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10/02/2006 | FRANCE | N°289013

France | France, Conseil d'État, Juge des referes, 10 février 2006, 289013


Vu la requête, enregistrée le 13 janvier 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société POWEO, dont le siège est ... Défense cedex (92979) ; la société POWEO demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution d'une part, de l'article 1-I de l'arrêté du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et du ministre délégué à l'industrie du 29 décembre 2005 modifiant l'arrêté du 16 juin 2005 relatif au prix de vente du gaz co

mbustible vendu à partir des réseaux publics de distribution, en ce qu'il crée ...

Vu la requête, enregistrée le 13 janvier 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société POWEO, dont le siège est ... Défense cedex (92979) ; la société POWEO demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution d'une part, de l'article 1-I de l'arrêté du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et du ministre délégué à l'industrie du 29 décembre 2005 modifiant l'arrêté du 16 juin 2005 relatif au prix de vente du gaz combustible vendu à partir des réseaux publics de distribution, en ce qu'il crée un article 2 alinéa 1er nouveau au sein de l'arrêté du 16 juin 2005 et d'autre part, de l'article 1-II du même arrêté ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que les dispositions attaquées lui font grief car elle subit de manière directe les effets du gel des tarifs gaziers ; que l'urgence est caractérisée car le gel du prix du gaz aggrave ses pertes sur le marché des clients éligibles et le marché du gaz se trouve dans une période critique d'ouverture à la concurrence ; que les dispositions de l'arrêté attaqué ne comprennent aucune des raisons de fait qui ont conduit le ministre à prendre une telle décision ; que la commission de régulation de l'énergie n'était pas régulièrement composée lorsqu'elle a rendu son avis du 23 décembre 2005 ; que l'arrêté attaqué est privé de base légale car il ressort des communiqués de presse des ministres concernés et de GDF que les dispositions attaquées ont été prises en raison de considérations sociales ; que ce motif d'intérêt général ne peut constituer la base légale du gel des tarifs applicables aux clients professionnels ; que l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur de droit, en ce qu'il viole l'article 7-II de la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 et l'article 2 du décret n° 90-1029 du 20 novembre 1990, les tarifs réglementés ne permettant pas de couvrir l'intégralité des coûts ; que l'arrêté ne respecte pas les principes et règles du droit de la concurrence, au sein du marché français de la fourniture de gaz, entre GDF et les fournisseurs alternatifs, entre clients éligibles ayant exercé leur éligibilité et clients éligibles bénéficiant encore des tarifs réglementés de GDF et entre acteurs du marché du gaz et autres énergéticiens ; enfin que l'arrêté attaqué est contraire au principe de confiance légitime en modifiant la réglementation qui ne devait pas évoluer avant le 31 décembre 2007 ;

Vu l'arrêté dont la suspension est demandée ;

Vu la copie de la requête aux fins d'annulation présentée à l'encontre de cet arrêté ;

Vu le mémoire en intervention, enregistré le 25 janvier 2006, présenté pour la Fédération française des combustibles, carburants et chauffage (FF3C), dont le siège est ... ; la FF3C demande que le Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de la requête n° 289013 ; elle fait valoir que l'urgence est démontrée car la décision attaquée est susceptible d'affecter l'ouverture du marché du gaz à la concurrence et de créer des effets anticoncurrentiels ; que l'annulation de l'arrêté attaqué entraînerait une situation complexe pour 11 millions d'abonnés ; qu'il existe, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué, celui-ci s'abstenant de prendre en compte l'ensemble des coûts d'approvisionnement, en méconnaissance de l'article 7-II de la loi du 3 janvier 2003 et de l'article 2 du décret du 20 novembre 1990 ; que l'arrêté compromet l'objectif prévu par l'article 23 de la directive du 26 juin 2003 et méconnaît l'article L. 420-5 du code de commerce ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 30 janvier 2006, présenté par le ministre de l'économie des finances et de l'industrie, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que la société POWEO n'a pas d'intérêt à agir, en raison d'absence de lien entre, d'une part l'évolution tarifaire pour Gaz de France au 1er janvier 2006 et l'éventuel préjudice invoqué par la société POWEO à la suite de l'arrêté contesté, et d'autre part la stabilité des tarifs de GDF et la situation financière de la société POWEO ; que la décision attaquée ne préjudicie pas de manière grave et immédiate aux intérêts de la société POWEO et que la condition d'urgence n'est pas remplie ; qu'aucun texte n'imposait la motivation de l'arrêté ; que la commission de régulation de l'énergie était composée de manière régulière lorsqu'elle a rendu son avis le 23 décembre 2005 ; que la société POWEO commet une confusion en visant les « coûts supportés » par GDF, qui doivent être considérés comme la base légale de l'arrêté ; que l'arrêté ne viole pas les dispositions de l'article 7-II de la loi du 3 janvier 2003 et de l'article 2 du décret du 20 novembre 1990 ; qu'il ne saurait être fait grief aux dispositions attaquées d'avoir mis GDF en situation d'abuser automatiquement de sa position dominante ; que le moyen tiré de la violation du principe de confiance légitime doit être rejeté, car il ne trouve pas à s'appliquer dans les situations qui ne sont régies que par le droit interne et qu'en tout état de cause, une modification des textes peut intervenir sans que soit trompée la confiance légitime, si les opérateurs prudents et avisés ont pu l'anticiper ;

Vu, le mémoire en réplique, enregistré le 2 février 2006, présenté pour la société POWEO, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ;

Vu, les observations complémentaires, enregistrées le 2 février 2006, présentées pour la Fédération française des combustibles, carburants et chauffage (FF3C), qui reprend les conclusions de son précédent mémoire et les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive 2003/55/CE du 26 juin 2003 du Parlement européen et du Conseil concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE ;

Vu le code du commerce ;

Vu la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l'électricité et au service public de l'énergie ;

Vu le décret n° 90-1029 du 20 novembre 1990 réglementant les prix du gaz combustible vendu à partir des réseaux publics de transport ou de distribution ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, les représentants de la société POWEO, les représentants de la Fédération française des combustibles, carburants et chauffage (FF3C) et d'autre part, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 6 février 2006 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Y..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société POWEO ;

- Me X..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la FF3C ;

- les représentants de la société POWEO ;

- les représentants du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;

Sur l'intervention de la Fédération française des combustibles, carburants et chauffage :

Considérant que la Fédération française des combustibles, carburants et chauffage a intérêt à la suspension des dispositions contestées de l'arrêté du 29 décembre 2005 ; qu'ainsi son intervention est recevable ;

Sur les conclusions aux fins de suspension :

Considérant que la loi du 3 janvier 2003, modifiée par la loi du 9 août 2004, organise l'ouverture à la concurrence du marché français du gaz naturel, en tenant compte des objectifs définis par la directive 98/30/CE du 22 juin 1998 puis par la directive 2003/55/CE du 26 juin 2003 ; que l'article 3 de cette loi définit les clients éligibles, à l'exclusion des ménages, qui peuvent se fournir en gaz naturel auprès du fournisseur de leur choix ; qu'en vertu de l'article 23 de la directive du 26 juin 2003, les clients éligibles doivent être, à partir du 1er juillet 2004 au plus tard, tous les clients non résidentiels et, à partir du 1er juillet 2007, tous les clients ; qu'en vertu de l'article 7 de la loi du 3 janvier 2003, les tarifs de vente du gaz naturel aux clients non éligibles sont définis par décision conjointe des ministres chargés de l'économie et de l'énergie, après avis de la commission de régulation de l'énergie, en fonction des caractéristiques intrinsèques des fournitures et des coûts liés à ces fournitures ;

Considérant que par un arrêté du 12 novembre 2004, le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et le ministre délégué à l'industrie ont augmenté de 0,15 euros/kWh en moyenne les tarifs de vente hors taxes de gaz combustible distribué par les réseaux de distribution publique ; que, par un arrêté du 16 juin 2005, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a défini les conditions d'évolution de ces tarifs jusqu'au 31 décembre 2007 ; que les articles 2, 3 et 4 de cet arrêté prévoient une évolution des tarifs le 1er juillet 2005, le 1er novembre 2005, puis tous les trois mois à compter du 1er janvier 2006, afin de répercuter les variations des coûts d'approvisionnement en gaz et des autres charges ; que par ailleurs, l'article 5 de cet arrêté fixe par avance des augmentations tarifaires aux 1er juillet 2005, 1er septembre 2005, 1er janvier 2006 et 1er avril 2006 afin de tenir compte des hausses de coûts déjà intervenues ;

Considérant que, par les dispositions des I et II de l'article 1er de l'arrêté du 29 décembre 2005, dont la suspension est demandée, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et le ministre délégué à l'industrie ont d'une part, modifiant l'article 2 de l'arrêté du 16 juin 2005, supprimé, pour les tarifs applicables à Gaz de France, l'échéance de répercussion des coûts du 1er janvier 2006 et reporté au 1er avril 2006 le début de l'ajustement trimestriel des tarifs et d'autre part, modifiant l'article 5 de l'arrêté du 16 juin 2005, supprimé pour Gaz de France les augmentations tarifaires prévues pour le 1er janvier et le 1er avril 2006 ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » ;

Considérant que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;

Considérant que, pour justifier de l'urgence à prononcer la suspension demandée, la société POWEO, qui approvisionne en gaz, depuis le 1er octobre 2005, des clients éligibles ayant choisi d'exercer leur éligibilité, fait valoir d'une part que, les prix consentis à ses clients ayant été contractuellement fixés à un niveau légèrement inférieur aux tarifs de distribution publique de Gaz de France et évoluant en même temps que ces tarifs, le gel des tarifs de Gaz de France résultant de l'arrêté contesté, combiné avec l'augmentation de ses coûts d'approvisionnement en gaz, a pour effet de rendre négative la marge réalisée sur ses contrats, et d'autre part que ce gel compromet l'ouverture du marché du gaz à la concurrence, les clients éligibles étant incités à conserver leurs tarifs réglementés au lieu de faire jouer leur éligibilité et les fournisseurs alternatifs étant dissuadés d'entrer sur le marché de la distribution du gaz ; que la Fédération française des combustibles, carburants et chauffage (FF3C), intervenant en demande, invoque les perturbations qu'entraînerait, pour les 11 millions de clients relevant des tarifs de distribution publique, une éventuelle annulation des dispositions contestées de l'arrêté du 29 décembre 2005, eu égard aux hausses tarifaires rétroactives qui en résulteraient ;

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que la société POWEO réalise la quasi-totalité de son chiffre d'affaires sur le marché de l'électricité et n'effectue sur le marché du gaz que des opérations limitées ; qu'elle n'établit pas que l'arrêté contesté ait, sur son résultat ou sa situation financière, des conséquences de nature à caractériser une situation d'urgence ;

Considérant, en deuxième lieu, que, lorsque sont invoqués, pour justifier une situation d'urgence, les effets anticoncurrentiels d'une décision administrative, de tels effets doivent être caractérisés et susceptibles d'affecter durablement la structure concurrentielle du marché en cause ;

Considérant que les dispositions contestées de l'arrêté du 29 décembre 2005, qui font suite à des augmentations des tarifs de distribution publique les 1er juillet, 1er septembre et 1er novembre 2005, ont pour effet essentiel de reporter au 1er avril 2006 la répercussion des variations de coûts initialement prévue pour le 1er janvier 2006 ; qu'ainsi, et alors qu'il n'est pas établi, en l'état de l'instruction, que les tarifs seraient inférieurs aux coûts moyens, l'incidence potentielle de l'arrêté contesté sur la concurrence en matière de fourniture de gaz présente un caractère temporaire ;

Considérant, en outre, que l'incidence concurrentielle de la suppression de la revalorisation tarifaire des tarifs de distribution publique au 1er janvier 2006 concerne au premier chef le marché des clients éligibles situés dans le champ des tarifs de distribution publique et pouvant opter pour la liberté de choisir leur fournisseur de gaz ; que la fixation d'une évolution globale des tarifs de distribution publique, ou le gel de ces tarifs, ne fait pas obstacle à ce que les tarifs spécifiques pratiqués par Gaz de France évoluent de manière différente selon la nature des clients et de leur consommation, et notamment selon que ces clients sont des ménages ou des professionnels éligibles ; qu'ainsi l'incidence de la fixation globale des tarifs par arrêté ministériel sur les tarifs effectivement appliqués aux clients éligibles n'est pas directe ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il n'y a en principe pas lieu pour le juge des référés, lorsqu'il recherche s'il y a urgence à prendre, avant tout jugement au fond, les mesures provisoires prévues par l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de se fonder sur la seule perspective des troubles que pourrait créer une possible annulation de la décision contestée ; qu'en l'espèce, si une éventuelle annulation pourrait entraîner des hausses de tarifs au titre d'une période écoulée, une suspension des dispositions contestées aurait pour effet l'application, à titre purement provisoire, d'une hausse tarifaire aux ménages en plein hiver ; qu'il n'y a donc pas lieu de retenir l'urgence à ce titre ; qu'au demeurant la requête en annulation dont est saisi le Conseil d'Etat est susceptible d'être examinée par une formation de jugement collégiale dans un bref délai ;

Considérant, enfin, que si, dans le dernier état de ses conclusions formulées lors de l'audience, la société POWEO demande également la suspension des dispositions contestées en tant seulement qu'elles concernent les clients éligibles, ce qui impliquerait un examen de la situation d'urgence dans ce cadre, il résulte de ce qui a été exposé ci-dessus que l'arrêté ministériel fixe une variation globale des tarifs de distribution publique et ne régit pas directement la tarification applicable aux clients éligibles ; qu'ainsi les dispositions contestées sont indivisibles ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, la condition d'urgence n'étant pas remplie, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, la requête de la société POWEO doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention de la Fédération française des combustibles, carburants et chauffage est admise.

Article 2 : La requête de la société POWEO est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société POWEO, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à la Fédération française des combustibles, carburants et chauffage.


Synthèse
Formation : Juge des referes
Numéro d'arrêt : 289013
Date de la décision : 10/02/2006
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 fév. 2006, n° 289013
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin
Rapporteur ?: M. Philippe Martin
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:289013.20060210
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