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26/07/2007 | FRANCE | N°293059

France | France, Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 26 juillet 2007, 293059


Vu, 1°, sous le n° 293059, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 mai et 4 septembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jacques A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 3 mars 2006 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature, statuant en conseil de discipline des magistrats du siège, a prononcé à son encontre la sanction du déplacement d'office ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3000 euros en application de l'article L. 761-1 du code

de justice administrative ;

Vu, 2°, sous le n° 293911, la requête, enregistr...

Vu, 1°, sous le n° 293059, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 mai et 4 septembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jacques A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 3 mars 2006 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature, statuant en conseil de discipline des magistrats du siège, a prononcé à son encontre la sanction du déplacement d'office ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu, 2°, sous le n° 293911, la requête, enregistrée le 30 mai 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Jacques A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret du 16 mai 2006 par lequel le Président de la République l'a nommé juge au tribunal de grande instance de Nanterre ;

2°) d'enjoindre au Président de la République de le réintégrer dans son poste de juge au tribunal de grande instance de la Rochelle, dans un délai de sept jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

Vu la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Richard Senghor, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes susvisées concernent la situation d'un même magistrat et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre afin de statuer par une même décision ;

Sur les conclusions dirigées contre la décision du Conseil supérieur de la magistrature :

Considérant que le Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, a, le 3 mars 2006, prononcé à l'encontre de M. A la sanction du déplacement d'office prévue par l'article 45-2 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

En ce qui concerne la régularité de la décision attaquée :

Considérant, en premier lieu, que M. A soutient que la décision attaquée a été viciée au motif que, lors du délibéré, siégeait un membre qui avait exercé du 10 mai au 8 septembre 2004 les fonctions de directeur adjoint du cabinet du garde des sceaux, ministre de la justice, et de directeur du cabinet du secrétaire d'Etat aux droits des victimes ; que la seule circonstance que l'intéressé à exercé ces fonctions n'est pas à elle seule de nature à établir qu'il aurait eu connaissance de l'enquête menée par l'inspection générale des services judiciaires au sein du tribunal de grande instance de La Rochelle ; qu'à la date où le garde des sceaux, ministre de la justice, a engagé des poursuites disciplinaires à l'encontre du requérant, l'intéressé avait cessé ses fonctions au sein des cabinets du ministre et du secrétaire d'Etat ; qu'ainsi ces circonstances ne révèlent pas un manquement au principe d'impartialité ;

Considérant, en deuxième lieu, que le Conseil supérieur de la magistrature, lorsqu'il se prononce en matière disciplinaire, peut légalement, sous réserve que soient respectés les droits de la défense, connaître de l'ensemble du comportement du magistrat concerné et n'est pas tenu de limiter son examen aux seuls faits qui ont été initialement portés à sa connaissance ; qu'en application de l'article 51 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, le rapporteur devant le Conseil supérieur de la magistrature désigné par une ordonnance du Premier président de la Cour de cassation, agissant en qualité de président de la juridiction disciplinaire, en date du 26 avril 2005, a été chargé de procéder à une enquête ; que la circonstance qu'il ait, en l'espèce, relevé dans son rapport, pour apprécier le mérite de certains des griefs retenus à l'encontre de M. A, de faits particuliers non mentionnés dans la saisine initiale et révélés au cours de l'enquête qu'il a menée, ne constitue pas une modification de la saisine de la juridiction ; que, par suite cette saisine n'est pas entachée d'irrégularité et la participation du rapporteur au délibéré de la séance du 3 mars 2006 ne méconnaît pas davantage le principe d'impartialité ;

Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 55 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, le magistrat poursuivi a droit à communication, avant l'audience, « de son dossier, de toutes les pièces de l'enquête et du rapport établi par le rapporteur » ; que le grief tiré des conditions de gestion peu satisfaisantes du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de La Rochelle est largement exposé dans le rapport présenté devant le Conseil supérieur de la magistrature dont le requérant ne conteste pas qu'il lui a été communiqué en temps utile avant la séance du 3 mars 2006 ; que si M. A se borne à évoquer le versement tardif de pièces dont la nature n'est pas précisée, il résulte des dispositions de l'article 56 de l'ordonnance, dont il n'est pas établi, ni même allégué, qu'elles aient été en l'espèce méconnues, que, lors de l'audience du Conseil supérieur de la magistrature siégeant comme juridiction disciplinaire des magistrats du siège, le magistrat poursuivi a été invité à fournir ses explications et moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés après l'audition du directeur des services judiciaires et après lecture du rapport ; qu'eu égard à la procédure ainsi suivie devant le Conseil supérieur de la magistrature, M. A ne saurait soutenir que les droits de la défense ont été méconnus ;

En ce concerne la légalité de la décision attaquée :

Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 6 août 2002 portant amnistie : « Sont amnistiés les faits commis avant le 17 mai 2002 en tant qu'ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles. (...) Toutefois, si ces faits ont donné lieu à une condamnation pénale, l'amnistie des sanctions disciplinaires ou professionnelles est subordonnée à l'amnistie ou à la réhabilitation légale ou judiciaire de la condamnation pénale. » ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que si le Conseil supérieur de la magistrature a accordé à M. A le bénéfice de cette amnistie en jugeant que les faits qui lui étaient reprochés, commis avant le 17 mai 2002, ne pouvaient être regardés comme un manquement à l'honneur, le Conseil supérieur a également relevé que la situation avait perduré au-delà du 17 mai 2002 ; que, ce faisant, et alors même qu'il pouvait tenir compte pour prendre sa décision de circonstances survenues avant cette date, il a fondé sa décision exclusivement sur des faits postérieurs, qui n'entraient pas dans le champ de la loi d'amnistie ;

Considérant qu'il ressort également des pièces du dossier soumises au juge du fond qu'après avoir relevé, d'une part, les retards importants qui caractérisaient le travail de M. A et leurs effets préjudiciables à l'égard des justiciables, et, d'autre part, que le magistrat n'avait pas donné suite aux observations qui avaient pu lui être adressées, c'est sans entacher son appréciation de dénaturation que le Conseil supérieur de la magistrature a pu légalement déduire que ces faits, dont la matérialité est établie, étaient constitutifs d'un manquement au devoir de son état de magistrat et qu'ils étaient de nature à justifier une sanction ;

Considérant que le moyen tiré de ce que les poursuites disciplinaires engagées seraient tardives ne peut être accueilli, aucun texte n'enfermant dans un délai déterminé l'exercice de l'action disciplinaire à l'encontre d'un magistrat du siège ;

Considérant, enfin, qu'il n'appartient pas au Conseil d'Etat, juge de cassation, de se prononcer sur le choix de la sanction à infliger compte tenu de la gravité des faits qui l'ont motivée, lequel relève de l'appréciation souveraine de la juridiction disciplinaire ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision attaquée ;

Sur les conclusions dirigées contre le décret du président de la République nommant M. A au tribunal de grande instance de Nanterre :

Considérant qu'en vertu de l'article 58 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, la décision par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature prononce une sanction disciplinaire à l'encontre d'un magistrat du siège prend effet du jour de sa notification ; que le Président de la République, tirant les conséquences de la décision du 3 mars 2006 du Conseil supérieur de la magistrature prononçant contre M. A la sanction du déplacement d'office, a nommé ce dernier juge au tribunal de grande instance de Nanterre, par décret du 16 mai 2006 ;

Considérant qu'aux termes de l'article 28 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 : « Les décrets portant promotion de grade ou nomination aux fonctions de magistrat (...) sont pris par le Président de la République sur proposition du garde des sceaux, ministre de la justice, après avis conforme de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature pour ce qui concerne les magistrats du siège et après avis de la formation compétente du Conseil supérieur pour ce qui concerne les magistrats du parquet. (...) » ; qu'il résulte de l'ampliation, certifiée conforme par le secrétaire général du gouvernement, que le décret attaqué vise notamment, d'une part, le rapport du Premier ministre et du garde des sceaux, ministre de la justice et, d'autre part, l'avis rendu le 19 avril 2006 par le Conseil supérieur de la magistrature relatif à la nomination du requérant ; qu'ainsi le moyen tiré du vice de procédure entachant la légalité du décret contesté manque en fait ;

Considérant que les conclusions dirigées contre la décision du Conseil supérieur de la magistrature ayant prononcé la sanction du déplacement d'office à l'encontre de M. A ayant été rejetées par la présente décision, le moyen tiré de ce que le décret attaqué devrait être annulé par voie de conséquence de l'annulation de la décision du Conseil supérieur de la magistrature ne peut qu'être écarté ;

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la loi du 6 août 2002 : « Les contestations relatives au bénéfice de l'amnistie des sanctions disciplinaires ou professionnelles définitives sont portées devant l'autorité ou la juridiction qui a rendu la décision. / L'intéressé peut saisir cette autorité ou juridiction en vue de faire constater que le bénéfice de l'amnistie lui est effectivement acquis. / En l'absence de décision définitive, ces contestations sont soumises à l'autorité ou à la juridiction saisie de la poursuite. / L'exécution de la sanction est suspendue jusqu'à ce qu'il est statué sur la demande ; le recours contentieux contre la décision de rejet de la demande a également un caractère suspensif. » ; que, ainsi qu'il a été dit, la sanction prononcée n'est fondée que sur des faits postérieurs à la date du 17 mai 2002 et par conséquent sans lien avec des faits couverts par l'amnistie ; que, par suite et en tout état de cause, M. A n'est pas fondé à se prévaloir de ces dispositions pour demander l'annulation du décret litigieux ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à demander l'annulation du décret du Président de la République le nommant au tribunal de grande instance de Nanterre ;

Sur les conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le remboursement des frais exposés par le requérant et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes n° 293059 et 293911 de M. A sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Jacques A, au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 26 jui. 2007, n° 293059
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Delarue
Rapporteur ?: M. Richard Senghor
Rapporteur public ?: M. Guyomar
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Formation : 6ème et 1ère sous-sections réunies
Date de la décision : 26/07/2007
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 293059
Numéro NOR : CETATEXT000018006874 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2007-07-26;293059 ?
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