'une distribution irrégulière de revenus et que l'application littérale des textes sur l'imposition au taux proportionnel des plus-values sur cession de titres était contraire aux objectifs poursuivis par leurs auteurs, lesquels n'ont pas entendu qu'ils soient applicables à une distribution de revenus ;
Considérant, dès lors, qu'en jugeant que le montage en litige devant elle ne pouvait être regardé comme répondant au but exclusif des contribuables d'atténuer les charges fiscales qu'ils auraient dû normalement supporter eu égard à leur situation et à leurs activités réelles et ne procédait pas de la recherche du bénéfice d'une application littérale des textes relatifs au régime des plus-values sur cessions de titres à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, et en écartant par suite la qualification d'abus de droit, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ; que si les contribuables soutiennent, pour la première fois devant le Conseil d'Etat, qu'il n'est pas établi que ce montage leur aurait permis de minorer l'impôt effectivement dû, compte tenu du mécanisme de l'avoir fiscal, cette argumentation est nouvelle en cassation et est, par suite et en tout état de cause, sans incidence sur le bien-fondé de l'arrêt de la cour ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 4 février 2010 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nancy.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. et Mme A au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT, PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT, et à M. et Mme Jean-Daniel A.