Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 juillet et 7 octobre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Lucette X, demeurant ... ; Mme X demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 11 mai 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a, d'une part, annulé le jugement du tribunal administratif de Nice du 2 octobre 2000 en tant qu'il a rejeté comme irrecevables ses conclusions tendant au versement de la somme de 992,44 euros en raison d'un retard à la promotion d'échelon, d'autre part, condamné l'université de Nice à lui payer la somme de 472,59 euros avec intérêts aux taux légal à compter du 15 février 1996, enfin, rejeté le surplus des conclusions de sa requête ;
2°) de condamner l'université de Nice Sophia Antipolis à lui verser la somme globale de 718 357,62 euros et les intérêts de droit à compter de la demande préalable, avec capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de l'université de Nice Sophia Antipolis la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 modifiée ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée ;
Vu le décret n° 59-1405 du 9 décembre 1959 modifié ;
Vu le décret n° 85-1534 du 31 décembre 1985 modifié ;
Vu le décret n° 93-89 du 22 janvier 1993 modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hervé Cassagnabère, Auditeur,
- les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de Mme X et de Me Foussard, avocat de l'université de Nice-Sophia Antipolis,
- les conclusions de M. Rémi Keller, Commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
Considérant qu'il ressort des pièces de la procédure que la minute de l'arrêt attaqué est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ; qu'elle respecte ainsi, contrairement à ce que soutient la requérante, les prescriptions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
Sur la demande de Mme X tendant à l'indemnisation du retard mis à prononcer son avancement d'échelon :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond, et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté, d'une part, que Mme X, secrétaire contractuelle, à l'université de Nice-Sophia Antipolis, aurait dû, en vertu des dispositions de l'article 27 du décret du 9 décembre 1959, être promue au dixième échelon à compter du 1er octobre 1994, d'autre part, que cette promotion n'est pas intervenue ; qu'en estimant, dès lors, qu'il y avait lieu de faire droit à la demande de Mme X en condamnant l'université de Nice à verser à cette dernière la somme de 472,59 euros avec intérêts au taux légal à compter du 25 février 1996 correspondant à la différence entre les traitements des neuvième et dixième échelons pour la période de dix mois comprise entre le 1er octobre 1994, date à laquelle la promotion de l'intéressée aurait dû intervenir, et le 1er août 1995, date à laquelle a pris effet son licenciement, la cour administrative d'appel n'a, contrairement à ce que soutient la requérante, entaché sa décision d'aucune erreur de droit ;
Considérant, toutefois, qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que Mme X a demandé la capitalisation des intérêts afférents à la somme de 472,59 euros par un mémoire enregistré le 20 février 1997 au greffe du tribunal administratif de Nice, et, qu'à cette date, il était dû au moins une année entière d'intérêts ; que, par suite, en application des dispositions de l'article 1154 du code civil, la capitalisation devait s'accomplir à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de former une nouvelle demande ; qu'ainsi, la requérante est fondée à soutenir que la cour administrative d'appel, en ne lui accordant la capitalisation des intérêts qu'aux seules dates auxquelles elle l'avait demandée, et non à chaque échéance annuelle suivant sa demande initiale de capitalisation, a entaché sa décision d'erreur de droit ; qu'il y a lieu, en conséquence, d'annuler l'arrêt attaqué en tant qu'il n'a accordé à la requérante la capitalisation des intérêts afférents à la somme de 472,59 euros qu'aux seules dates de ses demandes de capitalisation, et après application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, d'accorder à Mme X la capitalisation des intérêts dont s'agit à chaque échéance annuelle faisant suite au 20 février 1997, date de sa demande initiale de capitalisation ;
Sur la légalité de la décision du 11 mai 1995 licenciant, pour raisons budgétaires, Mme X à compter du 1er août 1995 :
Considérant qu'aux termes de l'article 73 de la loi du 11 janvier 1984 : Les agents non-titulaires qui occupent un emploi présentant les caractéristiques définies à l'article 3 du titre Ier du statut général ont vocation à être titularisés... ; qu'aux termes de l'article 76 de la même loi : Les agents non-titulaires qui occupent, à temps partiel, un emploi présentant les caractéristiques définies à l'article 3 du titre Ier du statut général ont vocation à être titularisés... ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 82 : Les agents non-titulaires qui peuvent se prévaloir des dispositions qui précèdent, ne peuvent être licenciés que pour insuffisance professionnelle ou pour motif disciplinaire jusqu'à l'expiration des délais d'option qui leur sont ouverts par les décrets prévus à l'article 80... ; qu'enfin, aux termes de l'article 80 : Les décrets en Conseil d'Etat prévus à l'article 79... fixent : 1° Pour chaque ministère, les corps auxquels les agents non-titulaires mentionnés aux articles 73, 74 et 76 peuvent accéder ; ... 2° Pour chaque corps, les modalités d'accès à ce corps, le délai dont les agents disposent pour présenter leur candidature... ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que les décrets prévus à l'article 80 de la loi du 11 janvier 1984 ne sauraient avoir pour objet ou pour effet de priver les agents non-titulaires mentionnés aux articles 73, 74 et 76, ni de la vocation à titularisation qui leur a été ouverte par ces articles, ni de la protection particulière prévue à l'article 82 ; que, par suite, la cour administrative d'appel de Marseille, qui a admis que Mme X remplissait les conditions prévues par la loi du 11 janvier 1984 pour avoir vocation à titularisation, ne pouvait, sans entacher sa décision d'erreur de droit, se fonder, comme elle l'a fait, sur ce que Mme X n'avait jamais rempli la condition relative à l'occupation d'un emploi à temps plein, condition posée par le décret du 31 décembre 1995, pris en application des dispositions de l'article 80 de la loi du 11 janvier 1984, pour affirmer que l'intéressée ne pouvait prétendre au bénéfice de l'article 82 de la loi du 11 janvier 1984 ; que, dès lors, l'arrêt attaqué doit être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme X tendant à l'annulation de la décision de licenciement du 11 mai 1995 ;
Considérant qu'il y a lieu, par application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;
Sur la légalité de la décision de licenciement du 11 mai 1995 :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, et qu'il n'est, d'ailleurs, pas contesté, que Mme X remplissait les conditions requises par la loi du 11 janvier 1984 pour avoir droit à titularisation et bénéficier de la protection particulière prévue par l'article 82 de ladite loi ; qu'elle ne pouvait, dès lors, et malgré l'intervention du décret du 31 décembre 1985 lequel, posant la condition de l'occupation d'un emploi à temps plein, ne la concernait pas, être licenciée que pour insuffisance professionnelle ou motif disciplinaire ; qu'il s'ensuit que le licenciement de l'intéressée, motivé par des raisons d'ordre budgétaire, est intervenu en méconnaissance des dispositions de l'article 82 de la loi du 11 janvier 1984 ; qu'il en résulte que Mme X est fondée à soutenir que c'est à tort, que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision de licenciement du 11 mai 1995 ; que le jugement dont s'agit doit, en conséquence, être annulé en tant qu'il a rejeté lesdites conclusions ; que doit être également annulée la décision de licenciement en date du 11 mai 1995 ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
Considérant que si, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les dispositions précitées de la loi du 11 janvier 1984 conféraient à Mme X une vocation à la titularisation, elles ne lui donnaient aucun droit à être titularisée ; qu'il s'ensuit que la présente décision, qui annule, comme intervenue en méconnaissance de l'article 82 de la loi du 11 janvier 1984, la décision de licenciement de Mme X, n'implique aucun droit de cette dernière à être titularisée ; que, par suite, les conclusions de la requérante tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de procéder à sa titularisation, ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à la réparation du préjudice ayant résulté de l'illégalité du licenciement :
Considérant, en premier lieu, que, compte tenu, d'une part, de la perte de rémunération subie par la requérante à compter du 1er août 1995, date d'effet de son licenciement, d'autre part, de l'indemnité de licenciement et de l'allocation unique dégressive qu'elle a perçues, il sera fait une juste appréciation du préjudice pécuniaire résultant de l'illégalité du licenciement, en l'évaluant à la somme de 38 000 euros ;
Considérant, en second lieu, qu'il sera fait une juste appréciation des troubles de toutes natures dans les conditions d'existence et du préjudice moral ayant résulté pour Mme X de son licenciement illégal en les évaluant à la somme de 15 000 euros ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner l'université de Nice à verser à Mme X une somme totale de 53 000 euros en réparation des préjudices ayant résulté pour elle de son licenciement illégal, cette somme étant augmentée des intérêts au taux légal à compter du 15 février 1996, date de réception par l'université de Nice de la demande préalable de Mme X ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que Mme X a demandé la capitalisation des intérêts le 20 février 1997 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, il y a lieu de faire droit à cette demande, tant à cette date, qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'université de Nice la somme de 3 000 euros que Mme X demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme X, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par l'université de Nice au même titre ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille en date du 11 mai 2004 est annulé, d'une part, en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme X tendant à l'annulation de la décision de licenciement du 11 mai 1995, d'autre part, en tant qu'il n'a pas accordé à Mme X la capitalisation des intérêts afférents à l'indemnité de 472,59 euros, à chaque échéance annuelle à compter du 20 février 1997.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nice en date du 2 octobre 2000 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme X tendant à l'annulation de la décision de licenciement en date du 11 mai 1995.
Article 3 : La décision en date du 11 mai 1995 du président de l'université de Nice est annulée.
Article 4 : L'université de Nice est condamnée à verser à Mme X une somme de 53 000 euros au titre du préjudice subi du fait de son licenciement illégal. Cette somme sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 15 février 1996. Les intérêts échus à la date du 20 février 1997, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts. La somme de 472,59 euros avec intérêts au taux légal que l'université de Nice a été condamnée à verser à Mme X par la cour administrative d'appel de Marseille bénéficiera de la capitalisation des intérêts à chaque échéance annuelle faisant suite au 20 février 1997.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la demande de Mme X présentée devant le tribunal administratif de Nice est rejeté.
Article 6 : L'université de Nice versera à Mme X la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le surplus des conclusions du pourvoi en cassation de Mme X est rejeté.
Article 8 : Les conclusions présentées par l'université de Nice au titre des dispositions de l'article L. 761-1 sont rejetées.
Article 9 : La présente décision sera notifiée à Mme Lucette X, à l'université de Nice et au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.