Vu la requête enregistrée le 9 janvier 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le GROUPEMENT D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES TRAVAILLEURS IMMIGRES (GISTI) dont le siège est ... ; le GROUPEMENT D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES TRAVAILLEURS IMMIGRES demande que le Conseil d'Etat annule la circulaire du 7 novembre 1994 du ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville et du ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, relative au regroupement familial ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu l'ordonnance 45-2658 du 2 novembre 1945 ;
Vu le décret n° 94-963 du 7 novembre 1994 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Ribadeau Dumas, Auditeur,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat du GROUPEMENT D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES TRAVAILLEURS IMMIGRES - G.I.S.T.I.,
- les conclusions de M. Abraham, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la circulaire du ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et du ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville en date du 7 novembre 1994, relative au regroupement familial, a été prise pour l'application des articles 29, 30 et 30 bis de l'ordonnance susvisée du 2 novembre 1945, issus de la loi du 24 août 1993, et du décret susvisé du 7 novembre 1994 ; que par une décision en date du 28 septembre 1998, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a rejeté le recours pour excès de pouvoir de l'association requérante tendant à l'annulation dudit décret ; que le moyen, tiré de ce que la circulaire attaquée aurait été prise pour l'application d'un décret illégal, qui se réfère exclusivement aux moyens développés dans ledit recours, doit dès lors être écarté pour les mêmes motifs ;
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 29 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, le regroupement familial peut être refusé si "le demandeur ne justifie pas de ressources personnelles stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille", et "sont prises en compte toutes les ressources du demandeur" ; qu'en vertu de l'article 9 du décret du 7 novembre 1994, le demandeur salarié doit notamment produire, à l'appui de sa demande, les bulletins de paie qu'il a reçus pendant l'année précédant ladite demande ; qu'en précisant, par des dispositions qui ne portent pas atteinte au droit des demandeurs au respect de leur vie privée, que l'administration pourra, afin d'apprécier la stabilité et le caractère suffisant des ressources de l'intéressé, se fonder non seulement sur les ressources perçues par ce dernier pendant l'année précédant sa demande, mais aussi sur sa situation antérieure, ainsi que sur son avenir professionnel prévisible dans un futur proche, et prendre en compte non seulement le montant des ressources de l'intéressé, mais aussi les dépenses qu'il est tenu de prendre en charge en raison de sa situation personnelle dès lors qu'elles apparaîtraient excessives ou manifestement disproportionnées, la circulaire attaquée, qui se borne à interpréter les dispositions législatives applicables, n'a pas énoncé de dispositions réglementaires ;
Considérant que la circulaire attaquée prévoit au a) de sa partie III C 1.2., que ses destinataires ne doivent pas opposer de refus de principe aux titulaires d'emplois temporaires ou à durée déterminée ; qu'ainsi, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que le b) de la même partie édicterait des dispositions à caractère réglementaire ayant pour objet d'exclure du bénéfice du regroupement familial certaines catégories de travailleurs en situation précaire ;
Considérant qu'aux termes du c) de la partie III C 1.2 : "Certains étudiants, boursiers ou non, ou en stage de perfectionnement professionnel, peuvent, sous ce statut, être autorisés temporairement à exercer une activité salariée pour pallier une diminution de leurs ressources ou le cas échéant en occupant des fonctions liées à leurs études. Toutefois, dans la quasi-totalité des cas, vous constaterez que le contrat de travail qu'ils détiennent, lié à la période de leurs études, est précaire et ne dépasse pas l'année civile, donc n'apporte aucune garantie de stabilité. C'est pourquoi vous devrez leur opposer un refus motivé sur ce chef" ; qu'en énonçant ainsi que les autorités compétentes pour statuer sur une demande de regroupement familial seront conduites à rejeter cette demande lorsque les conditions qui leur imposeraient d'y faire droit nesont pas réunies, alors que ces autorités ne sont en principe jamais tenues de rejeter une demande de titre de séjour, les auteurs de la circulaire ont édicté des dispositions réglementaires alors qu'ils n'étaient pas compétents à cet effet ; que ces dispositions doivent par suite être annulées ;
Considérant qu'il résulte des termes de la partie IV C 1 de la circulaire attaquée, que lorsqu'une demande de regroupement familial concerne des personnes résidant déjà sur le territoire français, il ne pourra lui être donné satisfaction que dans la mesure où le demandeur présente notamment, à l'appui de sa requête, le titre de séjour de son conjoint et, le cas échéant, les justificatifs de l'entrée et du séjour réguliers en France des enfants mineurs qui pourraient bénéficier de la procédure ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'administration n'est en principe jamais tenue de rejeter une demande de titre de séjour ; que par suite, en fixant les conditions que doivent remplir les personnes qui sollicitent le regroupement familial à titre dérogatoire, lorsqu'elles ne répondent pas aux conditions légales leur donnant droit à l'obtenir, les auteurs de la circulaire ont édicté des dispositions réglementaires alors qu'ils n'étaient pas compétents à cet effet ; que ces dispositions doivent par suite être annulées ;
Considérant qu'il résulte des termes de l'article 29 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 et de l'article 10 du décret du 7 novembre 1994, que les autorités compétentes pour statuer sur une demande de regroupement familial peuvent rejeter une telle demande si le demandeur ne dispose pas d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France et que les conditions de logement dont dispose la famille du demandeur doivent être appréciées, compte tenu de la composition de sa famille, par référence aux conditions de salubrité et d'occupation fixées, en application de l'article L 542-2 du code de la sécurité sociale, pour l'ouverture du droit à l'allocation de logement familiale ; qu'aux termes de l'article D. 542-14 du même code, dans sa rédaction applicable à la date de la circulaire attaquée, le logement au titre duquel le droit à l'allocation de logement familiale est ouvert doit, notamment, "présenter une surface habitable globale au moins égale à vingt-cinq mètres carrés pour un ménage sans enfants ou deux personnes, plus neuf mètres carrés par personne en plus dans la limite de soixante-dix-neuf mètres carrés pour huit personnes et plus" ; qu'en énonçant, dans son annexe 3, parmi les conditions de surface exigées pour obtenir le bénéfice de l'allocation de logement familiale, une surface de cinq mètres carrés par personne supplémentaire au-delà de huit personnes présentes dans le logement alors que cette condition ne résulte pas des dispositions précitées, la circulaire attaquée méconnaît les dispositions susanalysées de l'article 10 du décret du 7 novembre 1994 ; que par suite, le 2° de l'annexe 3 de la circulaire attaquée est entaché d'illégalité et doit être annulé ;
Considérant qu'aux termes de l'article 2 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 : "Les étrangers sont, en ce qui concerne leur entrée et leur séjour en France, soumis aux dispositions de la présente ordonnance, sous réserve des conventions internationales ou des lois et règlements spéciaux y apportant dérogation" ; que l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 susvisé régit d'une manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France ; qu'il suit de là que les dispositions de l'ordonnance précitée, relatives au regroupement familial, ne sont pas applicables aux ressortissants algériens, lesquels relèvent à cet égard des règles fixées par l'accord susmentionné ;
Considérant que si la circulaire attaquée prévoit, au dernier paragraphe de sa partie III C 5 que le regroupement familial devra être autorisé préalablement à l'entrée en France de ses bénéficiaires lorsque le demandeur est de nationalité algérienne, il résulte des stipulations de l'accord franco-algérien, dans sa rédaction applicable à la date de la circulaire attaquée, que ses signataires ont entendu soumettre le bénéfice du regroupement familial à l'égard des membres des familles des ressortissants algériens à la condition qu'ils ne soient pas présents en France lorsde l'examen de leur demande ; que par suite, les auteurs de la circulaire attaquée, qui ont fait une exacte interprétation des termes de la convention susanalysée, n'ont pas entendu soumettre les ressortissants algériens à des conditions nouvelles ;
Considérant qu'aux termes du dernier alinéa du paragraphe IV-A-3.3 de la circulaire attaquée : "s'agissant du rejet d'une demande présentée par un ressortissant algérien pour l'un ou l'autre des motifs énumérés aux 1° à 5° de l'article 29-I de l'ordonnance, la notification fera mention du motif sans référence à l'article 29-I, mais en mentionnant les dispositions de l'accord franco-algérien ..." ; que les règles posées par les stipulations de cet accord permettant de fonder légalement chacun des motifs de refus envisagés aux cinq premiers alinéas de l'article 29-I, et notamment, comme il a été dit ci-dessus, celui relatif à la condition que les membres de la famille ne soient pas présents en France lors de l'examen de leur demande, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions de la circulaire attaquée auraient pour objet d'appliquer aux ressortissants algériens des dispositions qui ne leur sont pas applicables ;
Considérant qu'en indiquant, à l'avant-dernier paragraphe de la partie III D, certaines des situations qui pourront conduire les autorités compétentes à donner une suite favorable à une demande de regroupement d'une partie de la famille dans le cas où une demande de regroupement de toute la famille pourrait être rejetée, les auteurs de la circulaire attaquée n'ont édicté aucune disposition à caractère réglementaire ;
Considérant que le paragraphe IV A 1.2.1 de la circulaire attaquée se borne, sur le point critiqué par la requête, à reprendre les dispositions de l'article 1er du décret du 7 novembre 1994 ; qu'il est dès lors dépourvu de caractère réglementaire ;
Considérant que si la partie IV A 1.2.5 de la circulaire attaquée omet de mentionner, parmi les justificatifs de logement susceptibles d'être présentés par l'auteur d'une demande de regroupement familial, les pièces attestant de ce que l'intéressé est hébergé à titre gratuit par une autre personne, il résulte de l'examen de la circulaire que ses auteurs n'ont pas entendu exclure les personnes logées à titre gratuit de la possibilité d'obtenir le regroupement familial, dès lors qu'ils prévoient expressément que cette forme de logement "n'est pas exclue a priori" ;
Considérant qu'en prévoyant que, lorsque l'autorité saisie d'une demande de regroupement familial la transmet au consul de France de la capitale du pays de résidence de la famille, ce dernier vérifie si les conditions légales du droit au regroupement familial sont remplies par les intéressés, la partie IV A 2.1.2 de la circulaire attaquée n'édicte aucune disposition réglementaire ;
Considérant qu'en demandant aux préfets de consulter les services concernés de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur avant de statuer sur une demande de regroupement familial, les auteurs de la circulaire attaquée, qui n'ont pas porté atteinte à la compétence du préfet pour statuer sur les demandes dont il est saisi, n'ont pas édicté de dispositions réglementaires ;
Considérant qu'aux termes de l'article 15 du décret du 7 novembre 1994 : "L'entrée de la famille sur le territoire français intervient dans un délai qui ne peut excéder six mois à compter de la notification au demandeur de la décision du préfet" ; qu'aux termes de la partie IV A 3.1 de la circulaire attaquée : "A compter de la décision favorable du préfet, la famille dispose d'un délai de six mois maximum pour entrer en France" ; qu'en omettant depréciser que ledit délai ne court qu'à compter de la notification de la décision à son destinataire, les auteurs de la circulaire attaquée n'ont pas entendu modifier les termes des dispositions réglementaires précitées ;
Considérant qu'en omettant de demander aux préfets de mentionner le décret du 7 novembre 1994 dans les visas des décisions statuant sur les demandes de regroupement familial et en précisant qu'il n'y avait pas lieu d'indiquer le sens des avis émis sur la demande par le maire de la commune de résidence du demandeur et l'Office des migrations internationales, les auteurs de la circulaire attaquée n'ont pas davantage entendu écarter l'application des dispositions de ce décret ni édicter de dispositions réglementaires ;
Considérant qu'en énonçant que les bénéficiaires du regroupement familial se présenteront au consulat de France dans le pays où ils résident pour procéder aux formalités de visite médicale et de remise des documents de départ et qu'à cette occasion les services consulaires, "après les vérifications d'usage", délivreront aux intéressés un visa portant la mention "regroupement familial", les auteurs de la circulaire attaquée n'ont édicté aucune disposition réglementaire ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont seulement recevables et fondés à soutenir que le c) du paragraphe III C 1.2, la partie IV C 1 et le 2° de l'annexe 3 de la circulaire attaquée sont entachés d'illégalité et à en demander l'annulation ;
Article 1er : Le c) du paragraphe III C 1.2, la partie IV C 1 et le 2° de l'annexe 3 de la circulaire du 7 novembre 1994 sont annulés
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au GROUPEMENT D'INFORMATION ET DE SOUTIEN DES TRAVAILLEURS IMMIGRES, au ministre de l'intérieur et au ministre de l'emploi et de la solidarité.