Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 mai et 11 août 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Mohammed A, demeurant au ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 06PA01346 du 7 mars 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 9908308 du 7 février 2006 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 1991, 1992 et 1993 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention conclue le 17 mai 1982 entre la France et l'Algérie en vue d'éliminer les doubles impositions ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, Auditeur,
- les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de M. A,
- les conclusions de M. Laurent Olléon, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de M. A ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A contestait devant la cour administrative d'appel de Paris la régularité de l'examen de situation fiscale personnelle dont il a fait l'objet au titre des années 1991 à 1993, au motif que l'administration s'était bornée à rechercher des crédits bancaires et à les imposer, sans mener un contrôle de la cohérence globale entre les revenus déclarés par le contribuable d'une part et sa situation patrimoniale, de trésorerie et les éléments de son train de vie d'autre part ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, qui était opérant dès lors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que c'est au cours de cet examen que le vérificateur avait obtenu les éléments sur lesquels il s'est fondé pour estimer que M. A était passible de l'impôt sur le revenu à raison de la localisation en France de son domicile fiscal, la cour a insuffisamment motivé son arrêt qui doit, dès lors, être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;
Sur le domicile fiscal de M. A :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 4 A du code général des impôts : Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus. Celles dont le domicile fiscal est situé hors de France sont passibles de cet impôt en raison de leurs seuls revenus de source française. ; qu'aux termes de l'article 4 B du même code : 1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : a. Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ; b. Celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu'elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ; c. Celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques. ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le contrôle dont M. A a fait l'objet au titre des années 1991 à 1993 a révélé qu'il avait disposé durant cette période de sommes d'un montant élevé, portées au crédit de comptes courants ouverts dans les écritures d'établissements bancaires domiciliés en France, dont il n'a pas établi qu'elles proviendraient de revenus de source algérienne ; que, s'il soutient qu'il exerce en Algérie une activité d'ingénieur conseil et d'éleveur agricole et a produit des avis d'imposition à l'impôt sur le revenu et à la taxe sur l'activité professionnelle établis par l'administration fiscale algérienne au titre des trois années en cause, ces documents dépourvus de précisions sur la nature et l'origine des sommes imposées ne justifient pas de l'existence, au cours de cette période, de revenus ou d'un patrimoine productif de revenus de source algérienne supérieurs à ceux dont le requérant a disposé en France ; qu'ainsi, M. A doit être regardé comme ayant eu en France le centre de ses intérêts économiques, au sens du c. du 1. de l'article 4 B du code général des impôts ; qu'il résulte de ce qui précède qu'il était en principe, pour l'ensemble des années en cause, passible de l'impôt sur le revenu en France, à moins qu'il n'établisse son droit à se prévaloir de la qualité de résident algérien, au sens des stipulations de la convention du 17 mai 1982 conclue entre la France et l'Algérie en vue d'éliminer les doubles impositions ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 2 de cette convention : 1. Au sens de la présente convention, l'expression résident d'un Etat désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet Etat, est assujettie à l'impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. / 2. Lorsque, selon les dispositions du paragraphe 1, une personne physique est un résident des deux Etats, sa situation est réglée de la manière suivante : / a. Cette personne est considérée comme le résident de l'Etat où elle dispose d'un foyer d'habitation permanent : si elle dispose d'un foyer d'habitation permanent dans les deux Etats, elle est considérée comme un résident de l'Etat avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux) ; / b. Si l'Etat où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut être déterminé, ou si elle ne dispose d'un foyer d'habitation permanent dans aucun des Etats, elle est considérée comme un résident de l'Etat où elle séjourne de façon habituelle ; / c. Si cette personne séjourne de façon habituelle dans les deux Etats ou si elle ne séjourne de façon habituelle dans aucun d'eux, elle est considérée comme un résident de l'Etat dont elle possède la nationalité ; / d. Si les critères qui précèdent ne permettent pas de déterminer l'Etat dont la personne est résidente, les autorités compétentes des Etats tranchent la question d'un commun accord. ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A possédait, au cours des années en cause, des résidences tant en France, quai de Bourbon à Paris, qu'en Algérie, lotissement Beauséjour à Bousareah, et disposait d'un foyer d'habitation permanent dans chacun des deux Etats ; qu'il convient dès lors de rechercher l'Etat avec lequel ses liens personnels et économiques, définissant le centre de ses intérêts vitaux au sens du a. du 2. de la convention, étaient les plus étroits ; qu'il résulte de l'instruction qu'au cours des années 1991 à 1993, les consommations d'électricité, d'eau, de gaz et de téléphone, l'utilisation de leurs comptes bancaires depuis la France ainsi que l'emploi d'une gouvernante témoignent d'une utilisation régulière par M. et Mme A de leur résidence en France, sans commune mesure avec celle de leur résidence en Algérie ; qu'en produisant des attestations de notoriété justifiant la résidence en Algérie de ses deux frères, le requérant n'établit pas que son épouse et lui-même ne résidaient pas en France pendant la période vérifiée ; qu'il a détenu pendant la période vérifiée un tiers des titres d'une société dont il assurait la gérance et disposait en France d'un patrimoine immobilier important, évalué à 19 000 000 F ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le requérant disposait en France de l'essentiel de ses revenus, sans que soit établie leur origine algérienne ; que, dès lors, doivent être regardés comme prépondérants les liens personnels et économiques entretenus par M. A avec la France, où se situait de 1991 à 1993 le centre de ses intérêts vitaux, au sens de la convention franco-algérienne ; que, par suite, M. A n'est pas fondé à se prévaloir des stipulations de cette convention pour soutenir qu'il n'était pas imposable à l'impôt sur le revenu en France au titre des années en cause ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 12 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : L'administration des impôts peut procéder à l'examen contradictoire de l'ensemble de la situation fiscale des personnes physiques au regard de l'impôt sur le revenu dans les conditions prévues au présent livre. A l'occasion de cet examen, l'administration peut contrôler la cohérence entre, d'une part les revenus déclarés et, d'autre part, la situation patrimoniale, la situation de trésorerie et les éléments du train de vie des membres du foyer fiscal. ; qu'aux termes de l'article L. 16 du même livre : En vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu, l'administration peut demander au contribuable des éclaircissements (...) / Elle peut également lui demander des justifications lorsqu'elle a réuni des éléments permettant d'établir que le contribuable peut avoir des revenus plus importants que ceux qu'il a déclarés (...) ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A, ressortissant algérien, a souscrit le 15 mars 1994 une déclaration de revenus pour l'année 1993 ne comportant aucun revenu et signalant un domicile fiscal en Algérie ; que M. et Mme A ont été informés, par un avis de vérification du 29 juin 1994, qu'ils allaient faire l'objet d'un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle ; que M. A a adressé au service vérificateur des relevés de comptes bancaires ; que, lors de l'entretien avec le vérificateur qui a eu lieu le 5 septembre 1994, celui-ci a remis à M. A une demande d'informations et une demande de justifications concernant ses revenus de l'année 1991, motivée par la circonstance que l'intéressé avait pu avoir des revenus plus importants que ceux qu'il avait déclarés ; que, s'agissant des revenus des années 1992 et 1993, des demandes d'éclaircissements et de justifications lui ont également été adressées le 8 février 1995 ; que les réponses à ces demandes ayant été jugées insuffisantes, l'administration lui a adressé des mises en demeure, le 7 novembre 1994 et le 9 mai 1995, puis a soumis les crédits bancaires dont l'origine était demeurée indéterminée à la taxation d'office, notifiée respectivement le 22 décembre 1994 au titre des revenus de l'année 1991 et le 6 juillet 1995 au titre des revenus des années 1992 et 1993 ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient le requérant, le contrôle auquel le service a procédé ne s'est limité ni à des demandes de justifications adressées sur le fondement de l'article L. 16 du livre des procédures fiscales ni à rechercher des crédits bancaires et à les imposer, mais a constitué un examen d'ensemble de la cohérence globale entre les revenus déclarés par le contribuable d'une part et sa situation patrimoniale, de trésorerie et les éléments de son train de vie d'autre part, conformément aux dispositions de l'article L. 12 du livre des procédures fiscales ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 170 du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur : 1. En vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu, toute personne imposable audit impôt est tenue de souscrire et de faire parvenir à l'administration une déclaration détaillée de ses revenus et bénéfices et de ses charges de famille. Toutefois, dans tous les cas où le contribuable n'est pas imposable à raison de l'ensemble de ses revenus ou bénéfices, la déclaration est limitée à l'indication de ceux de ces revenus ou bénéfices qui sont soumis à l'impôt sur le revenu. ; qu'aux termes de l'article 170 bis du même code : Sont assujetties à la déclaration prévue au 1 de l'article 170, quel que soit le montant de leur revenu : / 1° Les personnes qui possèdent (...) une voiture de tourisme destinée exclusivement au transport des personnes (...) ; / 2° Les personnes qui emploient un employé de maison ; / 3° Les personnes qui ont à leur disposition une ou plusieurs résidences secondaires, permanentes ou temporaires, en France ou hors de France ; / 4° Les personnes dont la résidence principale présente une valeur locative ayant excédé, au cours de l'année de l'imposition, 1 000 F à Paris et dans les communes situées dans un rayon de 30 kilomètres de Paris, 750 F dans les autres localités ;
Considérant que, s'il résulte de ces dispositions combinées que peuvent seules être soumises aux obligations déclaratives prévues aux articles 170 et 170 bis du code général des impôts les personnes qui sont passibles de l'impôt sur le revenu en France, notamment celles qui doivent être regardées comme ayant en France leur domicile fiscal par application de l'article 4 B de ce code, elles ne font pas obstacle à ce que l'administration engage un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle de contribuables se déclarant non-résidents, afin notamment d'établir leur domiciliation fiscale et de contrôler l'existence éventuelle de revenus imposables en France et devant être déclarés à ce titre ; que, dès lors, M. A n'est pas fondé à soutenir qu'il ne pouvait faire l'objet d'un examen de situation fiscale personnelle, au motif qu'il n'avait pas son domicile fiscal en France et ne possédait pas de revenus de source française ou dont l'imposition est attribuée à la France par une convention fiscale ;
Considérant, en troisième lieu, que l'administration n'était pas tenue, avant d'établir les impositions contestées, de communiquer d'elle-même à M. A les documents qu'elle aurait recueillis par l'exercice de son droit de communication et sur lesquelles elle aurait entendu se fonder ; que, contrairement à ce qu'il soutient, M. A n'a pas demandé à en recevoir communication dans sa réponse du 25 janvier 1995 à la notification de redressement du 22 décembre 1994, dans laquelle il se bornait à demander à l'administration de lui préciser quels documents lui permettraient d'apporter la preuve de l'absence d'activité professionnelle et de revenus tirés de la société en liquidation dont il avait été le gérant ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'à défaut d'une telle communication, la procédure d'imposition aurait été irrégulière, doit être écarté ;
Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes du dernier alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales : Avant l'engagement d'une des vérifications prévues aux articles L. 12 et L. 13, l'administration des impôts remet au contribuable la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ; les dispositions contenues dans la charte sont opposables à l'administration. ; que le paragraphe 5 du chapitre III de la charte remise au contribuable prévoit que : Si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les redressements envisagés, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l'inspecteur principal. Si après ces contacts des divergences importantes subsistent, vous pouvez faire appel à l'interlocuteur départemental ou régional qui est un fonctionnaire de rang élevé spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur ; que ces dispositions assurent au contribuable la garantie substantielle de pouvoir obtenir, avant la clôture de la procédure de redressement, un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur puis avec l'interlocuteur départemental sur les points où persiste un désaccord ; que l'utilité d'un tel débat avec le supérieur hiérarchique et la possibilité de saisir l'interlocuteur départemental ne sont pas affectées par la circonstance que le supérieur hiérarchique ait éventuellement visé ou signé l'un des documents qui ont été notifiés au contribuable depuis l'engagement de la procédure de redressement ; que, par suite, M. A n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait été privé de garanties de procédures prévues par la charte des droits et obligations du contribuable vérifié au motif que le supérieur hiérarchique du vérificateur a signé la réponse à ses observations, laquelle est suffisamment motivée ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne la prescription :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce, sauf application de l'article L. 168 A, jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due ; qu'aux termes de l'article L. 189 du même livre : La prescription est interrompue par la notification d'une proposition de redressement (...) ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la notification de redressement relative à l'année 1991 a été adressée par l'administration au domicile parisien du contribuable, où elle a été présentée par les services postaux le 26 décembre 1994 et qu'il en a été valablement informé par la remise d'un avis de passage daté du même jour ; que le pli en cause a été de nouveau présenté à son domicile parisien le 29 décembre 1994 ; que M. A ne peut opposer à l'administration fiscale l'ordre de réexpédition temporaire de son courrier en Algérie pour la période du 18 décembre 1994 au 30 janvier 1995, dès lors qu'elle n'en avait pas été avisée ; que, par suite, la notification de redressement a interrompu la prescription du droit de reprise, alors même que le pli n'aurait pas été présenté régulièrement en Algérie avant le 31 décembre 1994 ;
En ce qui concerne la taxation d'une somme de 15 000 F :
Considérant que, si M. A conteste la taxation d'un crédit de 15 000 F que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires avait dans son avis regardé comme injustifiée, il résulte de l'instruction que l'administration a prononcé le dégrèvement correspondant ;
Sur les pénalités :
Considérant que M. A soutient que l'administration n'a pas établi sa mauvaise foi en se bornant à faire état de la présence répétée de crédits d'origine indéterminée et de l'importance des revenus taxés d'office par rapport aux montants déclarés ; qu'il résulte cependant de l'instruction que ces pénalités ont fait l'objet d'un dégrèvement en cours de procédure ; que ses conclusions sont donc, sur ce point, dépourvues d'objet ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 7 mars 2008 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par M. A devant la cour administrative d'appel de Paris et le surplus des conclusions de son pourvoi sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme Marie-Françoise A, à Mme Karima A B et à M. Brahim A, ayants-droit de M. Mohammed A et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.