Vu le pourvoi, enregistré le 7 février 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES ; le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 09PA05290 du 2 décembre 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0701206 du 25 juin 2009 par lequel le tribunal administratif de Paris avait annulé la décision en date du 18 mai 2006 par laquelle il avait refusé le changement de nom patronymique de M. Franck A en celui de " B ", " C " ou " D " ainsi que la décision implicite rejetant le recours gracieux formé par l'intéressé ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Constance Rivière, Maître des requêtes,
- les observations de Me Blondel, avocat de M. A,
- les conclusions de M. Damien Botteghi, rapporteur public,
La parole ayant à nouveau été donnée à Me Blondel, avocat de M. A ;
Considérant qu'aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré " ;
Considérant qu'aux termes de l'article 61-4 de ce code : " Mention des décisions de changement de prénoms et de nom est portée en marge des actes de l'état civil de l'intéressé et, le cas échéant, de ceux de son conjoint et de ses enfants " ; que selon le dernier alinéa de l'article 76 du code civil : " En marge de l'acte de naissance de chaque époux, il sera fait mention de la célébration du mariage et du nom du conjoint " ; qu'aux termes de l'article 264 du même code : " A la suite d'un divorce, chacun des époux perd l'usage du nom de son conjoint. / L'un des époux peut néanmoins conserver l'usage du nom de l'autre, soit avec l'accord de celui-ci, soit avec l'autorisation du juge, s'il justifie d'un intérêt particulier pour lui ou pour les enfants " ; qu'aux termes de l'article 300 du même code, relatif aux conséquences de la séparation de corps lors d'un divorce : " Chacun des époux séparés conserve l'usage du nom de l'autre. Toutefois, le jugement de séparation de corps ou un jugement postérieur peut, compte tenu des intérêts respectifs des époux, le leur interdire " ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le changement de nom décidé en application de l'article 61 du code civil a pour conséquence la modification définitive de l'état civil alors que le nom du conjoint ne peut être porté qu'à titre d'usage tant que dure l'union matrimoniale, sous réserve, le cas échéant, de conventions entre époux divorcés ou de décisions de justice ; qu'en raison de ces différences et afin d'éviter tout risque de confusion, le garde des sceaux est tenu de s'opposer à ce qu'une personne, dont l'intérêt légitime à changer de nom a été reconnu, prenne le nom de son conjoint en application de l'article 61 du code civil ;
Considérant d'autre part que, lorsque le nouveau nom choisi par le demandeur s'apparente au nom du conjoint, le garde des sceaux peut opposer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, le risque de confusion pour refuser le nom proposé ;
Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que M. A, marié le 8 juillet 1995 à Mlle Isabelle E et père de trois enfants nés de cette union, a demandé au GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES l'autorisation de changer de nom, en raison de sa consonance étrangère, et de lui substituer celui de " B ", proche de celui de son épouse, ou celui de " C " ou " D ", qui sont respectivement les noms de la mère et de la grand-mère de son épouse ; que le garde des sceaux, après avoir admis que M. A justifiait d'un intérêt légitime pour demander à abandonner son nom en raison de sa consonance étrangère, a refusé de faire droit à sa demande au motif qu'un époux ne peut être autorisé à porter le nom de son conjoint, ou un nom s'approchant, ou encore le nom d'un membre de la famille de ce conjoint ;
Considérant qu'il ressort en l'espèce des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le choix du nom de " B " ne s'explique que par sa proximité orthographique et phonétique avec le nom de son épouse ; qu'il présente un risque important de confusion avec le nom de cette dernière ; que dès lors, en jugeant que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES avait commis une erreur de droit en opposant au requérant un motif d'intérêt général tiré de ce que l'intéressé ne peut être autorisé à changer son nom pour celui de son épouse et en assimilant les patronymes de " B " et " E ", la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;
Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit en jugeant que les dispositions du code civil ne s'opposaient pas à ce que le nom sollicité dans le cadre d'une demande de changement de nom puisse être celui du conjoint du demandeur ;
Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A à l'appui de sa demande ;
Considérant qu'aucune règle ne fait par elle-même obstacle à ce que le nom demandé soit un nom appartenant au patrimoine onomastique de la famille du conjoint du demandeur ; que le garde des sceaux ne fait valoir aucun motif d'intérêt général justifiant qu'il s'oppose, en l'espèce, à ce que M. A change son nom en " D " ou " C " ; que le refus opposé est, par suite, entaché d'illégalité ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé sa décision du 18 mai 2006, ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux contre cette décision, en tant qu'elle n'autorise pas M. A a substituer à son nom celui de " C " ou " D " ;
Considérant qu'il y a lieu d'enjoindre au garde des sceaux de réexaminer la demande de changement de nom de M. A dans un délai de deux mois à compter de la présente décision ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 2 décembre 2010 est annulé.
Article 2 : La requête du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES devant la cour administrative d'appel de Paris est rejetée.
Article 3 : Il est enjoint au GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES de réexaminer la demande de changement de nom de M. A dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 4 : L'Etat versera à M. A une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES et à M. Franck A.