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11/07/2007 | FRANCE | N°299787

France | France, Conseil d'État, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 11 juillet 2007, 299787


Vu 1°/, sous le n° 299787, la requête, enregistrée le 15 décembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société EASY JET AIRLINES COMPANY LTD, dont le siège est Easyland, Luton Airport, Bedfordshire (Royaume-Uni) ; la société EASY JET AIRLINES COMPANY LTD demande au Conseil d'Etat d'annuler le décret n° 2006 ;1425 du 21 novembre 2006 relatif aux bases d'exploitation des entreprises de transport aérien et modifiant le code de l'aviation civile ;

Vu, 2°/ sous le n° 300114, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistré

s les 26 décembre 2006 et 15 février 2007 au secrétariat du contentieux du ...

Vu 1°/, sous le n° 299787, la requête, enregistrée le 15 décembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société EASY JET AIRLINES COMPANY LTD, dont le siège est Easyland, Luton Airport, Bedfordshire (Royaume-Uni) ; la société EASY JET AIRLINES COMPANY LTD demande au Conseil d'Etat d'annuler le décret n° 2006 ;1425 du 21 novembre 2006 relatif aux bases d'exploitation des entreprises de transport aérien et modifiant le code de l'aviation civile ;

Vu, 2°/ sous le n° 300114, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 décembre 2006 et 15 février 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par la société RYANAIR LTD, dont le siège est à Dublin Airport, County Dublin, en Irlande ; la société RYANAIR LTD demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2006 ;1425 du 21 novembre 2006 relatif aux bases d'exploitation des entreprises de transport aérien et modifiant le code de l'aviation civile ;

2°) de renvoyer, à titre préjudiciel, à la Cour de justice des Communautés européennes les difficultés d'interprétation des stipulations du traité CE et du droit communautaire dérivé que soulève, le cas échéant, la présente requête ;

…………………………………………………………………………

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le Traité instituant la Communauté européenne ;

Vu la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, signée à Rome le 19 juin 1980, ensemble le décret n° 91 ;242 du 28 février 1991 portant publication de ladite convention ;

Vu le règlement (CEE) du Conseil n° 1408/71 modifié du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté ;

Vu les règlements (CEE) du Conseil du 23 juillet 1992 n° 2407/92 concernant les licences des transporteurs aériens et n° 2408/92 concernant l'accès des transporteurs aériens communautaires aux liaisons aériennes intracommunautaires ;

Vu la directive 96/71/CE du Parlement et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services ;

Vu le règlement (CE) n° 847/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 concernant la négociation et la mise en oeuvre d'accords relatifs à des services aériens entre les Etats membres et les pays tiers ;

Vu le code du travail, notamment ses articles L. 342 ;1 à L. 342 ;6 ;

Vu le code de l'aviation civile ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-François Mary, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Choucroy, Gadiou, Chevallier, avocat de la société EASY JET AIRLINES COMPANY LTD et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat du ministre d'Etat, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes des sociétés EASY JET et RYANAIR sont dirigées contre le même décret ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur l'intervention de la société EASY JET à l'appui de la requête n° 300114 de la société RYANAIR :

Considérant que la société EASY JET a intérêt à l'annulation du décret attaqué ; que, par suite, son intervention à l'appui de la requête de la société RYANAIR est recevable ;

Sur la légalité de l'article 1er du décret attaqué :

Considérant que la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises a notamment transposé la directive 96/71/CE du Parlement et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services par des dispositions figurant dans un chapitre II relatif au détachement transnational de travailleurs, lui-même inséré dans le titre IV du livre III du code du travail ; que les dispositions de ce chapitre prévoient qu'un employeur établi hors de France qui détache des salariés en vue d'exécuter des prestations de services pendant une durée limitée sur le territoire français n'est soumis aux dispositions législatives, réglementaires et conventionnelles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d'activité en France que pour les matières mentionnées à l'article L. 342 ;3 du code du travail ; qu'aux termes de l'article L. 342 ;4 du même code : « Un employeur ne peut se prévaloir des dispositions applicables au détachement de salariés lorsque son activité est entièrement orientée vers le territoire français ou lorsqu'elle est réalisée dans des locaux ou avec des infrastructures à partir desquels elle est exercée de façon habituelle, stable et continue, notamment par la recherche et la prospection d'une clientèle ou le recrutement de salariés sur ce territoire./ Dans les situations visées au premier alinéa, l'employeur est assujetti aux dispositions du code du travail applicables aux entreprises établies sur le territoire français »; que l'article 1er du décret attaqué ajoute au code de l'aviation civile un article R. 330 ;2 ;1 selon lequel l'article L. 342 ;4 du code du travail s'applique aux entreprises de transport aérien au titre de leurs « bases d'exploitation » situées sur le territoire français, une « base d'exploitation » étant définie par cet article comme : « un ensemble de locaux ou d'infrastructures à partir desquels une entreprise exerce de façon stable, habituelle et continue une activité de transport aérien avec des salariés qui y ont le centre de leur activité professionnelle », le « centre de l'activité professionnelle d'un salarié » étant lui-même défini comme « le lieu où, de façon habituelle, il travaille ou celui où il prend son service et retourne après l'accomplissement de sa mission » ;

Considérant qu'il ressort de ses termes mêmes que l'article R. 330 ;2 ;1 du code de l'aviation civile se borne à rappeler qu'en vertu de l'article L. 342 ;4 du code du travail les salariés travaillant de manière habituelle dans les locaux ou infrastructures à partir desquels les entreprises de transport aérien exercent de façon stable, habituelle et continue leur activité sur le territoire français sont soumis au code du travail ; que, ce faisant, l'article R. 330 ;2 ;1 du code de l'aviation civile explicite la portée de l'article L.342-4 du code du travail dans le secteur du transport aérien, sans y ajouter ; qu'ainsi, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'article 1er du décret attaqué enfreindrait ce dernier article ;

Considérant qu'il résulte des dispositions des articles 52 et 59 du traité instituant la Communauté économique européenne, devenus respectivement les articles 43 et 49 du traité instituant la Communauté européenne, telles qu'interprétées de manière constante par la Cour de Justice des Communautés européennes, qu'une entreprise d'un Etat membre qui maintient, dans un autre Etat membre, une présence permanente, y compris par le moyen d'un simple bureau géré par son personnel ou d'une personne indépendante mandatée par elle pour agir en permanence pour son compte comme le ferait une agence, relève des règles relatives au droit d'établissement et que la liberté de prestation des services garantie par le traité ne fait pas obstacle à ce qu'un Etat membre prennent les dispositions permettant d'éviter qu'un prestataire de services utilise cette liberté en vue de réaliser une activité entièrement et principalement tournée vers son territoire, de manière à se soustraire aux règles professionnelles qui lui seraient applicables s'il y était établi, une telle situation relevant au contraire des règles relatives au droit d'établissement ; qu'ainsi, en prévoyant que les dispositions relatives au détachement transnational de travailleurs ne sont pas applicables aux entreprises d'un autre Etat membre dont l'activité est entièrement orientée vers le territoire français ou est réalisée de façon stable, habituelle et continue dans des locaux ou avec des infrastructures situés sur ce territoire, l'article L. 342 ;4 du code du travail n'a pas méconnu les articles 43 et 49 du traité instituant la Communauté européenne ni, par voie de conséquence, ainsi que le soutient la société RYANAIR, les dispositions du règlement (CEE) n° 407/92 du Conseil, du 23 juillet 1992, concernant les licences des transporteurs aériens et celles du règlement (CEE) n° 2408/92 du 23 juillet 1992 concernant l'accès des transporteurs aériens communautaires aux liaisons aériennes intracommunautaires ;

Considérant que, pour les mêmes motifs que ceux invoqués ci-dessus, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'article L. 342 ;4 du code du travail méconnaîtrait les dispositions de l'article 10 du traité instituant la Communauté européenne, relatives à la coopération loyale entre les Etats membres et les institutions de la Communauté, et de l'article 12 du même traité, relatives au principe de non-discrimination selon la nationalité ; que la seule circonstance que l'entrée en vigueur de l'article L. 342 ;4 modifie la situation des sociétés requérantes n'est pas de nature à faire regarder cet article comme contraire au principe de sécurité juridique ou au principe de confiance légitime ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 342 ;4 du code du travail ont pour seul objet de rappeler qu'en dehors des cas prévus aux articles L. 342 ;1 à L. 342 ;3 du même code, pris pour la transposition de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, le code du travail s'applique aux entreprises établies en France ; que, par suite, les sociétés requérantes ne sauraient utilement se prévaloir à leur encontre des dispositions de la directive, dont elles n'assurent pas la transposition ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 342 ;4 du code du travail ne fixent pas non plus de règles de conflits de lois ; que, par suite, les sociétés requérantes ne peuvent utilement se prévaloir à leur encontre des stipulations de la convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles, signée le 19 juin 1980, qui s'applique uniquement aux situations de conflits de lois en vertu du paragraphe 1 de son article 1er ;

Considérant que l'article L. 342 ;4 du code du travail, relatif aux règles de droit du travail applicables aux salariés en cas de détachement, ne relève pas du champ d'application du règlement (CEE) n° 1408/71du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté ; qu'ainsi, la société EASY JET ne saurait utilement s'en prévaloir ;

Sur la légalité de l'article 2 du décret attaqué :

Considérant que l'article 2 du décret attaqué modifie les dispositions du I et du II de l'article R. 330 ;6 du code de l'aviation civile fixant les règles applicables à l'exploitation, par les transporteurs aériens titulaires d'une licence délivrée par un autre Etat membre, de liaisons aériennes auxquelles le règlement (CEE) n° 2408/92 du 23 juillet 1992 ne s'applique pas, en distinguant selon que ces transporteurs sont ou non établis en France ; que le deuxième alinéa du I de l'article R. 330 ;6 retient qu'un transporteur aérien est établi en France au sens de cet article « lorsqu'il exerce de façon stable, habituelle et continue une activité de transport aérien à partir d'une base d'exploitation située sur le territoire national telle que définie à l'article R. 330 ;2 ;1 » ;

Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les sociétés RYANAIR et EASY JET ne sont pas fondées à soutenir que la définition des « bases d'exploitation » utilisée dans cet article serait contraire aux articles 10, 12, 43 et 49 du traité instituant la Communauté européenne ;

Considérant que les sociétés RYANAIR et EASY JET ne sauraient utilement invoquer ni les dispositions des règlements (CEE) n° 2407/92 et n° 2408/92 du Conseil, du 23 juillet 1992, qui ne s'appliquent pas aux liaisons aériennes régies par l'article 2 du décret attaqué, ni celles du règlement (CE) n° 847/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, concernant la négociation et la mise en oeuvre d'accords relatifs à des services aériens entre les Etats membres et les pays tiers, qui ne concernent pas la délivrance des autorisations prévue à cet article ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de saisir, à titre préjudiciel, la Cour de Justice des Communautés Européennes, que les sociétés EASY JET et RYANAIR ne sont pas fondées à demander l'annulation du décret qu'elles attaquent ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que les sociétés requérantes demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de chacune de ces deux sociétés la somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par l'Etat et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention de la société EASY JET AIRLINES COMPANY LTD dans l'affaire n° 300114 est admise.

Article 2 : Les requêtes des sociétés EASY JET AIRLINES COMPANY LTD et RYANAIR LTD sont rejetées.

Article 3 : Les sociétés EASY JET AIRLINES COMPANY LTD et RYANAIR LTD verseront chacune à l'Etat une somme de 2.500 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société EASY JET AIRLINES COMPANY LTD, à la société RYANAIR LTD, au Premier ministre et au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 11 jui. 2007, n° 299787
Publié au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Delarue
Rapporteur ?: M. Jean-François Mary
Rapporteur public ?: Mme Prada Bordenave
Avocat(s) : SCP CHOUCROY, GADIOU, CHEVALLIER ; SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ

Origine de la décision
Formation : 2ème et 7ème sous-sections réunies
Date de la décision : 11/07/2007
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 299787
Numéro NOR : CETATEXT000018006971 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2007-07-11;299787 ?
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