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03/01/2003 | FRANCE | N°253001

France | France, Conseil d'État, Juge des referes, 03 janvier 2003, 253001


Vu le recours, enregistré le 31 décembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales et tendant à ce que le juge des référés du Conseil d'Etat :

1) annule l'ordonnance en date du 12 décembre 2002 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, enjoint au préfet de police de Paris de prendre dans un délai de six mois toutes mesures nécessaires pour assurer l'exécution de

l'ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris du 6 mai ...

Vu le recours, enregistré le 31 décembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales et tendant à ce que le juge des référés du Conseil d'Etat :

1) annule l'ordonnance en date du 12 décembre 2002 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, enjoint au préfet de police de Paris de prendre dans un délai de six mois toutes mesures nécessaires pour assurer l'exécution de l'ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris du 6 mai 1999 ordonnant l'expulsion des occupants de l'immeuble appartenant à la société Kerry et situé ... ;

2) rejette la demande présentée devant le juge des référés du tribunal administratif par la société Kerry ;

Le ministre soutient que la condition relative à l'urgence n'est pas remplie, la société Kerry étant devenue propriétaire de l'immeuble, en décembre 1998, alors que celui-ci était déjà occupé et n'ayant formé une demande d'indemnité pour refus du concours de la force publique que plus de deux ans après avoir sollicité celui-ci ; qu'il n'a pas, en l'espèce, été porté d'atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété ; que la société Kerry ne justifie pas avoir été privée de la possibilité de réaliser un projet précis ; qu'il incombait à l'administration de tenir compte de la présence dans l'immeuble de 70 personnes, dont 45 enfants ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu enregistré le 2 janvier 2003 le mémoire en défense présenté pour la société Kerry qui tend :

1) au rejet du recours du ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales ;

2) à ce que l'Etat soit condamné à lui payer une somme de 1000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La société Kerry soutient qu'il y a urgence ; que l'état de l'immeuble est une menace pour la vie et la sécurité des occupants ; qu'au demeurant l'administration a pris plusieurs arrêtés d'interdiction d'occupation ; que le refus du concours de la force publique depuis plus de deux ans constitue une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, d'autre part, la société Kerry ;

Vu le procès verbal de l'audience publique du 3 janvier 2003 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me X..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Kerry,

- le représentant du ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales ;

Sur les conclusions du ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (...) aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ;

Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier, ainsi que des éléments recueillis au cours de l'audience publique tenue au Conseil d'Etat le 3 janvier 2003, que la société Kerry a fait l'acquisition, le 30 décembre 1998, d'un immeuble sis ... ; que, sur sa demande, le président du tribunal de grande instance de Paris, statuant en référé, a, par ordonnance du 6 mai 1999 ordonné l'expulsion, dans un délai de huit mois, des familles qui occupaient l'immeuble ; qu'après commandement de quitter les lieux par acte d'huissier du 14 septembre 1999, la société Kerry a demandé le concours de la force publique les 26 avril 2000, 30 août 2000 et 26 septembre 2002 ; que ces demandes ont été rejetées ;

Considérant que le droit de propriété a pour corollaire la liberté de disposer d'un bien et que le refus de concours de la force publique pour assurer l'exécution d'une décision juridictionnelle ordonnant l'expulsion d'un immeuble porte atteinte à cette liberté fondamentale ;

Mais considérant qu'à la date à laquelle la société Kerry en a fait l'acquisition, l'immeuble litigieux, qui avait fait l'objet d'un arrêté d'interdiction partielle d'habiter, était occupé par plusieurs dizaines de squatters ; que la société, qui exerce de façon habituelle une activité de rénovation d'immeubles ne pouvait pas ignorer les difficultés auxquelles elle se heurterait pour mener à bien le projet en vue duquel elle avait procédé à cette acquisition ; que dans ces conditions -et alors, au demeurant, que le préjudice né du refus du concours de la force publique ouvre droit à indemnité sur le fondement de l'égalité devant les charges publiques- la société Kerry ne saurait se prévaloir, à propos d'une situation dans laquelle elle s'est elle-même placée, de la notion d'urgence au sens et pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

Considérant dès lors que le ministre de l'intérieur est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance du 12 décembre 2002 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint au préfet de police de prendre dans un délai de six mois toutes mesures nécessaires pour assurer l'exécution de l'ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris du 6 mai 1999 ;

Sur les conclusions de la société Kerry tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à payer à la société Kerry la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : L'ordonnance du 12 décembre 2002 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 2 : La demande présentée par la société Kerry devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Les conclusions d'appel de la société Kerry tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Kerry et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.


Synthèse
Formation : Juge des referes
Numéro d'arrêt : 253001
Date de la décision : 03/01/2003
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

PROCÉDURE - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000 - RÉFÉRÉ TENDANT AU PRONONCÉ DE MESURES NÉCESSAIRES À LA SAUVEGARDE D'UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE (ARTICLE L 521-2 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE) - CONDITIONS D'OCTROI DE LA MESURE DEMANDÉE - ATTEINTE GRAVE ET MANIFESTEMENT ILLÉGALE À UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE - LIBERTÉ FONDAMENTALE - EXISTENCE - LIBERTÉ DE DISPOSER D'UN BIEN [RJ1].

54-035-03-03-01-01 Le droit de propriété a pour corollaire la liberté de disposer d'un bien. Par suite, le refus de concours de la force publique pour assurer l'exécution d'une décision juridictionnelle ordonnant l'expulsion d'un immeuble porte atteinte à cette liberté fondamentale.

PROCÉDURE - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000 - RÉFÉRÉ TENDANT AU PRONONCÉ DE MESURES NÉCESSAIRES À LA SAUVEGARDE D'UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE (ARTICLE L 521-2 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE) - CONDITIONS D'OCTROI DE LA MESURE DEMANDÉE - URGENCE - ABSENCE - DEMANDE TENDANT À L'OBTENTION DU CONCOURS DE LA FORCE PUBLIQUE POUR L'EXPULSION D'OCCUPANTS D'UN IMMEUBLE - IMMEUBLE OCCUPÉ PAR DES SQUATTERS LORS DE SON ACQUISITION PAR UNE SOCIÉTÉ SPÉCIALISÉE DANS LA RÉNOVATION IMMOBILIÈRE.

54-035-03-03-02 Immeuble ayant fait l'objet d'un arrêté d'interdiction partielle d'habiter occupé par plusieurs dizaines de squatters à la date de son acquisition par une société qui exerce de façon habituelle une activité de rénovation d'immeubles. Cette société ne pouvait pas ignorer les difficultés auxquelles elle se heurterait, du fait de cette occupation, pour mener à bien le projet en vue duquel elle avait procédé à l'acquisition. Dans ces conditions la société ne saurait se prévaloir, à propos d'une situation dans laquelle elle s'est elle-même placée, de la notion d'urgence au sens et pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.


Références :

[RJ1]

Cf. Juge des référés, 31 mai 2001, Commune d'Hyères-les-Palmiers, n° 234226, à publier ;

29 mars 2002, S.C.I. Stephaur et autres, n° 243338, à publier.


Publications
Proposition de citation : CE, 03 jan. 2003, n° 253001
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Labetoulle
Rapporteur ?: M. Daniel Labetoulle
Avocat(s) : CHOUCROY

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2003:253001.20030103
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