Vu la requête, enregistrée le 28 juin 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour le GROUPE D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES (GISTI), dont le siège est ... ; le GROUPE D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision implicite de rejet née du silence observé par le Premier ministre sur sa demande tendant à l'abrogation de l'article 1er du décret du 28 octobre 1982 créant une médaille de la famille française et réservant l'attribution de celle-ci, ainsi que les avantages auxquels elle ouvre droit, aux parents de nationalité française ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre de prononcer l'abrogation de l'article 1er du décret du 28 octobre 1982 en ce qu'il réserve aux parents de nationalité française le bénéfice de la médaille de la famille française ;
3°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Crépey, Auditeur,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat du GROUPE D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES (GISTI),
- les conclusions de M. Séners, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que le GROUPE D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES (GISTI) a demandé le 4 février 2002 au Premier ministre d'abroger l'article 1er du décret du 28 octobre 1982 créant une médaille de la famille française en tant qu'il réserve l'attribution de cette distinction aux parents de nationalité française ; que le Premier ministre n'ayant pas répondu à cette demande dans le délai de deux mois, il en est résulté, le 5 avril 2002, une décision implicite de rejet dont le GISTI demande l'annulation ;
Considérant que l'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 28 octobre 1982 : La médaille de la famille française est une distinction honorifique décernée aux personnes qui élèvent ou ont élevé dignement de nombreux enfants, afin de rendre hommage à leurs mérites et de leur témoigner la reconnaissance de la nation./ Peuvent obtenir cette distinction les personnes visées ci-dessous qui, par leurs soins attentifs et leur dévouement, ont fait un constant effort pour élever leurs enfants dans les meilleures conditions matérielles et morales : a) Les mères de famille de nationalité française dont le mari et tous les enfants sont français ; b) Les mères de famille ou les pères de famille de nationalité française dont tous les enfants sont français et dont le conjoint ne possède pas la nationalité française ; c) Les mères de famille ou les pères de famille de nationalité française dont tous les enfants sont français, qui élèvent ou qui ont élevé seuls leurs enfants ; que ces dispositions ne permettent pas d'attribuer la médaille de la famille française aux mères et aux pères de famille ne possédant pas la nationalité française ;
Considérant qu'il résulte de ces mêmes dispositions que l'attribution de la médaille de la famille française est destinée à récompenser les mérites des personnes ayant dignement élevé de nombreux enfants de nationalité française ; qu'au regard de cet objet, la circonstance que les parents des enfants concernés possèdent ou non la nationalité française ne constitue pas une différence de situation de nature à justifier une différence de traitement, laquelle ne peut être regardée comme dictée par des nécessités d'intérêt général en rapport avec l'objet honorifique de la mesure ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article 1er du décret du 28 octobre 1982 sont illégales en tant qu'elles ne permettent pas d'attribuer la médaille de la famille française aux mères ou aux pères de famille ne possédant pas la nationalité française ; que, par suite, le GISTI était fondé, dans cette mesure, à en demander l'abrogation au Premier ministre ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, le GISTI est fondé à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé de faire droit à cette demande ;
Sur les conclusions du GISTI tendant à ce qu'il soit fait application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction (...) prescrit (...) cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ; que l'annulation de la décision du Premier ministre refusant d'abroger l'article 1er du décret du 28 octobre 1982 créant une médaille de la famille française, en tant que cet article ne permet pas l'attribution de cette médaille aux mères ou aux pères de famille ne possédant pas la nationalité française, implique nécessairement l'abrogation de cet article dans les limites définies ci-dessus ; qu'il y a lieu pour le Conseil d'Etat d'enjoindre au Premier ministre de prononcer cette abrogation ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner l'Etat à payer au GISTI la somme de 2 000 euros qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : : La décision en date du 5 avril 2002 par laquelle le Premier ministre a refusé d'abroger, à la demande du GISTI, l'article 1er du décret du 28 octobre 1982 créant une médaille de la famille française, en tant que cet article ne permet pas l'attribution de cette médaille aux mères de famille ou aux pères de famille qui ne possèdent pas la nationalité française mais dont tous les enfants sont français, est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de prendre les mesures réglementaires nécessaires à l'exécution de l'article 1er de la présente décision.
Article 3 : L'Etat versera au GISTI une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au GROUPE D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES (GISTI), au Premier ministre et au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.