La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/12/2008 | FRANCE | N°280554

France | France, Conseil d'État, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 12 décembre 2008, 280554


Vu le pourvoi, enregistré le 16 mai 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour M. Germain A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 10 mars 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 21 décembre 1999 du tribunal administratif de Melun rejetant sa demande tendant à la condamnation de la commune de Sucy-en-Brie à lui verser la somme de 3 155 539 euros (20 700 336 francs) en réparation du préjudice subi du fait d'un refus illégal d'autorisation d

e lotir ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel...

Vu le pourvoi, enregistré le 16 mai 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour M. Germain A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 10 mars 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 21 décembre 1999 du tribunal administratif de Melun rejetant sa demande tendant à la condamnation de la commune de Sucy-en-Brie à lui verser la somme de 3 155 539 euros (20 700 336 francs) en réparation du préjudice subi du fait d'un refus illégal d'autorisation de lotir ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Sucy-en-Brie la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 novembre 2008, présentée pour M. A ;

Vu le code de l'expropriation ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu la loi du 31 décembre 1968 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Xavier Domino, Auditeur,

- les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de M. A et de la SCP Peignot, Garreau, avocat de la commune de Sucy-en-Brie,

- les conclusions de M. Emmanuel Glaser, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, propriétaire de parcelles sur le territoire de la commune de Sucy-en-Brie, M. A a déposé en 1987 une demande d'autorisation de lotir en vue de la réalisation d'une zone artisanale au lieu-dit Les Varennes ; que le maire de Sucy-en-Brie a rejeté cette demande par un arrêté du 29 octobre 1987 dont M. A a contesté la légalité devant la juridiction administrative ; que la commune a ensuite mené à bien un projet de lotissement d'une zone artisanale portant en partie sur les mêmes terrains, en vue duquel a été prise, le 3 mai 1990, une ordonnance d'expropriation, à laquelle M. A a adhéré en 1991 pour ce qui concerne ses parcelles ; que le Conseil d'Etat statuant au contentieux ayant annulé, par une décision du 13 décembre 1996, l'arrêté du 29 octobre 1987 rejetant la demande d'autorisation de lotir déposée par M. A, ce dernier a adressé à la commune une réclamation, afin d'être indemnisé du préjudice résultant de l'impossibilité de réaliser son projet, due, selon lui, au refus qui lui a été illégalement opposé ; que M. A se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 10 mars 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 21 décembre 1999 du tribunal administratif de Melun rejetant sa demande tendant à la condamnation de la commune de Sucy-en-Brie à lui verser la somme de 3 155 539 euros (20 700 336 francs) en réparation de ce préjudice ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu'après avoir relevé qu'en opposant illégalement un refus à la demande d'autorisation de lotir de M. A par son arrêté du 24 octobre 1987, le maire de Sucy-en-Brie avait commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que cette illégalité n'était pas la cause directe du préjudice né, pour M. A, de l'impossibilité de réaliser le lotissement qu'il projetait et que ce préjudice était directement et exclusivement imputable à cette expropriation ; que par suite, M. A est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, qui n'a pas omis de statuer sur ce point, le refus illégalement opposé à la demande d'autorisation de lotir de M. A par l'arrêté du maire de Sucy-en-Brie du 29 octobre 1987 est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de la commune à l'égard de ce dernier ; qu'aucun motif légal n'est invoqué par la commune de Sucy-en-Brie, qui aurait pu justifier le refus opposé à la demande d'autorisation de lotir de M. A ; qu'aucune faute ou imprudence ne peut être imputée à celui-ci ; que la procédure d'expropriation engagée en 1990 l'a définitivement empêché de réaliser le lotissement projeté ; que le préjudice allégué par M. A, résultant de l'impossibilité de réaliser le lotissement qu'il projetait, doit être regardé comme directement lié à la faute de la commune ;

Considérant en premier lieu que les frais d'honoraires d'architecte correspondant à l'établissement du dossier de demande d'autorisation de lotir, engagés en pure perte du fait de la faute commise par la commune doivent être inclus dans le montant du préjudice indemnisable ; que compte tenu des pièces apportées par M. A pour justifier la somme qu'il demande à ce titre, des factures qui sont, pour certaines, antérieures de plusieurs années ou sensiblement postérieures à la date du dépôt de la demande d'autorisation, il sera fait, dans les circonstances de l'espèce, une juste appréciation du préjudice qu'il a subi à ce titre en fixant son montant à 30 000 euros ;

Considérant en deuxième lieu que M. A demande à être indemnisé d'un manque à gagner correspondant aux bénéfices qu'il aurait retirés de la vente des lots qu'il aurait pu commercialiser et de celle des immeubles qu'il aurait pu construire sur certains de ces lots ; qu'il résulte cependant de l'instruction que, pour établir l'existence d'une tel manque à gagner, M. A se borne à faire référence au projet de lotissement réalisé par la commune après l'expropriation dont son terrain a fait l'objet et aux gains qu'elle en a retirés ; qu'en revanche, il n'apporte aucun élément de nature à justifier les profits qui auraient pu résulter de la réalisation de son propre projet, dont il ne précise nullement l'équilibre économique ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, le préjudice tiré du manque à gagner qu'invoque M. A ne peut qu'être regardé comme purement éventuel ;

Considérant en troisième lieu que, si M. A demande à être indemnisé des frais qu'il a dû exposer pour obtenir l'annulation par la juridiction administrative du refus illégalement opposé à sa demande d'autorisation de lotir, il résulte de l'instruction que le Conseil d'Etat statuant au contentieux, par sa décision du 13 décembre 1996, lui a accordé une somme au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il en résulte que M. A ne peut utilement, dans la présente instance, demander réparation de ces même frais ;

Considérant en dernier lieu que, si M. A demande à être indemnisé du préjudice à caractère financier que lui aurait causé la faute de la commune, il n'assortit pas ses conclusions des précisions permettant d'en apprécier la portée ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A, par les seuls éléments qu'il invoque, est seulement fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif ne l'a pas indemnisé à hauteur de 30 000 euros du préjudice résultant des frais qu'il a exposés en vue de constituer son dossier de demande d'autorisation de lotir ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'au titre de ces dispositions, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. A et par la commune de Sucy-en-Brie au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 10 mars 2005 est annulé.

Article 2 : La commune de Sucy-en-Brie est condamnée à verser à M. A la somme de 30 000 euros au titre des frais qu'il a exposés pour la réalisation de son dossier de demande d'autorisation de lotir.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Melun du 21 décembre 1999 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel de M. A est rejeté.

Article 5 : Les conclusions présentées par M. A et par la commune de Sucy-en-Brie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Germain A et à la commune de Sucy-en-Brie.


Synthèse
Formation : 3ème et 8ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 280554
Date de la décision : 12/12/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITÉ EN RAISON DES DIFFÉRENTES ACTIVITÉS DES SERVICES PUBLICS - SERVICES DE L'URBANISME - REFUS ILLÉGAL D'AUTORISATION DE LOTIR - CONSÉQUENCE - IMPOSSIBILITÉ DE RÉALISER LE LOTISSEMENT PROJETÉ LIÉE DE FAÇON DIRECTE ET CERTAINE À CE REFUS [RJ1].

60-02-05 Le préjudice subi par le lotisseur a été causé par le refus illégal de lotir. Il présente un caractère direct et certain, l'expropriation qui a suivi le refus ayant empêché définitivement le lotisseur de réaliser son projet.

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RÉPARATION - PRÉJUDICE - ABSENCE OU EXISTENCE DU PRÉJUDICE - ABSENCE - REFUS ILLÉGAL D'AUTORISATION DE LOTIR [RJ2] - MANQUE À GAGNER CORRESPONDANT AUX BÉNÉFICES QUI AURAIENT PU ÊTRE RETIRÉS DE LA VENTE DES LOTS ET DES IMMEUBLES [RJ2] - PRÉJUDICES ÉVENTUELS EN L'ESPÈCE.

60-04-01-01-01 Si le manque à gagner correspondant aux bénéfices qui auraient pu être retirés de la vente des lots qui auraient pu être commercialisés et de celle des immeubles qui auraient pu être construits sur certains de ces lots peut être réparé en conséquence d'un refus illégal d'autorisation de lotir, l'intéressé se borne en l'espèce à faire référence au projet de lotissement réalisé par la commune après l'expropriation dont son terrain a fait l'objet et aux gains qu'elle en a retirés et n'apporte aucun élément de nature à justifier les profits qui auraient pu résulter de la réalisation de son propre projet. Les préjudices étant éventuels, aucune indemnisation à ce titre.

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RÉPARATION - PRÉJUDICE - ABSENCE OU EXISTENCE DU PRÉJUDICE - EXISTENCE - REFUS ILLÉGAL D'AUTORISATION DE LOTIR - ETUDES ENGAGÉES EN PURE PERTE [RJ1].

60-04-01-01-02 Les frais d'honoraires d'architecte correspondant à l'établissement du dossier de demande d'autorisation de lotir, engagés en pure perte du fait de la faute commise par la commune en refusant illégament la demande, sont réparés.


Références :

[RJ2]

Cf. 11 mai 1983, Compagnie pour l'équipement, le financement et la construction (C.E.F.I.C), n° 33370, T. p. 916.,,

[RJ1]

Comp. Section, 29 septembre 1989, Mme Lamarche-Jaconnet, n° 72331, p. 179.


Publications
Proposition de citation : CE, 12 déc. 2008, n° 280554
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Vigouroux
Rapporteur ?: M. Xavier Domino
Rapporteur public ?: M. Glaser Emmanuel
Avocat(s) : SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET ; SCP PEIGNOT, GARREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2008:280554.20081212
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award