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10/05/2006 | FRANCE | N°288435

France | France, Conseil d'État, 7eme et 2eme sous-sections reunies, 10 mai 2006, 288435


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 décembre 2005 et 6 janvier 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE SCHIOCCHET, dont le siège est ..., représentée par son gérant en exercice ; la SOCIETE SCHIOCCHET demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 5 décembre 2005 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nancy, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à faire constater les illégalités entachant

la procédure de passation des six lots du marché public relatif au servic...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 décembre 2005 et 6 janvier 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE SCHIOCCHET, dont le siège est ..., représentée par son gérant en exercice ; la SOCIETE SCHIOCCHET demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 5 décembre 2005 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nancy, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à faire constater les illégalités entachant la procédure de passation des six lots du marché public relatif au service de transport interurbain de voyageurs dans le département de Meurthe-et-Moselle et à enjoindre à ce département de redéfinir les conditions d'accès au marché en se conformant à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ;

2°) réglant l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par elle, de faire droit intégralement à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge du département de Meurthe-et-Moselle une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mlle Sibyle Petitjean, Auditeur,

- les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de la SOCIETE SCHIOCCHET et de la SCP Defrenois, Levis, avocat du département de Meurthe-et-Moselle,

- les conclusions de M. Didier Casas, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : Le président du tribunal administratif, ou son délégué, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics (…) Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par ce manquement (…). Le président du tribunal administratif peut être saisi avant la conclusion du contrat. Il peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du marché ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations (…). Le président du tribunal administratif ou son délégué statue en premier et dernier ressort en la forme des référés ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Nancy que, par des avis d'appel public à la concurrence envoyés à la publication au Journal officiel de l'Union européenne, au Bulletin officiel des annonces des marchés publics, aux journaux l'Est Républicain, le Républicain Lorrain, ainsi qu'aux revues spécialisées Bus et Cars et Transports publics, le 5 avril 2005, le département de Meurthe-et-Moselle a lancé un appel à candidatures pour la passation, selon la procédure du marché négocié après publicité préalable, d'un marché à bons de commande décomposé en six lots pour la desserte de lignes de transport interurbain de voyageurs et de transports scolaires dans le département ; que la SOCIETE SCHIOCCHET, admise à présenter une offre, a saisi, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Nancy d'une demande tendant à faire constater l'illégalité de la procédure de passation des six lots du marché et à ce qu'il soit enjoint au département de Meurthe-et-Moselle de redéfinir les conditions d'accès au marché ; que cette demande a été rejetée par une ordonnance en date du 5 décembre 2005 contre laquelle la SOCIETE SCHIOCCHET se pourvoit en cassation ;

Considérant qu'aux termes de l'article 71 du code des marchés publics : Lorsque, pour des raisons économiques, techniques ou financières, le rythme ou l'étendue des besoins à satisfaire ne peuvent être entièrement arrêtés dans le marché, la personne publique peut passer un marché fractionné sous la forme d'un marché à bons de commande. / I. - Le marché à bons de commande détermine les spécifications, la consistance et le prix des prestations ou ses modalités de détermination ; il en fixe le minimum et le maximum en valeur ou en quantité. Le montant maximum ne peut être supérieur à quatre fois le montant minimum. (…) / Les marchés à bons de commande sont passés pour une durée qui ne peut excéder quatre ans sauf dans des cas exceptionnels dûment justifiés, notamment par l'objet du marché. Le marché précise la durée maximale d'exécution des bons de commande. / (…) II. - Par dérogation dûment motivée dans le rapport de présentation, lorsque le montant des besoins et le rythme auxquels les bons de commande devront être émis ne peuvent être appréciés a priori par la personne publique, il peut être conclu un marché sans minimum ni maximum. ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'un marché fractionné sous la forme d'un marché à bons de commande peut être passé sans minimum ni maximum lorsque la personne publique justifie que le montant et le rythme des besoins à satisfaire ne peuvent être déterminés à l'avance ; qu'ainsi en estimant qu'il résulte de l'instruction que le département de Meurthe-et-Moselle ne maîtrise pas l'évolution de la carte scolaire et ses répercussions sur la desserte des établissements scolaires, laquelle représente plus de 70% des effectifs transportés, pour déduire de cette appréciation souveraine que le département justifie ne pouvoir apprécier a priori le montant des besoins et le rythme auxquels les bons de commande des lots du marché de transport interurbain de voyageurs devront être émis et qu'il peut, par suite, passer, en application du II l'article 71 du code des marchés publics, un marché sans minimum ni maximum, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy n'a pas entaché son ordonnance d'une erreur de droit ;

Considérant que la SOCIETE SCHIOCCHET fait valoir qu'en ne justifiant pas dans les différents documents de la consultation et dans le rapport de présentation le recours à la dérogation prévue par les dispositions précitées du II de l'article 71 du code des marchés publics, le département de Meurthe-et-Moselle a méconnu les obligations de publicité et de mise en concurrence qui s'imposaient à lui en application de l'article 71 du code des marchés publics ; que la société requérante soutient également qu'en ne portant pas, dans l'avis d'appel public à la concurrence relatif au marché contesté, une estimation du montant de ce marché, le département de Meurthe-et-Moselle a méconnu les dispositions de la circulaire du 7 janvier 2004 portant manuel d'application du code des marchés publics ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que ces moyens n‘ont pas été soulevés devant lui ; qu'il suit de là, d'une part, que ces moyens, nouveaux en cassation, sont irrecevables, et d'autre part, qu'en s'abstenant d'y répondre, le juge des référés n'a pas entaché son ordonnance d'irrégularité ;

Considérant que si les dispositions de l'alinéa 3 de l'article 71 du code des marchés publics autorisent la personne publique à passer des marchés à bons de commande pour une durée qui excède quatre ans si elle justifie se trouver dans un cas exceptionnel, eu égard notamment à l'objet du marché, ces dispositions ne prévoient pas, en revanche, que la personne publique doive présenter une telle justification dans les documents de la consultation remis aux candidats ; que, par suite, en estimant que le département de Meurthe-et-Moselle a pu, en application de l'alinéa 3 de l'article 71 du code des marchés publics, prévoir que les marchés correspondant à chacun des lots soumis à passation auront une durée supérieure à quatre ans, alors même que les documents de la consultation ne précisaient pas en quoi ces marchés pouvaient être regardés comme entrant dans les cas exceptionnels visés par l'alinéa 3 de l'article 71 du code des marchés publics, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas entaché son ordonnance d'une insuffisance de motivation ;

Considérant qu'aux termes de l'article 10 du code des marchés publics : Des travaux, des fournitures ou des prestations de services peuvent donner lieu à un marché unique ou à un marché alloti. Dans le cas où plusieurs lots sont attribués à un même titulaire, il est possible de signer avec ce titulaire un seul marché regroupant tous ces lots. / La personne responsable du marché choisit entre ces deux modalités en fonction des avantages économiques, financiers ou techniques qu'elles procurent. / Les offres sont examinées lot par lot. Les candidats ne peuvent pas présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d'être obtenus. ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, lorsque la personne publique choisit de recourir à un marché alloti, les offres présentées par les candidats doivent être examinées lot par lot ; que le respect du principe d'égalité entre les candidats à un marché public ne s'apprécie, dès lors, qu'entre les candidats à un même lot ; que par suite le juge des référés du tribunal administratif de Nancy n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que le moyen tiré par la SOCIETE SCHIOCCHET de ce qu'en prévoyant des durées différentes selon les lots des marchés mis en concurrence le département de Meurthe-et-Moselle aurait méconnu le principe d'égalité entre les candidats, ne pouvait être accueilli ;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis au juge des référés qu'en 2001 le département de Meurthe-et-Moselle a mis en concurrence un précédent marché de transport interurbain de voyageurs et de transports scolaires décomposé en cinquante-cinq lots ; qu'à l'occasion de la remise en concurrence, dans le cadre du marché litigieux, des prestations correspondant à trente des lots composant le précédent marché, le département de Meurthe ;et ;Moselle a décidé que ces prestations seraient regroupées en six lots ; qu'en estimant que le choix du département de mettre en concurrence des lots de prestations de transport interurbain en nombre plus limité et de plus grande importance découlait de l'impossibilité pour les candidats de présenter des offres portant sur plusieurs lots dès lors que, contrairement aux dispositions du code des marchés publics en vigueur lors de la passation du précédent marché, le troisième alinéa de l'article 10 du code interdit désormais aux candidats de présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d'être obtenus, pour en déduire que ces modalités d'allotissement du marché, alors même qu'elles rendraient plus difficile pour les petites et moyennes entreprises l'accès au marché, ont été choisies, ainsi que le prévoient les dispositions du deuxième alinéa de l'article 10 du code des marchés publics, en fonction d'avantages techniques et financiers et ne révèlent, par conséquent, pas un manquement par le département à ses obligations de mise en concurrence, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy n'a pas entaché son ordonnance d'une erreur de droit ;

Considérant qu'après avoir estimé que la pondération des critères de sélection des offres, et notamment l'importance du poids accordé à la valeur technique des offres, n'avait pas pour effet d'avantager les grands groupes de transport, le juge des référés a pu en déduire, sans erreur de droit, que le principe d'égalité entre les candidats n'avait pas été méconnu ;

Considérant que si des personnes morales ou physiques ont toujours la faculté de soumissionner à un marché public et, le cas échéant, de se grouper pour présenter, en application de l'article 51 du code des marchés publics, une candidature ou une offre communes, elles n'en n'ont jamais l'obligation ; qu'ainsi la SOCIETE SCHIOCCHET ne pouvait utilement soutenir, pour contester les modalités d'allotissement choisies par le département de Meurthe ;et ;Moselle, qu'elles avaient pour effet d'obliger les petites et moyennes entreprises à se grouper pour présenter une candidature ou une offre communes pour les lots du marché et que, dès lors, ces modalités étaient contraires au principe de la liberté d'association rappelé par l'article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à un prétendu principe de liberté de groupement des entreprises et aux dispositions de la circulaire du 7 janvier 2004 portant manuel d'application du code des marchés publics ; que, par suite, en s'abstenant d'examiner ce moyen, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy n'a pas entaché l'ordonnance critiquée d'une insuffisance de motifs ;

Considérant enfin que la SOCIETE SCHIOCCHET soutient que des groupes de transport candidats à l'attribution du marché, qui ont perçu des subventions publiques pour le renouvellement de leurs moyens matériels, doivent dès lors être regardés comme des soumissionnaires publics bénéficiant d'avantages de nature à créer des distorsions de concurrence entre les candidats et qu'en fixant une durée des lots supérieure à quatre années, le département a favorisé une entente entre ces groupes de transport, ces moyens, soulevés pour la première fois devant le juge de cassation, ne sont pas recevables ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIETE SCHIOCCHET n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nancy ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SOCIETE SCHIOCCHET une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par le département de Meurthe-et-Moselle et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de Meurthe-et-Moselle, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SOCIETE SCHIOCCHET demande au titre des mêmes frais ;

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la SOCIETE SCHIOCCHET est rejetée.

Article 2 : La SOCIETE SCHIOCCHET versera une somme de 3 000 euros au département de Meurthe-et-Moselle titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE SCHIOCCHET et au département de Meurthe-et-Moselle.


Synthèse
Formation : 7eme et 2eme sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 288435
Date de la décision : 10/05/2006
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 10 mai. 2006, n° 288435
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Stirn
Rapporteur ?: Mlle Sibyle Petitjean
Rapporteur public ?: M. Casas
Avocat(s) : SCP BORE ET SALVE DE BRUNETON ; SCP DEFRENOIS, LEVIS

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:288435.20060510
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