Vu le recours sommaire et le mémoire complémentaire du ministre du budget, enregistrés les 17 avril et 31 juillet 1992 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre du budget demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler un arrêt du 26 décembre 1991 par lequel la cour administrative de Nancy n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la réformation du jugement du 12 décembre 1989 du tribunal administratif de Nancy accordant à la SA Les Vins de la Craffe une décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1977 et 1978 dans les rôles de la commune de Maxeville ;
2°) de rétablir à la charge de la société les cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1977 et 1978 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu la directive communautaire du 19 décembre 1974 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Boulard, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Ryziger, avocat de la SA Les Vins de la Craffe,
- les conclusions de M. Loloum, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité du recours du ministre du budget :
Considérant que la SA Les Vins de la Craffe, qui a pour activité la vente de boissons commercialisée dans des bouteilles de 73 et 98 cl, a constitué au titre des années 1976 et 1977 des provisions pour le risque de dépréciation de son stock de bouteilles résultant de l'intervention d'une directive du conseil des communautés n° 75-106 du 19 décembre 1974 prévoyant la disparition des bouteilles de 73 et de 98 cl et donnant aux Etats un délai de mise en vigueur des mesures d'harmonisation de 18 mois à compter de sa notification ;
Considérant qu'en vertu de l'article 39-1-5° du code général des impôts, "les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice" sont déductibles du bénéfice imposable dudit exercice ;
Considérant qu'il résulte clairement des stipulations de l'article 189 du traité du 25 mars 1957, que les directives du conseil des communautés lient les Etats membres "quant aux résultats" ; que si pour atteindre ces résultats, les autorités nationales restent seules compétentes pour décider de la forme à donner à l'exécution de ces directives et pour fixer elles-mêmes, sous contrôle des juridictions nationales, les moyens propres à faire produire leurs effets en droit interne, ces autorités ne peuvent légalement, après l'expiration des délais impartis, ni laisser subsister des dispositions réglementaires qui ne seraient plus compatibles avec les objectifs définis par les directives dont il s'agit ;
Considérant que la directive du 19 décembre 1974 donnait aux Etats membres un délai de mise en vigueur des mesures d'harmonisation de 18 mois à compter de sa notification ; que cette notification étant intervenue le 20 décembre 1974, les textes de mise en conformité auraient dû normalement être édictés au plus tard le 20 juin 1976 ; qu'à cette date, la SA Les Vins de la Craffe pouvait estimer qu'au plus tard au cours de l'année 1976, ses emballages pouvaient se révéler périmés ; qu'il lui était dès lors possible d'inscrire comme elle en a fait une provision au bilan des exercices clos en 1977 et 1978 alors même que l'événement générateur de cette perte ne s'est pas en fait produit, en raison de modifications apportées à la directive intervenue postérieurement aux années en cause, qui ont conduit à reporter les délais de son application ;
Considérant, par ailleurs, qu'en admettant que la société pouvait évaluer à 33 % de la valeur d'acquisition des emballages, la dépréciation de son stock au titre de chacune des années 1976 et 1977, la cour s'est livrée à une appréciation souveraine des faits insusceptible d'être utilement discutée en l'absence de dénaturation devant le juge de cassation ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre chargé du budget n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt en date du 26 décembre 1991 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la réformation du jugement du 12 décembre 1989 du tribunal administratif de Nancy accordant à la SA Les Vins de la Craffe la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1977 et 1978 ;
Considérant que, dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu de faire droit à la demande de la SA Les Vins de la Craffe tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une somme de 20 000 F en application des dispositions de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Article 1er : Le recours susvisé du ministre du budget est rejeté.
Article 2 : l'Etat est condamné à verser à la SA Les Vins de la Craffe la somme de 20 000 F au titre des frais irrépétibles.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre du budget et à la SA Les Vins de la Craffe.