Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 juillet 2005 et 17 novembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'UNION NATIONALE LAIQUE DES ANCIENS SUPPLETIFS, dont le siège est BP 11 à Le Thoronet (83340) ; l'UNION NATIONALE LAIQUE DES ANCIENS SUPPLETIFS demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le décret n° 2005-477 du 17 mai 2005 pris pour application des articles 6, 7 et 9 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son article 22 ;
Vu le Pacte international de New-York relatif aux droits civils et politiques, en date du 19 décembre 1966 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le premier protocole additionnel ;
Vu la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 modifiée, relative au règlement de l'indemnisation des rapatriés ;
Vu la loi n° 94-488 du 11 juin 1994, relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilées ou victimes de la captivité en Algérie ;
Vu la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des français rapatriés
Vu le décret n° 2005-477 du 17 mai 2005 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Edouard Geffray, Auditeur,
- les observations de la SCP Roger, Sevaux, avocat de l'UNION NATIONALE LAIQUE DES ANCIENS SUPPLETIFS,
- les conclusions de Mme Claire Landais, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la requête de L'UNION NATIONALE LAIQUE DES ANCIENS SUPPLETIFS est dirigée contre le décret du 17 mai 2005, pris pour application des articles 6, 7 et 9 de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, qui définit les modalités de versement de l'allocation de reconnaissance aux anciens membres des formations supplétives de l'armée française en Algérie ;
Sur la légalité externe du décret attaqué :
Considérant qu'aux termes de l'article 22 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution » ; que, s'agissant d'un acte de nature réglementaire, les ministres chargés de son exécution sont ceux qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures complémentaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution de cet acte ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la procédure d'attribution et de versement de l'allocation de reconnaissance ne comporte pas nécessairement l'intervention de mesures réglementaires ou individuelles que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie serait compétent pour signer ou contresigner ; que dans ces conditions, et sans que puisse y faire obstacle les circonstances que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie était mentionné dans l'article 7 d'exécution du décret et que le ministre délégué au budget avait contresigné le décret, le défaut de contreseing du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, qui n'était pas chargé de l'exécution du décret attaqué, n'entache pas celui-ci d'irrégularité ;
Sur la légalité interne du décret attaqué :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ratifiée par la France en application de la loi du 31 décembre 1973 et publiée au Journal officiel par décret du 3 mai 1974 : « Les Hautes parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre 1 de la présente convention » ; qu'aux termes de l'article 14 de la même convention : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation » ; qu'en vertu des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens./ Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer 1'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. » ;
Considérant que l'allocation de reconnaissance instituée par l'article 67 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2002 a le caractère d'un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'il résulte de ces stipulations qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;
Considérant que l'article 6 de la loi du 23 février 2005 dispose que l'allocation de reconnaissance prévue à l'article 67 de la loi de finances rectificative pour 2002 est versée aux anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives ayant servi en Algérie relevant du statut civil de droit local, qui ont conservé la nationalité française en application de l'article 2 de l'ordonnance n° 62-825 du 21 juillet 1962 relative à certaines dispositions concernant la nationalité française, et peut faire l'objet, au choix du bénéficiaire, d'une revalorisation ou d'une substitution en tout ou partie du versement d'un capital ; que selon l'article 9 de cette même loi : « Par dérogation aux conditions fixées pour bénéficier de l'allocation de reconnaissance et des aides spécifiques au logement mentionnées aux articles 6 et 7, le ministre chargé des rapatriés accorde le bénéfice de ces aides aux anciens harkis et membres des formations supplétives ayant servi en Algérie ou à leurs veuves, rapatriés, âgés de soixante ans et plus, qui peuvent justifier d'un domicile continu en France ou dans un autre Etat membre de la Communauté européenne depuis le 10 janvier 1973 et qui ont acquis la nationalité française avant le 1er janvier 1995. (...) » ; que les articles 1er, 2, 3 et 4 du décret attaqué qui définissent les modalités de versement de l'allocation de reconnaissance reprennent les conditions relatives au statut des bénéficiaires telles que définies aux articles 6 et 9 de la loi précitée ;
Considérant que, pour demander l'annulation du décret attaqué, l'UNION NATIONALE LAIQUE DES ANCIENS SUPPLETIFS soutient que le dispositif créé par la loi du 23 février 2005 est contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'il institue une différence de traitement entre les anciens supplétifs soumis au statut civil de droit local et les anciens supplétifs soumis au statut civil de droit commun ; que toutefois, l'allocation de reconnaissance vise à reconnaître les sacrifices consentis par les harkis, moghaznis et anciens membres des formations supplétives et assimilés en Algérie soumis au statut civil de droit local, qui se sont installés en France, et a pour objet de compenser les graves préjudices qu'ils ont subis lorsque, contraints de quitter l'Algérie après l'indépendance, ils ont été victimes d'un déracinement et connu des difficultés spécifiques et durables d'insertion lors de leur accueil et de leur séjour en France ; que les intéressés, qui relevaient d'un statut juridique spécifique, se trouvaient dans une situation objectivement différente de celle des anciens supplétifs soumis au statut civil de droit commun ; que par suite, si le législateur a subordonné l'octroi de l'allocation de reconnaissance à la soumission antérieure des intéressés au statut civil de droit local, une telle condition est fondée sur un critère objectif et rationnel en rapport avec les buts de la loi, et ne méconnaît pas les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que dès lors, le moyen tiré de ce que la loi du 23 février 2005 et le décret attaqué institueraient une discrimination entre les anciens supplétifs, doit être écarté ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme que demande l'UNION NATIONALE LAIQUE DES ANCIENS SUPPLETIFS au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'UNION NATIONALE LAIQUE DES ANCIENS SUPPLETIFS est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'UNION NATIONALE LAIQUE DES ANCIENS SUPPLETIFS, au Premier ministre et au ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.