Vu, 1°) sous le n° 163098, la requête enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 24 novembre 1994, présentée pour l'Association française des banques, dont le siège est ..., représentée par son délégué général en exercice ; l'Association française des banques demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le ministre de la justice pendant plus de quatre mois sur sa demande tendant à l'abrogation ou, à défaut, à la modification de son arrêté du 25 août 1972 modifié qui attribue à la caisse des dépôts et consignations ainsi qu'au service des chèques postaux et aux caisses de crédit agricole mutuel le droit exclusif de recevoir en dépôt les fonds détenus par les notaires pour le compte de leurs clients depuis moins de trois mois ;
Vu, 2°) sous le n° 170356, l'ordonnance en date du 2 mai 1995, enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 20 juin 1995, par laquelle le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 81 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, la demande présentée à ce tribunal par l'Association française des banques ;
Vu la demande enregistrée au greffe du tribunal administratif de Paris le 24 novembre 1994, présentée pour l'Association française des banques et tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le ministre de la justice pendant plus de quatre mois sur sa demande tendant à l'abrogation ou, à défaut, à la modification de son arrêté du 25 août 1972 modifié ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité de Rome ;
Vu la loi du 25 Ventôse an XI ;
Vu l'ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat ;
Vu la loi n° 84-16 du 24 janvier 1984 modifiée relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit ;
Vu le décret n° 45-0117 du 19 décembre 1945 modifié ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. de la Verpillière, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, avocat de l'Association française des banques,
- les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la requête n° 163098 et la requête n° 170356 transmise au Conseil d'Etat par ordonnance du président du tribunal administratif de Paris, présentées par l'Association française des banques, sont dirigées contre le même acte ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice :
Considérant que l'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ; qu'en se fondant sur les dispositions de l'article 3 du décret du 28 novembre 1983 concernant les relations entre l'administration et les usagers, qui s'inspirent de ce principe, l'Association française des banques a demandé le 26 mai 1994 au ministre de la justice d'abroger ou, à défaut, de modifier l'arrêté du 25 août 1972, modifié par l'arrêté du 7 juin 1973, fixant, en application de l'article 15 du décret n° 45-0117 du 19 décembre 1945, la liste des établissements habilités à recevoir les fonds confiés aux notaires depuis moins de trois mois ; que le ministre de la justice n'ayant pas répondu à cette demande dans le délai de quatre mois, il en est résulté une décision implicite de rejet que l'Association française des banques est recevable, contrairement à ce que soutient le ministre de la justice, à contester pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat ;
Sur la légalité de la décision attaquée :
Considérant, d'une part, que si, depuis que le ministre de la justice a inscrit la caisse des dépôts et consignations, le service des chèques postaux et les caisses régionales de crédit agricole comme étant les seuls établissements habilités à recevoir les fonds confiés aux notaires depuis moins de trois mois, les statuts de ces établissements ont été sensiblement modifiés, de même que les conditions d'exercice des activités des banques affiliées à l'Association française des banques, ces changements n'ont pas revêtu une importance telle qu'ils aient pu priver de son fondement légal l'arrêté du 25 août 1972 par lequel le ministre de la justice a dressé la liste dont s'agit ; qu'il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que le ministre de la justice ait commis un détournement de pouvoir en refusant de modifier cette liste ;
Considérant, d'autre part, que l'association requérante soutient également que le principe même d'une limitation du nombre des établissements habilités à recevoir les fonds confiés aux notaires depuis moins de trois mois, institué par l'article 15 du décret du 19 décembre 1945 susvisé, serait illégal ;
Considérant sur ce point que, eu égard à l'ensemble des pouvoirs dont le législateur l'avait investi pour réglementer l'activité des notaires, le gouvernement avait compétence pour édicter la disposition critiquée, sans que puisse y faire obstacle le principe de liberté du commerce et de l'industrie ; que l'association requérante ne saurait utilement se prévaloir de ce que les textes applicables à d'autres professions réglementées ne comportent pas de dispositions similaires ;
Considérant que l'attribution à un nombre limité d'établissements financiers d'un droit exclusif à recevoir les fonds détenus par les notaires depuis moins de trois mois, justifiée, par l'aptitude de ces établissements et de leurs réseaux à assurer à ces fonds une garantie obligatoire et illimitée, ne met pas lesdits établissements en situation d'exploiter une position dominante de façon abusive ; qu'ainsi, les dispositions critiquées ne sont pas incompatibles avec les stipulations claires des articles 86 et 90, paragraphes 1 et 2, du traité instituant la communauté européenne ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'Association française des banques n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de la justice a rejeté sa demande tendant à l'abrogation ou, à défaut, à la modification, de son arrêté du 25 août 1972 modifié ;
Article 1er : Les requêtes de l'Association française des banques sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association française des banques, et au garde des sceaux, ministre de la justice.