Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 31 juillet et 30 août 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Pierre G, demeurant ... ; M. G demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêté du 19 juin 2006 du ministre des affaires étrangères portant publication de la liste des candidats de la série B (Europe, Asie et Levant) élus à l'Assemblée des Français de l'étranger à l'issue du scrutin du 18 juin 2006, en tant qu'il a fixé la liste des élus de la circonscription électorale de Genève ;
2°) de déclarer inéligibles MM. A, D, H et Mmes J et E ;
3°) de mettre à la charge des parties perdantes la somme de 4 000 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le traité instituant la Communauté européenne ;
Vu le code électoral ;
Vu la loi organique n° 2006-404 du 5 avril 2006 relative à l'élection du Président de la République ,
Vu la loi n° 82-471 du 7 juin 1982 modifiée relative à l'Assemblée des Français de l'étranger ;
Vu le décret n° 84-252 du 6 avril 1984 modifié portant statut de l'Assemblée des Français de l'étranger et fixant les modalités d'élection de ses membres ;
Vu le décret n° 2006-285 du 13 mars 2006 relatif au vote par correspondance électronique des électeurs inscrits sur les listes électorales consulaires des circonscriptions électorales d'Europe et d'Asie et Levant pour les élections de 2006 à l'Assemblée des Français de l'étranger ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Christine Gueguen, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de M. G,
- les conclusions de M. Emmanuel Glaser, Commissaire du gouvernement ;
Sur les griefs tirés de la méconnaissance par certains candidats des règles relatives aux inéligibilités et incompatibilités :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 4 de la loi du 7 juin 1982 : « Ne peuvent être candidats dans la circonscription électorale où ils exercent leurs activités, les agents diplomatiques, les fonctionnaires consulaires de carrière, les chefs de missions militaires et des services civils placés auprès des ambassadeurs et des consuls ainsi que leurs adjoints directs. » ;
Considérant que les consuls honoraires n'ayant pas la qualité de fonctionnaire consulaire de carrière ni celle de chef de service placé auprès de l'ambassadeur ou du consul, ces dispositions ne leur sont pas applicables ; qu'au surplus, il ne résulte pas de l'instruction que la présence sur la liste « Français de Suisse » de M. K, consul honoraire de France à Sion, qui n'a pas été élu, ait constitué une manoeuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin ;
Considérant, en second lieu, qu'aucune disposition non plus qu'aucun principe ne conduit à étendre aux membres de l'Assemblée des Français de l'étranger les incompatibilités édictées par les articles LO. 143 et LO. 146 du code électoral en ce qui concerne les députés ; que, par suite, et en tout état de cause, les griefs tirés de la méconnaissance de ces articles par Mme E, M. Stroudinsky, Mme Fichter et M. F sont inopérants ;
Sur les griefs tirés de la méconnaissance des règles relatives à la propagande électorale :
En ce qui concerne le droit applicable :
Considérant qu'aux termes de l'article 5 de la loi du 7 juin 1982 dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-822 du 20 juillet 2005 : « Sans préjudice des dispositions des traités relatifs à la Communauté et à l'Union européennes et des actes pris pour leur application ainsi que de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et des protocoles qui lui sont annexés, toute propagande électorale à l'étranger est interdite, à l'exception : / 1 De l'envoi ou de la remise aux électeurs des circulaires et bulletins de vote des candidats effectués par les ambassades et les postes consulaires ; / 2 De l'affichage offert aux candidats à l'intérieur des locaux des ambassades et des postes consulaires et des bureaux de vote ouverts dans d'autres locaux. / Les interdictions des articles L. 49, L. 50 et L. 52-1 du code électoral, relatifs à certaines formes de propagande, sont applicables » ;
Considérant que ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires qui ont précédé l'adoption de la loi du 20 juillet 2005, doivent être entendues comme ne maintenant l'interdiction de toute propagande électorale à l'étranger que pour les élections qui se déroulent dans des pays qui ne sont ni membres de l'Union européenne, ni parties à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que pour les élections qui se déroulent dans les autres pays, la propagande électorale est désormais autorisée, sous réserve du respect des dispositions des articles L. 49, L. 50 et L. 52-1 du code électoral ;
Considérant qu'il ne peut être utilement soutenu qu'ainsi interprétées, ces dispositions auraient pour effet d'appliquer, pour une même élection, des règles différentes selon les circonscriptions et le cas échéant à l'intérieur d'une même circonscription, en méconnaissance de l'égalité entre les électeurs et entre les candidats, car cette critique, qui tend à mettre en cause la conformité de la loi à la Constitution, échappe à la compétence du Conseil d'Etat statuant au contentieux ; qu'il en va de même de l'argumentation selon laquelle la modification de rédaction apportée à l'article 5 de la loi du 7 juin 1982 par la loi du 20 juillet 2005 est obscure et imprécise en sorte que se trouvent méconnues les exigences constitutionnelles de clarté et d'intelligibilité de la loi ;
Considérant que la Suisse et le Liechtenstein ont signé la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, respectivement le 21 décembre 1972 et le 23 novembre 1978, et l'ont ratifiée, respectivement le 28 novembre 1974 et le 8 septembre 1982 ; que, par suite, la propagande était autorisée, dans les limites indiquées ci-dessus, dans la circonscription couvrant le territoire de ces deux Etats lors du scrutin du 18 juin 2006 pour l'élection des membres de l'Assemblée des Français de l'étranger ;
En ce qui concerne les faits allégués :
Sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen, invoqué par Mme E, selon lequel les griefs tirés de la méconnaissance des articles L. 49, L. 50 et L. 52-1 du code électoral seraient tardifs et, par suite, irrecevables ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que plusieurs candidats ont, à l'occasion de l'élection litigieuse, mis en place des sites Internet ou ont changé le contenu de sites existants ; que, toutefois, M. G n'établit pas que le contenu de ces sites aurait été modifié le jour du scrutin, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 49 du code électoral aux termes desquelles la diffusion par voie électronique de tout message ayant le caractère de propagande électorale est interdite le jour du scrutin ;
Considérant, en deuxième lieu, que l'article L. 50-1 du code électoral n'est pas applicable à l'élection des membres de l'Assemblée des Français de l'étranger ; que, en ce qui concerne les circonscriptions telles que celle de la Suisse et du Liechtenstein, qui correspondent à des pays membres de l'Union européenne ou parties à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aucune règle relative à cette élection n'interdit la mise à disposition des électeurs de numéros d'appel téléphonique, gratuits ou non ; qu'ainsi, le grief tiré de la mise à disposition des électeurs, par certaines listes, de numéros d'appel téléphonique gratuits, dont il n'est au demeurant pas établi par le protestataire qu'elle ait eu une incidence sur la sincérité du scrutin, ne peut qu'être écarté ; que, de même, aucune disposition ne faisant obstacle à ce que les candidats distribuent directement, par voie postale ou électronique, des courriers aux électeurs jusqu'à la veille du scrutin, la circonstance que les listes « Rassemblement des Français de Suisse », « Français de Suisse solidaires avec la gauche unie » et « Français de Suisse » aient procédé à de tels envois entre le 18 mars et le 8 juin 2006 n'est pas, par elle-même, irrégulière ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction que si des revues et journaux contenant des articles appelant à voter notamment pour les listes « Français de Suisse » et « Rassemblement des Français de Suisse » ont été publiés dans les semaines précédant le scrutin, ces articles ne présentent aucun caractère polémique ; qu'ils n'ont pas été publiés le jour du scrutin et que les dispositions de l'article L. 49 du code électoral n'ont donc pas été méconnues sur ce point ; qu'ils n'ont pas non plus été publiés à une date et dans des circonstances ne permettant pas aux autres listes d'y répondre utilement ; qu'il est constant que le consul général de France a Genève a ordonné que toute publication comportant des éléments de propagande électorale soit retirée de l'ensemble des locaux diplomatiques et consulaires à compter du 18 mai 2006 ; que la parution, en avril et juin 2006, dans un journal gratuit paraissant à Genève de deux articles favorables à la liste « Rassemblement des Français de Suisse », qui n'excèdent pas le caractère polémique toléré en période de campagne électorale, ne saurait être regardée comme l'utilisation à des fins de propagande électorale d'un procédé de publicité commerciale par la voie de presse, interdite pendant les trois mois qui précèdent le scrutin par les dispositions de l'article L. 52-1 du code électoral ; qu'il n'est pas établi que la publication, dans des revues destinées aux Français de l'étranger, de photographies de certains candidats en compagnie de fonctionnaires français ait pu avoir une influence sur les résultats du scrutin ; qu'ainsi, les différents griefs tirés par M. G de la propagande par voie de presse à laquelle se sont livrées plusieurs listes concurrentes de la sienne doivent être écartés ;
Considérant, en quatrième lieu, que, s'agissant des circonscriptions situées dans les pays membres de l'Union européenne ou parties à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obstacle à ce qu'une association, un parti politique étranger ou des personnalités françaises et étrangères apportent publiquement leur soutien à un candidat à l'élection des membres de l'Assemblée des Français de l'étranger ; que, par suite, les soutiens apportés à certaines listes par des organisations françaises ou suisses, notamment l'Union des sociétés françaises de Genève, par des partis politiques suisses ainsi que par des personnalités françaises ou suisses ne sont pas, par eux-mêmes, irréguliers ; que M. G n'établit pas, ni même ne soutient, que ces prises de position auraient constitué des manoeuvres de nature à fausser les résultats du scrutin ;
Considérant, enfin, que les circonstances que la liste « Rassemblement des Français de Suisse » ait mentionné sur sa circulaire et son bulletin de vote « avec le soutien de RFE Magazine », alors que cette liste n'avait pas reçu le soutien officiel du groupe RFE de l'Assemblée des Français de l'étranger, que le troisième candidat de cette même liste se soit, à tort selon M. G, attribué dans la presse la paternité du projet de construction du lycée français de Genève et que la liste « Français de Suisse » ait apposé sur ses bulletins de vote la mention « liste officielle » sous l'emblème de l'UMP (Union pour un Mouvement Populaire), alors qu'elle n'était pas la seule à avoir reçu l'investiture de ce parti politique, n'ont pas constitué, en l'espèce, des manoeuvres de nature à vicier les résultats du scrutin, les listes concurrentes ayant eu le temps, si elles le souhaitaient, de faire une mise au point ; que n'a pas non plus constitué une telle manoeuvre le fait que la liste « Français de Suisse solidaires avec la gauche unie » et la liste « Français de Suisse » ont apposé sur leurs bulletins de vote deux emblèmes et non pas un seul, dès lors que ces emblèmes étaient ceux de formations politiques ou organisations dont ces listes avaient obtenu le soutien ;
Sur les griefs tirés de la méconnaissance des règles relatives au dépôt des circulaires électorales :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que soutient M. G, les listes « Rassemblement des Français de Suisse » et « Français de Suisse solidaires avec la gauche unie » ont déposé leurs circulaires respectivement le 20 mars et le 19 avril 2006, soit dans le délai prescrit par les dispositions de l'article 29 du décret du 6 avril 1984 ; qu'ainsi, le grief tiré de la méconnaissance de ces dispositions manque en fait ;
Sur les manquements à l'impartialité et à la neutralité imputés aux autorités diplomatiques et consulaires :
Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que les autorités diplomatiques et consulaires aient failli à leur obligation d'impartialité et de neutralité ; qu'au demeurant, M. C, candidat élu de la liste sur laquelle figurait M. G, conteste sur ce point les allégations de son colistier ; que le choix de la « Tribune de Genève » de mettre l'accent, à l'issue des conférences de presse données par le consul général de France à Genève, sur deux des listes en compétition résulte d'un parti éditorial qui ne saurait être imputé à l'administration ;
Sur les griefs tirés de la communication des adresses électroniques des électeurs et de l'usage qui en a été fait :
Considérant qu'en application des dispositions de l'article 8 de la loi organique du 31 janvier 1976, dans sa rédaction applicable, issue de la loi organique du 5 avril 2006, la liste électorale consulaire, désormais commune à l'élection du Président de la République et à l'élection des membres de l'Assemblée des Français de l'étranger, comporte, au titre des mentions obligatoires, l'adresse électronique des électeurs ; qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 9 du décret du 6 avril 1984 et du I de l'article 6 du décret du 22 décembre 2005 que chaque candidat ou son représentant, ainsi que tout parti ou groupement politique représenté par un mandataire dûment habilité, peut prendre communication et copie de la liste électorale consulaire à l'ambassade ou au poste consulaire ; que si les dispositions du II de l'article 6 du décret du 22 décembre 2005 subordonnent la possibilité pour un électeur d'obtenir communication de la liste électorale consulaire sur laquelle il est inscrit à un engagement de sa part de ne pas en faire un usage étranger à la finalité électorale de cette liste, cette formalité n'est pas prévue par le I de cet article en ce qui concerne la communication à un candidat ou à un parti politique ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que les autorités diplomatiques et consulaires françaises en Suisse n'ont commis aucune irrégularité en communiquant aux listes de candidats les adresses électroniques des électeurs sans avoir recueilli préalablement l'accord de ces derniers ou les avoir prévenus et sans avoir demandé aux candidats de signer un quelconque engagement ; que M. G n'établit pas en quoi ces dispositions, prises en matière électorale, contreviendraient aux règles générales de la législation française applicables aux communications électroniques et à la protection de la vie privée ni, en tout état de cause, aux dispositions de la législation suisse en ce domaine ;
Considérant que les dispositions de l'article 5 de la loi du 7 juin 1982 susvisée ne font pas obstacle à ce que, dans les circonscriptions situées dans les pays membres de l'Union européenne ou parties à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les candidats utilisent les adresses postales ou électroniques des électeurs figurant sur la liste électorale consulaire à des fins de propagande électorale ; que M. G n'établit pas que ce mode de communication aurait été utilisé par les candidats le jour du scrutin, en méconnaissance des dispositions de l'article 49 du code électoral ;
Sur le grief tiré des dysfonctionnements du vote par voie électronique :
Considérant que s'il résulte de l'instruction que certaines difficultés ont été rencontrées dans l'organisation et le déroulement du vote par voie électronique, mis en place pour la première fois à l'occasion de l'élection litigieuse, M. G n'établit toutefois pas, par les éléments qu'il apporte, que les dysfonctionnements rencontrés ont été de nature à influer sur les résultats du scrutin, compte tenu notamment de la circonstance que les électeurs qui ne sont pas parvenus à utiliser cette voie ont gardé la faculté de voter dans les bureaux ou par correspondance, la clôture de l'inscription pour le vote par la voie électronique étant intervenue le 6 juin 2006, soit douze jours avant le scrutin ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. G n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du ministre des affaires étrangères du 19 juin 2006, en tant qu'il fixe la liste des candidats élus à l'Assemblée des Français de l'étranger à l'issue du scrutin du 18 juin 2006, dans la circonscription de Genève ; que doivent être également rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de M. G tendant à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge des parties perdantes en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. G les sommes que Mme J et Mme E demandent au titre des mêmes dispositions ;
Sur les conclusions tendant à ce que certains candidats soient déclarés inéligibles :
Considérant qu'il n'appartient pas au juge administratif, saisi dans le cadre d'une protestation électorale de conclusions tendant à ce qu'un ou plusieurs candidats soient déclarés inéligibles, de statuer sur de telles conclusions, hormis l'hypothèse où serait invoquée une irrégularité du compte de campagne au regard des dispositions du chapitre V bis du titre 1er du livre 1er du code électoral ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, ces dispositions n'étant en tout état de cause pas applicables à l'élection des membres de l'Assemblée des Français de l'étranger ; que, par suite, les conclusions susmentionnées ne peuvent qu'être rejetées ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête présentée par M. G est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de Mme J et de Mme E tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à MM. Pierre G, Jean-Pierre A, Pierre C, Marceau D, Serge F, à Mmes Marie-Françoise E, Claudine J et au ministre des affaires étrangères et européennes.