Vu 1°/, sous le n° 182853, la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 7 octobre 1996 et 7 février 1997 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'UNION NATIONALE CGT DES AFFAIRES SOCIALES, dont le siège est ..., et pour l'UNION GENERALE DES FEDERATIONS DE FONCTIONNAIRES CGT, dont le siège est ... ; l'UNION NATIONALE CGT DES AFFAIRES SOCIALES et l'UNION GENERALE DES FEDERATIONS DE FONCTIONNAIRES CGT demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 96-691 du 6 août 1996, portant création d'un office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre ;
2°) de condamner l'Etat à leur payer une somme de 18 090 F, au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu 2°/, sous le n° 182861, la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 7 octobre 1996 et 6 février 1997 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la FEDERATION CFDT PROTECTION SOCIALE TRAVAIL EMPLOI, dont le siège est ... (75019) ; la FEDERATION CFDTPROTECTION SOCIALE TRAVAIL EMPLOI demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 96-691 du 6 août 1996, portant création d'un Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la Constitution ;
Vu la convention n° 81 de l'Organisation internationale du travail concernant l'inspection du travail dans l'industrie et le commerce ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, modifiée notamment par la loi n° 87-588 du 30 juillet 1987 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Ribadeau Dumas, Auditeur,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de l'UNION NATIONALE CGT DES AFFAIRES SOCIALES et de l'UNION GENERALE DES FEDERATIONS DE FONCTIONNAIRES CGT, et de la SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, avocat de la FEDERATION CFDT PROTECTION SOCIALE TRAVAIL EMPLOI,
- les conclusions de M. Honorat, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la requête de l'UNION NATIONALE CGT DES AFFAIRES SOCIALES et de l'UNION GENERALE DES FEDERATIONS DE FONCTIONNAIRES CGT et la requête de la FEDERATION CFDT PROTECTION SOCIALE TRAVAIL EMPLOI sont l'une et l'autre dirigées contre le décret n° 96-691 du 6 août 1996 portant création d'un Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur l'intervention de la Confédération générale du travail :
Considérant que la Confédération générale du travail a intérêt à l'annulation du décret attaqué ; qu'ainsi, son intervention au soutien de la requête de l'UNION NATIONALE CGT DES AFFAIRES SOCIALES et de l'UNION GENERALE DES FEDERATIONS DE FONCTIONNAIRES CGT est recevable ;
Sur la légalité du décret attaqué :
Considérant que l'Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre que l'article 1er du décret n° 96-691 du 6 août 1996 institue au ministère de l'intérieur (direction générale de la police nationale) et aux activités duquel il associe notamment le ministère de la défense (direction générale de la gendarmerie nationale) et le ministère du travail et des affaires sociales, a pour domaine de compétence, aux termes de l'article 2 du même décret, "les infractions relatives à l'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irrégulier des étrangers en France, à l'emploi des étrangers dépourvus d'autorisation ainsi qu'aux faux et usage de faux documents destinés à favoriser les infractions susmentionnées." ; que l'article 3 du décret du 6 août 1996 charge, en particulier, l'office d'étudier et de conduire, sur le plan départemental et national, la lutte contre les auteurs et complices de ces infractions, d'étudier, en liaison avec les services qui lui sont associés, les moyens à mettre en oeuvre pour faire échec à l'immigration clandestine et à l'emploi des étrangers dépourvus d'autorisation de travail, et d'agir, dans l'exercice de cette mission, soit de sa propre initiative, soit à la demande des autorités judiciaires, soit à celle des autorités des services de police et de gendarmerie, de la direction générale des douanes et des droits indirects, de la direction générale des impôts et des services de l'inspection du travail, pour leur prêter assistance, lorsque les circonstances l'exigent, sans que cette coopération entraîne dessaisissement des services régulièrement saisis ;
Considérant que la création de cette nouvelle structure administrative et la détermination de ses missions et modalités de fonctionnement ne sont pas au nombre des matières relevant du domaine de la loi ; que, par suite, le Premier ministre était compétent pour prendre le décret contesté du 6 août 1996 ;
Considérant qu'aux termes de l'article 15 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, tel que modifié par la loi n° 87-588 du 30 juillet 1987 : "Dans toutes les administrations de l'Etat et dans tous les établissements publics de l'Etat ne présentant pas un caractère industriel et commercial, il est institué un ou plusieurs comités techniques paritaires. Ces comités connaissent des problèmes relatifs à l'organisation et au fonctionnement des services, au recrutement des personnels et des projets de statuts particuliers (...)" ; que le décret attaqué n'a trait, ni à l'organisation et aux modalités de fonctionnement du ministère du travail et des affaires sociales, ni aux dispositions statutaires applicables aux inspecteurs du travail ; qu'ainsi, il n'avait pas à être soumis, pour avis, au comité technique paritaire du ministère du travail et des affaires sociales ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 611-1 du code du travail : "Les inspecteurs du travail sont chargés de veiller à l'application des dispositions du code du travail et des lois et règlements non codifiés relatifs au régime du travail ... Ils sont également chargés, concurremment avec les agents et officiers de police judiciaire, de constater, s'il y échet, les infractions à ces dispositions" ; qu'aux termes de l'article L. 611-10 du même code : "les inspecteurs du travail constatent les infractions par des procès verbaux .. dressés en double exemplaire dont l'un est envoyé au préfet du département et l'autre est déposé au parquet" ; que l'article L. 324-12 du même code confie le soin de constater les infractions aux interdictions édictées, en matière de travail clandestin, par l'article L. 324-9, aux officiers et agents de police judiciaire, ainsi, notamment, qu'aux agents de la direction générale des impôts et de la direction générale des douanes et droits indirects, et aux inspecteurs du travail et fonctionnaires de contrôle assimilés ; qu'aux termes de l'article 5 de la convention n° 81 de l'Organisation internationale du travail, concernant l'inspection du travail dans l'industrie et le commerce : "L'autorité compétente devra prendre les mesures appropriées pour favoriser : a) une coopération effective entre les services d'inspection, d'une part, et d'autres services gouvernementaux et les institutions publiques et privées exerçant des activités analogues, d'autre part (...)" ; que, selon l'article 17de la même convention : " ... 2- Il est laissé à la libre décision des inspecteurs du travail de donner des avertissements ou des conseils au lieu d'intenter ou de recommander des poursuites" ;
Considérant que l'article 5 du décret attaqué du 6 août 1996 prévoit que "les services de la direction générale de la police nationale, de la direction générale de la gendarmerie nationale, de la direction générale des douanes et droits indirects, de l'inspection du travail, de la direction générale des impôts, ainsi que des autres administrations et services publics concernés ... adressent, dans les meilleurs délais, à l'office toutes informations relatives aux faits et infractions mentionnés à l'article 2, ainsi qu'à leurs auteurs ou complices" ; que ces dispositions, qui tendent à favoriser la coordination des actions de différents services de l'Etat, n'ont, ni pour objet, ni pour effet, de prescrire aux inspecteurs du travail d'exercer, cas par cas, dans un sens déterminé, leur mission de contrôle de la législation du travail ; qu'elles ne les obligent pas à saisir le parquet, lorsqu'ils estiment, en vertu de leur pouvoir d'appréciation, devoir recourir à un autre mode d'action ; qu'elles ne font pas non plus obstacle, dans le cas contraire, à ce qu'ils transmettent des procès-verbaux d'infractions au ministère public ; qu'ainsi, elles ne méconnaissent, ni les dispositions du code du travail, ni les stipulations précitées de l'article 17-2 de la convention n° 81 de l'Organisation internationale du travail, et ne portent pas atteinte au principe général d'indépendance des inspecteurs du travail ;
Considérant qu'aucune disposition législative, ni aucun principe général de droit ne fait obstacle à ce que le gouvernement demande aux fonctionnaires et agents de l'Etat de signaler aux services compétents les infractions dont ils auraient connaissance dans ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions ; qu'ainsi, l'article 5 du décret du 6 août 1996 n'est entaché d'aucune illégalité, en tant qu'il prescrit aux services de l'inspection du travail d'adresser à l'Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre toutes informations relatives aux faits et infractions relatifs à l'aide, à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d'étrangers en France, alors même que ces faits et infractions ne seraient pas compris dans le champ d'application des articles précités du code du travail ;
Considérant, enfin, que le décret attaqué du 6 août 1996 n'a pas pour objet, et n'aurait pu avoir légalement pour effet, de confier à des personnes non habilitées à cet effet par la loi, le soin de constater les infractions à la législation du travail ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'UNION NATIONALE CGT DES AFFAIRES SOCIALES, l'UNION GENERALE DES FEDERATIONS DE FONCTIONNAIRES CGT et la FEDERATION CFDT PROTECTION SOCIALE TRAVAIL EMPLOI ne sont pas fondées à demander l'annulation du décret n° 96-691 du 6 août 1996 ;
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à l'UNION NATIONALE CGT DES AFFAIRES SOCIALES et à l'UNION GENERALE DES FEDERATIONS DE FONCTIONNAIRES CGT la somme qu'elles demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'intervention de la Confédération générale du travail au soutien de la requête n° 182853 est admise.
Article 2 : La requête de l'UNION NATIONALE CGT DES AFFAIRES SOCIALES et de l'UNION GENERALE DES FEDERATIONS DE FONCTIONNAIRES CGT et la requête de la FEDERATION CFDT PROTECTION SOCIALE TRAVAIL EMPLOI sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'UNION NATIONALE CGT DES AFFAIRES SOCIALES, à l'UNION GENERALE DES FEDERATIONS DE FONCTIONNAIRES CGT, à la FEDERATION CFDT PROTECTION SOCIALE TRAVAIL EMPLOI, à la Confédération générale du travail, au Premier ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de l'emploi et de la solidarité, au ministre de l'intérieur, au ministre de la défense et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.