Vu le pourvoi, enregistré le 16 mai 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'article 1er de l'arrêt du 27 février 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son recours tendant, d'une part, à l'annulation de l'article 1er du jugement du 2 décembre 2003 du tribunal administratif de Nantes déchargeant le groupement d'intérêt économique Mutuelles du Mans Systèmes Informatiques (GIE MMA SI) des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle et de taxe pour frais de chambre de commerce et d'industrie auxquelles il a été assujetti au titre des années 1994 et 1998 dans les rôles de la commune du Mans, d'autre part, au rétablissement du GIE MMA SI dans les rôles de la taxe professionnelle et de la taxe pour frais de chambre de commerce et d'industrie à concurrence des décharges prononcées en première instance ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 7 décembre 2009, présentée pour le groupement d'intérêt économique Mutuelles du Mans Systèmes Informatiques ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Karin Ciavaldini, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat du groupement d'intérêt économique Mutuelles du Mans Systèmes Informatiques,
- les conclusions de M. Pierre Collin, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat du groupement d'intérêt économique Mutuelles du Mans Systèmes Informatiques ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le groupement d'intérêt économique Mutuelles du Mans Systèmes Informatiques (GIE MMA SI) a été constitué à compter du 1er janvier 1993 par cinq sociétés d'assurance qui lui ont cédé à titre onéreux du matériel informatique et des logiciels qu'elles utilisaient pour l'exécution de tâches informatiques internes et ont mis à sa disposition les salariés chargés des tâches informatiques et les locaux dans lesquels se trouvaient ces matériels ; que le GIE MMA SI a estimé que cette opération constituait une création d'établissement et a déclaré sa base d'imposition à la taxe professionnelle, pour l'année 1994, en application des dispositions du II de l'article 1478 du code général des impôts et, pour l'année 1998, en application des dispositions de droit commun de l'article 1467 du même code ; qu'à la suite de deux contrôles portant respectivement sur les années 1994 et 1998, l'administration a remis en cause les assiettes ainsi déterminées en estimant que la création du GIE devait être regardée comme une cession d'établissement et que celui-ci devait être imposé, pour les deux années contrôlées, sur les quatre cinquièmes de la valeur locative retenue pour les biens cédés l'année précédant l'opération, conformément aux dispositions de l'article 1518 B du code général des impôts ; que, par un jugement du 2 décembre 2003, le tribunal administratif de Nantes a déchargé le GIE MMA SI des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle ainsi mises à sa charge pour les années 1994 et 1998 ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE a relevé appel de ce jugement et soutenu devant la cour administrative d'appel de Nantes que l'opération en cause dans le litige constituait un changement d'exploitant au sens du IV de l'article 1478 du code général des impôts et que le GIE, qui aurait en conséquence dû être imposé sur la totalité des bases de ses prédécesseurs, n'avait pas fait l'objet d'une imposition excessive à l'occasion des redressements qui lui avaient été assignés ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE se pourvoit en cassation contre l'article 1er de l'arrêt du 27 février 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a jugé que l'opération en cause constituait une création d'établissement et rejeté son recours ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1478 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : I. La taxe professionnelle est due pour l'année entière par le redevable qui exerce l'activité le 1er janvier (...) / II. En cas de création d'un établissement autre que ceux mentionnés au III, la taxe professionnelle n'est pas due pour l'année de la création. / Pour les deux années suivant celle de la création, la base d'imposition est calculée d'après les immobilisations dont le redevable a disposé au 31 décembre de la première année d'activité et les salaires dus au titre de cette même année (...). / Pour les impositions établies au titre de 1988 et des années suivantes, en cas de création d'établissement, la base du nouvel exploitant est réduite de moitié pour la première année d'imposition (...) / IV. En cas de changement d'exploitant, la base d'imposition est calculée pour les deux années suivant celle du changement dans les conditions définies au II, deuxième alinéa. / Si le changement d'exploitant prend effet au 1er janvier, le nouvel exploitant est imposé pour l'année du changement sur les bases relatives à l'activité de son prédécesseur (...) ; qu'aux termes de l'article 310 HA de l'annexe II au même code : Pour l'application de la taxe professionnelle et des taxes additionnelles : / (...) - l'établissement s'entend de toute installation utilisée par une entreprise en un lieu déterminé, ou d'une unité de production intégrée dans un ensemble industriel ou commercial lorsqu'elle peut faire l'objet d'une exploitation autonome (...) ;
Considérant que, pour estimer que le GIE MMA SI exerçait une activité de prestataire informatique qui présentait un caractère nouveau par rapport à l'activité des sociétés à l'origine de sa création, nonobstant le fait que celles-ci lui avaient transféré le personnel de leurs services informatiques et l'ensemble des moyens de production, la cour a relevé que ces sociétés assuraient la gestion directe de leurs services informatiques et que ceux-ci ne faisaient pas en leur sein l'objet d'une exploitation autonome ; que ce faisant, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que l'activité du GIE MMA SI était analogue à celle à laquelle concouraient les éléments transférés et que ceux-ci étaient donc susceptibles de faire l'objet d'une exploitation autonome, la cour a donné aux faits une qualification juridique erronée et a entaché son arrêt d'erreur de droit ; que, par suite, le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est fondé à demander l'annulation de l'article 1er de l'arrêt qu'il attaque ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le GIE MMA SI :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales : A compter de la notification du jugement du tribunal administratif qui a été faite au directeur du service de l'administration des impôts ou de l'administration des douanes et droits indirects qui a suivi l'affaire, celui-ci dispose d'un délai de deux mois pour transmettre, s'il y a lieu, le jugement et le dossier au ministre chargé du budget. / Le délai imparti pour saisir la cour administrative d'appel court, pour le ministre, de la date à laquelle expire le délai de transmission prévu à l'alinéa précédent ou de la date de la signification faite au ministre ; qu'il résulte de l'instruction que le jugement du tribunal administratif de Nantes a été adressé, le 4 mars 2004, au directeur des vérifications nationales et internationales, qui a reçu cette notification le 5 mars 2004 ; qu'il n'est pas allégué que ce jugement aurait été signifié directement au ministre ; que le recours du ministre a été adressé par télécopie le 2 juillet 2004 au greffe de la cour administrative d'appel de Nantes et a fait l'objet d'une régularisation le 5 juillet 2004 ; qu'il s'ensuit que le ministre a régulièrement formé appel dans le délai qui lui était imparti ;
Sur le bien-fondé des impositions en litige :
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, le ministre invoque en appel, au soutien de ses conclusions tendant à ce que les impositions en litige soient remises à la charge du GIE MMA SI, les dispositions du IV de l'article 1478 du code général des impôts et demande que cette base légale soit substituée à l'article 1518 B du même code, sur lequel les redressements ont été initialement fondés ; que, si l'administration peut, à tout moment de la procédure contentieuse, y compris pour la première fois en appel, invoquer tout moyen nouveau propre à donner un fondement légal à une imposition contestée devant le juge de l'impôt, c'est à la condition qu'elle ne prive pas le contribuable des garanties de procédure prévues par la loi ; qu'en l'espèce, le GIE MMA SI n'a été privé d'aucune garantie ; que, par suite, il y a lieu d'examiner la demande de substitution de base légale présentée par le ministre ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la constitution du GIE MMA SI doit être regardée non comme une création d'établissement mais comme un changement d'exploitant au sens du IV de l'article 1478 du code général des impôts ; que, dès lors, pour l'année 1994, qui est l'une des deux années suivant celle du changement, en application du premier alinéa du IV de l'article 1478, la base d'imposition à la taxe professionnelle de ce groupement devait être calculée dans les conditions définies au deuxième alinéa du II du même article, c'est-à-dire en retenant les immobilisations dont le groupement a disposé au 31 décembre 1993 et les salaires dus au titre de cette même année, sans que puissent en revanche être appliquées, ainsi que l'a fait le groupement, les dispositions du dernier alinéa du II de l'article 1478, qui prévoient une réduction de moitié de cette base pour la première année d'imposition en cas de création d'établissement ; que, pour l'année 1998, les dispositions du IV de l'article 1478 ne trouvant plus à s'appliquer, la base d'imposition à la taxe professionnelle du groupement devait être calculée en application de l'article 1467 du code général des impôts ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à l'exception de la réduction de moitié des bases d'imposition pratiquée pour l'année 1994, le GIE MMA SI a calculé ses bases d'imposition à la taxe professionnelle pour les années 1994 et 1998 ainsi qu'il vient d'être indiqué ; qu'en conséquence, le ministre est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement qu'il attaque, le tribunal administratif a accordé au groupement la décharge des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle et de taxe pour frais de chambre de commerce et d'industrie mises à sa charge au titre de l'année 1994 et correspondant à l'application du dernier alinéa du II de l'article 1478 et à demander que ces impositions soient remises à la charge du groupement ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat qui n'est pas, pour l'essentiel, la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande le GIE MMA SI au titre des frais exposés par lui devant le Conseil d'Etat et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'article 1er de l'arrêt du 27 février 2006 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.
Article 2 : Les cotisations supplémentaires de taxe professionnelle et de taxe pour frais de chambre de commerce et d'industrie auxquelles le groupement d'intérêt économique Mutuelles du Mans Systèmes Informatiques a été assujetti au titre de l'année 1994 sont remises à la charge de ce groupement, à hauteur du montant correspondant au calcul des bases conformément aux motifs de la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions du recours du ministre devant la cour administrative d'appel de Nantes, et les conclusions présentées devant le Conseil d'Etat par le groupement d'intérêt économique Mutuelles du Mans Systèmes Informatiques au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetés.
Article 4 : Le jugement du 2 décembre 2003 du tribunal administratif de Nantes est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS, DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA REFORME DE L'ETAT et au groupement d'intérêt économique Mutuelles du Mans Systèmes Informatiques.