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19/05/2006 | FRANCE | N°274692

France | France, Conseil d'État, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 19 mai 2006, 274692


Vu 1°), sous le n° 274692, la requête, enregistrée le 29 novembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le SYNDICAT NATIONAL DES CADRES SUPERIEURS DES CHEMINS DE FER, dont le siège est 9, rue du Château Landon à Paris (75010) ; le SYNDICAT NATIONAL DES CADRES SUPERIEURS DES CHEMINS DE FER demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande du 30 juillet 2004 tendant à l'abrogation du décret n° 54-24 du 9 janvier 1954, et plus particulièrement son article 2, portant règlement

d'administration publique pour l'application aux agents de la Société n...

Vu 1°), sous le n° 274692, la requête, enregistrée le 29 novembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le SYNDICAT NATIONAL DES CADRES SUPERIEURS DES CHEMINS DE FER, dont le siège est 9, rue du Château Landon à Paris (75010) ; le SYNDICAT NATIONAL DES CADRES SUPERIEURS DES CHEMINS DE FER demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande du 30 juillet 2004 tendant à l'abrogation du décret n° 54-24 du 9 janvier 1954, et plus particulièrement son article 2, portant règlement d'administration publique pour l'application aux agents de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) du décret du 9 août 1953 relatif au régime des retraites des personnels de l'Etat et des services publics ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger le décret n° 54-24 et plus particulièrement son article 2 dans le délai de deux mois à compter de la décision à intervenir et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°), sous le n° 281587, la requête, enregistrée le 15 juin 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par Mme Martine A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande du 31 mars 2005 tendant à l'abrogation de l'article 2 du décret n° 54-24 du 9 janvier 1954 ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre les mesures nécessaires pour procéder à cette abrogation, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser 1 000 euros en réparation du préjudice subi ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros hors taxes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 avril 2006, présentée par le SYNDICAT NATIONAL DES CADRES SUPERIEURS DES CHEMINS DE FER ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 2 mai 2006, présentée par Mme DOBLER ;

Vu la Constitution, notamment son article 62 ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu la loi n° 2003-775 du 21 août 2003, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2003-483 DC du 14 août 2003 ;

Vu le décret n° 53-711 du 9 août 1953 ;

Vu le décret n° 54-24 du 9 janvier 1954 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sébastien Veil, Auditeur,

- les observations de Me Odent, avocat de la Société nationale des chemins de fer français,

- les conclusions de M. Jacques-Henri Stahl, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes du SYNDICAT NATIONAL DES CADRES SUPERIEURS DES CHEMINS DE FER et de Mme A présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision ;

Sur le moyen tiré du défaut de motivation de la décision du Premier ministre refusant de procéder à l'abrogation demandée :

Considérant que la décision par laquelle une autorité administrative refuse d'abroger des dispositions réglementaires n'a pas le caractère d'une décision individuelle et ne saurait, dès lors, entrer dans le champ d'application de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs ; que, par suite, le moyen présenté par Mme A tiré du défaut de motivation de la décision implicite de rejet que le Premier ministre a opposée à sa demande tendant à l'abrogation de l'article 2 du décret du 9 janvier 1954 relatif à l'admission à la retraite pour ancienneté des agents de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ;

Sur les moyens tirés de ce que le décret du 9 janvier 1954 aurait été entaché d'illégalité dès l'origine :

Considérant, en premier lieu, que l'article 5 de la loi du 11 juillet 1953, portant redressement économique et financier, a habilité le Gouvernement à prendre, par décret en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat, des mesures concernant les limites d'âge et les modalités de mise à la retraite d'agents d'entreprises publiques qui remplissent les conditions exigées pour l'ouverture du droit à pension d'ancienneté, parmi lesquels les agents de la SNCF ; que, sur le fondement de ces dispositions législatives, l'article 5 du décret du 9 août 1953 relatif au régime des retraites des personnels de l'Etat et des services publics a expressément réservé, dans son deuxième alinéa, des mesures d'adaptation devant être prises par voie de règlements d'administration publique et spécifié, dans son troisième alinéa, que ces règlements pourraient notamment prévoir, pour tout ou partie des entreprises ou organismes concernés, un âge d'ouverture du droit à pension ou une limite d'âge inférieurs à ceux prévus au premier alinéa de l'article 5 ; qu'aucun principe ni aucune disposition législative ne faisait obstacle à ce que le Gouvernement renvoyât les modalités d'application ou d'adaptation de ces mesures, compte tenu de la diversité des entreprises publiques en cause, à de tels règlements ;

Considérant, en deuxième lieu, que si le renvoi alors opéré par l'article 5 du décret du 9 août 1953 à un règlement d'administration publique impliquait que le projet de décret pris sur ce fondement fût soumis à l'Assemblée générale du Conseil d'Etat, il résulte de la mention le Conseil d'Etat entendu que le décret du 9 janvier 1954 a été pris après avis de l'Assemblée générale du Conseil d'Etat ; qu'il n'est pas allégué que cette mention serait inexacte ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le décret litigieux aurait été adopté à l'issue d'une procédure irrégulière doit être écarté ;

Considérant, enfin, qu'en vertu de l'habilitation prévue par le décret du 9 août 1953, le décret du 9 janvier 1954 pouvait légalement prévoir à son article 2 que l'admission à la retraite pour ancienneté des agents de la SNCF serait susceptible d'être prononcée d'office lorsque se trouveraient remplies certaines conditions d'âge et d'ancienneté ; que le décret litigieux pouvait fixer une limite d'âge inférieure à celle prévue par le décret du 9 août 1953 et, dans ce cadre, instituer un mécanisme de dérogation individuelle à ce plafond afin de répondre à la situation économique ; qu'il suit de là que le syndicat requérant n'est pas fondé à soutenir que les dispositions de l'article 2 du décret du 9 janvier 1954 auraient été prises en méconnaissance des dispositions du décret du 9 août 1953 ;

Sur les moyens tirés de ce que le décret du 9 janvier 1954 serait devenu illégal :

Considérant, en premier lieu, que s'il appartient à tout intéressé, en cas de changement dans les circonstances qui ont pu motiver légalement une disposition réglementaire, de demander à toute époque à l'autorité compétente d'abroger ce règlement puis de se pourvoir, le cas échéant, contre le refus opposé à sa demande, cette faculté doit, dans les matières où l'administration dispose de pouvoirs étendus pour adapter son action à l'évolution des circonstances de fait, être limitée au cas où le changement de circonstances a revêtu, pour des causes indépendantes de la volonté des intéressés, le caractère d'un bouleversement tel qu'il a eu pour effet de retirer à celle-ci son fondement juridique ;

Considérant que les dispositions litigieuses qui s'inscrivent dans le cadre d'un régime spécial de retraite, ont eu pour objet, lors de leur édiction, de permettre à la SNCF de limiter la charge financière liée au nombre de ses agents ; que nonobstant les changements intervenus depuis 1954 et affectant notamment le contexte démographique, économique et social, ceux-ci n'ont pas eu un caractère de bouleversement tel qu'ils rendraient l'objet initial des dispositions contestées caduc au point de priver celles-ci de leur fondement juridique ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le décret du 9 janvier 1954 serait devenu illégal du fait de changement de circonstances de fait doit être écarté ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'appelé à se prononcer sur la conformité à la Constitution des dispositions de l'article 3 de la loi du 21 août 2003, le Conseil constitutionnel a jugé, par sa décision susvisée du 14 août 2003, que ces dispositions étaient dépourvues de valeur normative ; que, dès lors, le syndicat requérant ne peut utilement invoquer leur méconnaissance à l'appui de sa demande d'abrogation du décret du 9 janvier 1954 ;

Considérant, en troisième lieu, d'une part, que les cadres supérieurs de la SNCF ne se trouvent pas dans la même situation au regard du dispositif litigieux que les cadres supérieurs relevant d'autres régimes spéciaux, les fonctionnaires de l'Etat ou les salariés de droit privé ; que, d'autre part, le décret du 9 janvier 1954 n'établit aucune différence entre les cadres de la SNCF et les autres agents de cette entreprise ; qu'ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ;

Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article L. 122-45 du code du travail : Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son patronyme ou en raison de son état de santé ou de son handicap ; que, toutefois, contrairement à ce que soutient Mme A, la possibilité ouverte à la SNCF par les dispositions litigieuses de mettre d'office à la retraite tout agent qui remplit les conditions d'âge et de durée de services valables définies par le règlement de retraites, ne constitue pas une discrimination interdite par l'article L. 122-45 du code du travail ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 122-45 ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ;

Considérant, enfin, que le dispositif mis en place par décret attaqué étant antérieur au traité instituant la Communauté européenne, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 87 de ce traité qui, au surplus, relève de l'appréciation exclusive de la Commission, ne peut être utilement invoqué à son encontre ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des décisions implicites par lesquelles le Premier ministre a rejeté leurs demandes tendant à l'abrogation du décret du 9 janvier 1954 ; que, par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction, celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les conclusions à fin d'indemnité présentées par Mme A doivent être rejetées ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A la somme que la SNCF demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes du SYNDICAT NATIONAL DES CADRES SUPERIEURS DES CHEMINS DE FER et de Mme A sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions de la Société nationale des chemins de fer français tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au SYNDICAT NATIONAL DES CADRES SUPERIEURS DES CHEMINS DE FER, à Mme Martine A, à la Société nationale des chemins de fer français, au Premier ministre et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.


Synthèse
Formation : 1ère et 6ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 274692
Date de la décision : 19/05/2006
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - COMPÉTENCE - RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE AUTORITÉS DISPOSANT DU POUVOIR RÉGLEMENTAIRE - MESURES À PRENDRE PAR DÉCRET - DÉCRET EN CONSEIL D'ETAT - SIGNIFICATION DE LA MENTION LE CONSEIL D'ETAT ENTENDU.

01-02-02-02-01 Lorsqu'un décret porte la mention le Conseil d'Etat entendu, cela signifie que ce texte a été pris après avis de l'Assemblée générale du Conseil d'Etat.

TRANSPORTS - TRANSPORTS FERROVIAIRES - PERSONNEL DE LA SNCF - POSSIBILITÉ DE PRONONCER L'ADMISSION À LA RETRAITE D'OFFICE LORSQUE CERTAINES CONDITIONS SE TROUVENT RÉUNIES (ARTICLE 2 DU RÈGLEMENT D'ADMINISTRATION PUBLIQUE DU 9 JANVIER 1954) - ILLÉGALITÉ EN RAISON D'UN CHANGEMENT DANS LES CIRCONSTANCES DE FAIT - ABSENCE [RJ1].

65-01-02 S'il appartient à tout intéressé, en cas de changement dans les circonstances qui ont pu motiver légalement une disposition réglementaire, de demander à toute époque à l'autorité compétente d'abroger ce règlement puis de se pourvoir, le cas échéant, contre le refus opposé à sa demande, cette faculté doit, dans les matières où l'administration dispose de pouvoirs étendus pour adapter son action à l'évolution des circonstances de fait, être limitée au cas où le changement de circonstances a revêtu, pour des causes indépendantes de la volonté des intéressés, le caractère d'un bouleversement tel qu'il a eu pour effet de retirer à celle-ci son fondement juridique. Les dispositions de l'article 2 du décret du 9 janvier 1954, qui s'inscrivent dans le cadre d'un régime spécial de retraite, ont eu pour objet, lors de leur édiction, de permettre à la SNCF de limiter la charge financière liée au nombre de ses agents. Nonobstant les changements intervenus depuis 1954 et affectant notamment le contexte démographique, économique et social, ceux-ci n'ont pas eu un caractère de bouleversement tel qu'ils rendraient l'objet initial des dispositions contestées caduc au point de priver celles-ci de leur fondement juridique. Dès lors, le moyen tiré de ce que le décret du 9 janvier 1954 serait devenu illégal du fait de changement de circonstances de fait ne peut qu'être écarté.


Références :

[RJ1]

Cf. Ass., 10 janvier 1964, Ministre de l'agriculture c/ Simonnet, p. 19 ;

23 mars 1994, Aymé Jouve, p. 156 ;

12 juin 1998, SARL Compagnie téléphonique, T. p. 712.


Publications
Proposition de citation : CE, 19 mai. 2006, n° 274692
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Hagelsteen
Rapporteur ?: M. Sébastien Veil
Rapporteur public ?: M. Stahl
Avocat(s) : ODENT

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:274692.20060519
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