Vu le recours du ministre de l'économie et des finances enregistré le 11 août 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre de l'économie et des finances demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 15 juin 1995 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, réformant les jugements des 21 novembre 1991 et 5 novembre 1992 du tribunal administratif de Bordeaux, a déchargé la société Amibu Inc., de l'impôt sur les sociétés auquel elle avait été assujettie au titre des années 1980, 1981 et 1982 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Froment-Meurice, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Lesourd, Baudin, avocat de la société Amibu Inc.,
- les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Amibu Inc., qui a son siège à Manille (Philippines) et est dirigée par M. X..., qui en est, avec son épouse, le principal actionnaire, a été assujettie, par voie de taxation d'office, à l'impôt sur les sociétés, au titre des années 1979 à 1982, à raison des bénéfices, non déclarés, que, selon l'administration, elle avait retirés d'activités exercées en France, au cours de ces années, par l'intermédiaire d'un établissement stable, au sens de l'article 5 de la convention tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu, conclue entre la France et les Philippines le 9 janvier 1976 ; que, pour établir l'existence de cet établissement stable, ainsi que pour arrêter le montant des bénéfices imposables qu'elle lui a imputés, l'administration a utilisé les renseignements contenus dans un certain nombre de pièces, dont elle a eu connaissance par l'exercice de son droit de communication, qui avaient été saisies par des agents du service des douanes lors de visites domiciliaires effectuées, les 5 et 6 janvier 1983, sur le fondement des dispositions, alors applicables, des articles 64 et 454 du code des douanes, dans les locaux à usage professionnel dont M. X... disposait à Bordeaux ;
Considérant que la Cour européenne des droits de l'homme, à laquelle la Commission européenne des droits de l'homme avait déféré le litige ayant pour origine la requête dont M. X... et son épouse l'avait saisie, en 1986, après épuisement des voies de recours interne qu'ils avaient utilisées aux fins de voir prononcer la nullité des saisies opérées lors des visites domiciliaires des 5 et 6 janvier 1983, a jugé, par un arrêt du 25 février 1993, que ces procédures avaient porté atteinte à la vie privée des intéressés, en violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant que cet arrêt, qui a été rendu après que l'administration fiscale eut obtenu communication d'une partie des pièces saisies les 5 et 6 janvier 1983, n'a pas eu pour effet de la priver du droit de se prévaloir des informations contenues dans ces dernières, à titre d'éléments de preuve de l'existence en France d'un établissement stable de la société Amibu Inc. et du montant des bénéfices, passibles de l'impôt sur les sociétés, qu'elle a estimé que celle-ci avait réalisés, par l'intermédiaire de cet établissement, de 1979 à 1982 ; qu'ainsi, le ministre de l'économie et des finances est fondé à demander l'annulation de l'arrêt du 15 juin 1995, par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, estimant, contrairement à ce qui vient d'être dit, qu'en raison de l'arrêt prononcé par la Cour européenne des droits de l'homme le 25 février 1993, les documents saisis les 5 et 6 janvier 1983 devaient être regardés par le juge de l'impôt comme dénués de toute valeur probante, notamment en ce qu'ils auraient révélé que la société Amibu Inc. s'était placée en situation d'être taxée d'office, et, par suite, que l'administration fiscale n'était pas fondée à les invoquer, a déchargé la société des impositions auxquelles elle avait été assujettie au titre des années 1980 à 1982, restant seules en litige aprèsque le tribunal administratif de Bordeaux eut fait droit, par l'article 1er de son jugement du 5 novembre 1992, non frappé d'appel, à sa contestation des impositions qui lui avaient été assignées au titre de l'année 1979 ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de renvoyer l'affaire devant la cour administrative d'appel de Bordeaux ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 15 juin 1995 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à la société Amibu Inc et au président de la cour administrative d'appel de Bordeaux.