Vu le recours sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 27 mars et 4 juillet 2000 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et le SECRETAIRE D'ETAT AU BUDGET ; les ministres demandent au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 1er février 2000, par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé leur décision du 14 mai 1996 rejetant la demande de pension de réversion présentée par M. Abdallah X... Hamed ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Guilhemsans, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Coutard, Mayer, avocat de M. X... Hamed,
- les conclusions de M. Courtial, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 58 du code des pensions civiles et militaires de retraite : "Le droit à l'obtention ou à la jouissance de la pension et de la rente viagère d'invalidité est suspendu : Par la révocation avec suspension des droits à pension ; Par la condamnation à la destitution prononcée par application du code de justice militaire ou maritime ; Par la condamnation à une peine afflictive ou infamante pendant la durée de la peine ; Par les circonstances qui font perdre la qualité de Français durant la privation de cette qualité ; Par la déchéance totale ou partielle de la puissance paternelle pour les veuves et les femmes divorcées " ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'une pension de retraite a été concédée à compter du 1er juin 1992 à Mme Y..., épouse de nationalité française de M. Abdallah X... Hamed, laquelle a appartenu aux services du ministère des affaires étrangères en qualité de fonctionnaire titulaire affectée à l'ambassade de France à Alger ; qu'après le décès de son épouse, le 28 octobre 1995, M. X... Hamed a demandé à bénéficier de la pension de réversion prévue par l'article L. 50 du code des pensions civiles et militaires de retraite ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE a rejeté cette demande, en application de l'article L. 58, précité, du même code, pour le motif que M. X... Hamed, n'ayant pas souscrit la déclaration recognitive de nationalité française après l'indépendance de l'Algérie, avait perdu cette nationalité à compter du 1er janvier 1963 ; que le ministre demande l'annulation de l'arrêt du 1er février 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a jugé que l'application à M. X... Hamed de l'article L. 58 précité était incompatible avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combinées avec celles de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;
Sur la recevabilité du moyen tiré, devant la cour administrative d'appel, de la méconnaissance des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, combinées avec celles de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention :
Considérant que le moyen présenté en appel, tiré par M. X... Hamed de ce que les dispositions précitées de l'article L. 58 du code des pensions civiles et militaires de retraite seraient à l'origine d'une différence de traitement entre les ayants-cause de pensionnés décédés selon leur nationalité, qui ne serait pas compatible avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combinées avec celles de l'article 1er de son 1er protocole additionnel, procédait de la même cause juridique que les moyens développés devant le tribunal administratif, tirés d'une part, de ce qu'il satisfaisait à toutes les conditions prévues à l'article L. 50 du même code, d'autre part, du caractère discriminatoire de l'article L. 58, moyens qui mettaient également en cause la légalité interne de l'acte attaqué ; que la Cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que ce moyen ne constituait pas une demande nouvelle irrecevable en appel ;
Sur le bien-fondé du refus de pension de réversion :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ratifiée par la France en application de la loi du 31 décembre 1973 et publiée au Journal officiel par décret du 3 mai 1974 : "Les Hautes parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre 1 de la présente convention" ; qu'aux termes de l'article 14 de la même convention : "La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation" ; qu'en vertu des stipulations de l'article 1er du 1er protocole additionnel à cette convention : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes" ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 1 du code des pensions civiles et militaires de retraite : "La pension est une allocation pécuniaire personnelle et viagère accordée aux fonctionnaires civils et militaires et, après leur décès, à leurs ayants-cause désignés par la loi, en rémunération des services qu'ils ont accomplis jusqu'à la cessation régulière de leurs fonctions. Le montant de la pension, qui tient compte du niveau, de la durée et de la nature des services accomplis, garantit en fin de carrière à son bénéficiaire des conditions matérielles d'existence en rapport avec la dignité de sa fonction " ; que l'article L. 50 du même code prévoit que le conjoint survivant non séparé de corps d'une femme fonctionnaire peut, sous les réserves et dans les conditions prévues par cet article, prétendre à 50 pour cent de la pension obtenue par elle ou qu'elle aurait pu obtenir au jour de son décès ; que, dès lors, la Cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que les pensions de réversion constituent, dès lors que les conditions de leur obtention sont réunies, des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens de l'article 1er, précité, du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire au sens des stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;
Considérant que les pensions de retraite constituent, pour les agents publics, une rémunération différée destinée à leur assurer, ou à assurer à leurs ayants-cause, des conditions matérielles de vie en rapport avec la dignité des fonctions passées de ces agents ; que, par suite, la perte collective de la nationalité française survenue pour les pensionnés ou leurs ayants-cause à l'occasion de l'accession à l'indépendance d'Etats antérieurement rattachés à la France ne peut être regardée comme un critère objectif et rationnel en rapport avec les buts du régime des pensions des agents publics, de nature à justifier une différence de traitement ; que les dispositions précitées de l'article L. 58 du code des pensions civiles et militaires de retraite ne peuvent donc être regardées comme compatibles avec la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en tant qu'elles n'excluent pas, pour l'application de cet article, le cas d'une perte collective de nationalité à l'occasion d'un transfert de la souveraineté sur un territoire ; que, dès lors, la Cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que cet article ne pouvait justifier le refus opposé par le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE à la demande de pension de réversion présentée par M. X... Hamed ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l'Etat à payer à M. X... Hamed la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est rejeté.
Article 2 : L'Etat paiera à M. X... Hamed la somme de 2 134,29 euros (14 000 F) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative .
Article 3 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à M. Abdallah X... Hamed.