Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 octobre et 23 novembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Cesare Y..., domicilié au cabinet de son avocat ; M. Y... demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le décret en date du 23 octobre 2004 par lequel le Premier ministre a accordé son extradition aux autorités italiennes en vue de l'exécution de la peine de réclusion criminelle à perpétuité, avec isolement pendant le jour de six mois, prononcée par trois arrêts rendus respectivement le 13 décembre 1988, le 16 février 1990 et le 31 mars 1993 par les cours d'assises de Milan pour des faits d'homicides et de tentative d'homicide avec circonstances aggravantes ;
2°) mette à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, présentée pour M. Y... ; il soutient qu'aucun acte officiel l'avisant, avant son évasion, qu'il était mis en examen en raison d'un ou de deux des meurtres dont il a été accusé, ne figure au dossier ; qu'on ignore la date et l'objet de la confrontation à laquelle il aurait refusé de se rendre et dont fait état l'arrêt de 1988 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
Vu la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 ;
Vu la convention d'application de l'accord de Schengen du 19 juin 1990 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. Y...,
- les conclusions de Mme Emmanuelle Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par trois arrêts rendus respectivement le 13 décembre 1988 par la 1ère cour d'assises de Milan, le 16 février 1990 par la 1ère cour d'assises d'appel de Milan et, après cassation partielle, le 31 mars 1993 par la 2ème cour d'assises d'appel de Milan, M. Cesare Y..., ressortissant italien, a été condamné, selon la procédure italienne de contumace (« contumacia »), à la réclusion criminelle à perpétuité, avec isolement diurne de six mois, pour des faits d'homicides avec circonstances aggravantes commis le 6 juin 1978 sur la personne d'un surveillant de prison, le 16 février 1979 sur les personnes de deux commerçants et le 19 avril 1979 sur la personne d'un agent de police ; que, le 30 juin 2004, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a émis un avis favorable à la demande d'extradition présentée par le gouvernement de la République italienne en vue de l'exécution de la peine prononcée par ces arrêts, avis devenu définitif à la suite du rejet, le 13 octobre 2004, d'un pourvoi formé par l'intéressé devant la cour de cassation ; que, par le décret attaqué, en date du 23 octobre 2004, l'extradition a été accordée aux autorités italiennes pour l'exécution de la peine rappelée ci-dessus ;
Sur la légalité externe :
Considérant qu'aux termes de l'article 12, paragraphe 2, de la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 : Il sera produit à l'appui de la requête : a) L'original ou l'expédition authentique soit d'une décision de condamnation exécutoire, soit d'un mandat d'arrêt ou de tout autre acte ayant la même force, délivré dans les formes prescrites par la loi de la Partie requérante ; b) Un exposé des faits pour lesquels l'extradition est demandée (...) ; qu'aux termes de l'article 23 de la même convention : Les pièces à produire seront rédigées soit dans la langue de la Partie requérante, soit dans celle de la Partie requise. Cette dernière pourra réclamer une traduction dans la langue officielle du Conseil de l'Europe qu'elle choisira ; que, par déclaration annexée à la convention, la France a indiqué qu'elle choisissait le français ; qu'il ressort des pièces du dossier que la demande d'extradition des autorités italiennes était accompagnée d'une expédition authentique de chacun des arrêts pour l'exécution desquels l'extradition était demandée, ainsi que d'une traduction des passages nécessaires pour permettre aux autorités françaises de statuer en toute connaissance de cause sur la demande dont elles étaient saisies ; que les faits pour lesquels l'extradition était demandée ont été exposés avec une précision suffisante dans la demande d'extradition et la note du substitut général du Parquet près la cour d'appel de Milan, en date du 17 octobre 2002, annexée à cette demande ; qu'ainsi, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les stipulations précitées de la convention européenne d'extradition n'auraient pas été respectées ;
Considérant que si le décret attaqué indique, à tort, que la peine à laquelle le requérant a été condamné a été prononcée notamment pour des faits de « tentative d'homicide », cette erreur, purement matérielle, qui ne modifie ni la nature ni le quantum de la peine pour l'exécution de laquelle l'extradition est accordée, est sans influence sur sa légalité ;
Sur la légalité interne :
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'affaire, l'extradition de M. Y... ait été demandée par le gouvernement italien dans un but autre que la répression d'infractions de droit commun ; que le requérant n'est dès lors pas fondé à soutenir qu'elle aurait été demandée dans un but politique au sens de l'article 3 de la convention européenne d'extradition ;
Considérant que la circonstance que certaines des charges retenues contre M. Y..., et qui ont donné lieu aux condamnations précitées, reposent pour partie sur des déclarations de témoins « repentis », n'est pas contraire à l'ordre public français et ne constitue pas une méconnaissance, par les autorités italiennes, des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant que, si le requérant invoque les déclarations faites par le Président de la République, le 20 avril 1985, lors du congrès d'un mouvement de défense des droits de l'homme, au sujet du traitement par les autorités françaises des demandes d'extradition de ressortissants italiens ayant participé à des actions terroristes en Italie et installés depuis de nombreuses années en France, ces propos, qui doivent, au demeurant, être rapprochés de ceux tenus à plusieurs reprises par la même autorité sur le même sujet, qui réservaient le cas des personnes reconnues coupables dans leur pays, comme le requérant, de crimes de sang, sont, en eux-mêmes, dépourvus d'effet juridique ; qu'il en va également ainsi de la lettre du Premier ministre adressée, le 4 mars 1998, aux défenseurs de ces ressortissants ;
Considérant que, si le requérant fait valoir qu'il a obtenu divers titres de séjour, qu'il a engagé une procédure de naturalisation ayant donné lieu à un avis favorable de la part des autorités françaises et que son nom a été retiré par les autorités françaises de la partie nationale du Système d'information Schengen pendant une longue période, ces circonstances, qui ne sauraient, en tout état de cause, lui conférer un droit acquis à ne pas être extradé, sont sans influence sur la légalité du décret attaqué ;
Considérant que si le décret attaqué est susceptible de porter atteinte au droit de M. Y... au respect de sa vie privée et familiale, garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, cette mesure trouve, en principe, sa justification dans la nature même de la procédure d'extradition qui est de permettre, dans l'intérêt de l'ordre public et sous les conditions fixées par les dispositions qui la régissent, notamment l'exécution de peines prononcées par des autorités judiciaires étrangères à raison de crimes ou de délits ;
Considérant qu'il résulte tant des principes de l'ordre public français que des conventions internationales signées par la France qu'en matière pénale, une personne condamnée par défaut doit pouvoir obtenir d'être rejugée en sa présence, sauf s'il est établi d'une manière non équivoque qu'elle a renoncé à son droit à comparaître et à se défendre ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. Y... a été arrêté le 26 juin 1979 lors de l'enquête relative aux homicides mentionnés ci-dessus commis le 16 février 1979 ; qu'il s'est évadé, le 5 octobre 1981, de la prison de Frosinone, où il était incarcéré ; qu'il a fait l'objet d'un mandat d'arrêt décerné le 16 avril 1982 par le parquet d'Udine et d'un mandat d'arrêt délivré le 3 juin 1982 par un juge d'instruction de Milan ; que, par deux lettres manuscrites et signées, adressées respectivement au parquet du tribunal d'Udine et au parquet du tribunal de Milan, le 10 mai 1982 et le 12 juillet 1982, il a désigné deux avocats pour le représenter dans les instances judiciaires en cours ; que, par une autre lettre dactylographiée et signée, datée du mois de février 1990 et enregistrée au greffe de la cour d'assises d'appel de Milan le 19 février 1990, il a confirmé le choix de Me X... comme défenseur dans la procédure pendante, désignée dans la lettre par son numéro d'enregistrement, et lui a donné mandat pour exercer en son nom un pourvoi en cassation contre l'arrêt rendu par cette cour le 16 février 1990 ; qu'en outre, l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris en date du 29 mai 1991 donnant un avis défavorable à une première demande d'extradition en vue de l'exercice de poursuites indique que le requérant était informé de l'issue de ce pourvoi ; qu'enfin, au cours des instances ayant abouti aux trois arrêts qui font l'objet de la demande d'extradition, les avocats désignés par M. Y... ont été destinataires de tous les actes de procédure, ont assuré sa représentation et sa défense et ont utilisé toutes les voies de recours possibles jusqu'à former un pourvoi en cassation ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, d'une part, M. Y... a bénéficié, à tous les stades d'une procédure longue et complexe, de la défense d'avocats choisis par lui ; que, d'autre part, il avait une connaissance directe, effective et précise des poursuites engagées contre lui, de leur déroulement et des dates de ses procès, ainsi que le révèlent, par leurs dates, leurs destinataires et leur contenu, les documents sus-mentionnés ; que, dès lors, M. Y..., qui s'est évadé de prison et est longtemps resté introuvable, doit être regardé comme ayant manifesté, de manière non équivoque, sa volonté de renoncer à comparaître en personne devant ses juges et de se soustraire à la justice ; que, dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir qu'en accordant son extradition aux autorités italiennes, alors qu'il n'aurait pas la garantie d'être jugé à nouveau en Italie, le décret attaqué aurait été pris dans des conditions contraires à l'ordre public français, aux stipulations de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aux réserves du gouvernement français relatives à l'article 1er de la convention européenne d'extradition ou aux stipulations de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. Y... n'est pas fondé à demander l'annulation du décret du 23 octobre 2004 ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. Y... réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. Y... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Cesare Y..., au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.