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20/01/1989 | FRANCE | N°68660;68718

France | France, Conseil d'État, 2 / 6 ssr, 20 janvier 1989, 68660 et 68718


Vu 1°) la requête enregistrée, sous le n° 68 660, au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 15 mai 1985, présentée pour la SOCIETE STRIBICK ET FILS dont le siège est à Saint-Etienne et M. Y... syndic au règlement judiciaire de ladite société et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
- annule le jugement en date du 19 décembre 1984 par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à payer à la SOCIETE STRIBICK la somme de 2,5 millions de francs, et condamné la société à supporter les deux tiers des frais d'expertise ;
- condamne l'Etat au paieme

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Vu 1°) la requête enregistrée, sous le n° 68 660, au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 15 mai 1985, présentée pour la SOCIETE STRIBICK ET FILS dont le siège est à Saint-Etienne et M. Y... syndic au règlement judiciaire de ladite société et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
- annule le jugement en date du 19 décembre 1984 par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à payer à la SOCIETE STRIBICK la somme de 2,5 millions de francs, et condamné la société à supporter les deux tiers des frais d'expertise ;
- condamne l'Etat au paiement à la SOCIETE STRIBICK des sommes de 20 105 372 F et 18 671 809 F avec intérêts légaux ;
Vu 2°) le recours enregistré, sous le n° 68 718, au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 17 mai 1985 présenté au nom de l'Etat par le ministre de l'urbanisme, du logement et des transports et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
- annule le jugement en date du 19 décembre 1984 par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat au paiement d'une indemnité de 2,5 millions de francs à la SOCIETE STRIBICK ;
- décharge l'Etat de toute responsabilité ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Mallet, Maître des requêtes,
- les observations de Me Boulloche, avocat de la SOCIETE MISTRIBICK ET FILS,
- les conclusions de M. Vigouroux, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la requête présentée par l'ENTREPRISE STRIBICK et le recours présenté par le MINISTRE DE L'URBANISME, DU LOGEMENT ET DES TRANSPORTS sont dirigés contre le même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que le MINISTRE DE L'URBANISME ET DU LOGEMENT demandait au tribunal administratif de Paris le rejet pur et simple de la requête en indemnité de l'ENTREPRISE STRIBICK ; qu'en condamnant l'Etat à payer à ladite société une somme de 2 500 000 F seulement, le tribunal administratif, dont le jugement est suffisamment motivé, n'a pas statué au-delà des conclusions présentées par le ministre ;
Au fond :
Considérant qu'un "marché cadre" concernant une opération dite "15 000 logements", dont l'objectif était la réduction des coûts de construction des immeubles d'habitations à loyer modéré, a été signé le 16 juin 1969 par un groupement d'entreprises ayant comme mandataire commun l'ENTREPRISE STRIBICK et par 18 organismes d'H.L.M. ; que chaque opération locale de construction devait faire l'objet d'un "sous marché" entre le maître d'ouvrage, c'est-à-dire l'organisme ou la société d'H.L.M. concerné, et le groupement d'entreprises ; que l'ENTREPRISE STRIBICK soutient que de graves perturbations ont modifié le déroulement de l'opération et l'ont obligée, ensa qualité de mandataire du groupement, à exposer d'importants frais d'études supplémentaires qui n'ont pas donné lieu à rémunération, ce qui aurait contribué aux difficultés financières qui l'ont conduite au règlement judiciaire ; qu'elle demande à l'Etat la réparation du préjudice en résultant ;

Considérant en premier lieu que, compte tenu de la complexité de l'opération et des retards sensibles qu'elle a connus, l'importance des surcoûts d'études incombant à l'ENTREPRISE STRIBICK du fait des nombreuses modifications qui lui étaient imposées n'est apparue que postérieurement au 1er janvier 1972 ; que dès lors, le MINISTRE DE L'URBANISME ET DU LOGEMENT n'était pas fondé à opposer la prescription quadriennale à sa demande d'indemnité formulée le 16 mars 1976 ;
Considérant en second lieu qu'il résulte de l'instruction que si l'opération fait suite à une initiative du Gouvernement et si elle a été suivie de près par les services de l'Etat chargés de la construction, l'Etat n'a pas été partie aux contrats susmentionnés passés entre les organismes d'habitations à loyer modéré et le groupement d'entreprises dirigé par l'ENTREPRISE STRIBICK ; que dès lors la responsabilité de l'Etat envers ladite société ne peut être engagée sur le terrain contractuel ;
Considérant en troisième lieu qu'il résulte de l'instruction que la conception de ladite opération présentait de réelles lacunes, que sa préparation a été trop hâtive, que de très nombreuses modifications affectant à la fois le nombre d'opérations locales, le nombre de maîtres d'ouvrage et leur identité ainsi que la nature des bâtiments types se sont produites ; que ces modifications ont été à l'origine d'une désorganisation de l'opération et ont provoqué un important retard de réalisation ; qu'elles étaient liées à une préparation et à une coordination insuffisante de l'opération ; que l'ENTREPRISE STRIBICK, qui a supporté l'essentiel des frais d'études supplémentaires rendus nécessaires, est dès lors fondée à soutenir que la responsabilité quasi délictuelle de l'Etat était engagée à son égard ;

Considérant toutefois que l'entreprise ne pouvait ignorer totalement les aléas auxquels elle s'exposait en s'engageant dans une opération techniquement et juridiquement complexe ; qu'elle pouvait normalement prévoir une partie des difficultés résultant de la multiplicité des sites d'implantation et des maîtres d'ouvrage locaux ; qu'il lui appartenait donc d'établir son offre en tenant compte de la possibilité d'un volume d'études supplémentaires important et de demander qu'il en fût tenu compte à l'occasion de la négociation des avenants ; que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de la part de responsabilité qui lui incombe en limitant à 50 % du préjudice subi l'indemnité mise à la charge de l'Etat, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Paris ;
Considérant qu'il ressort de l'instruction et notamment du rapport de l'expert commis par les premiers juges que le montant des frais d'études complémentaires assumés par l'ENTREPRISE STRIBICK peut être évalué à 11 072 651 F cette somme étant calculée en fonction des coûts aux dates où ces études ont été effectuées et où, par conséquent, le préjudice s'est réalisé ; que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, il y a lieu de prendre en compte la totalité de cette somme, les préjudices résultant de la carence de certains maîtres de l'ouvrage, les modifications de modèle résultant des demandes locales ou d'erreurs topographiques étant imputables à la mauvaise gestion du projet par l'Etat ; qu'il ressort par conséquent de ce qui a été dit ci-dessus que la société à droit à 50 % de cette somme, soit 5 536 325,50 F ;

Considérant que si l'ENTREPRISE STRIBICK demande en outre la réparation des conséquences dommageables de la procédure de réglement judiciaire à laquelle elle a dû se soumettre en octobre 1974, il ne ressort pas de l'instruction qu'il existe un lien direct entre la cessation de paiements intervenue à cette époque et l'absence d'indemnisation des frais d'études susmentionnés, indemnisation qu'elle n'a d'ailleurs demandée qu'en 1976 ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'indemnité allouée à l'ENTREPRISE STRIBICK par le jugement attaqué doit être portée à 5 536 325,50 F ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 23 juillet 1984, le 15 mai 1985 et le 5 mars 1986 ; qu'à ces dates, à l'exclusion de celle du 15 mai 1985, il était dû au moins une année d'intérêt ; que dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes, à l'exception de celle du 15 mai 1985 ;
Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'affaire de mettre la totalité des frais d'expertise à la charge de l'Etat ;
Article 1er : L'indemnité due à l'ENTREPRISE STRIBICK par l'Etat est portée à 5 536 325,50 F avec intérêts aux taux légal à compter du 26 novembre 1976. Les intérêts échus les 23 juillet 1984 et 5 mars 1986 seront capitalisés à ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Les frais d'expertise exposés en première instance sont mis à la charge de l'Etat.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 5 décembre 1984 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de l'ENTREPRISE STRIBICK et le recours du MINISTRE DE L'URBANISME sont rejetés.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'ENTREPRISE STRIBICK, à M. X... et au ministre d'Etat, ministre de l'équipementet du logement.


Synthèse
Formation : 2 / 6 ssr
Numéro d'arrêt : 68660;68718
Date de la décision : 20/01/1989
Sens de l'arrêt : Réformation indemnité
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-03 RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - FAITS SUSCEPTIBLES OU NON D'OUVRIR UNE ACTION EN RESPONSABILITE - AGISSEMENTS ADMINISTRATIFS SUSCEPTIBLES D'ENGAGER LA RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE -Agissements administratifs constitutifs d'une faute - Marchés et contrats - Mauvaise gestion d'une opération immobilière suivie par les services de l'Etat, l'Etat n'étant pas partie au contrat - Responsabilité de l'Etat.

60-01-03 Si l'opération fait suite à une initiative du Gouvernement et si elle a été suivie de près par les services de l'Etat chargés de la construction, l'Etat n'a pas été partie aux contrats passés entre les organismes d'habitations à loyer modéré et le groupement d'entreprises dirigé par l'entreprise Stribick. Dès lors la responsabilité de l'Etat envers ladite société ne peut être engagée sur le terrain contractuel. Mais la conception de ladite opération présentait de réelles lacunes, sa préparation a été trop hâtive, de très nombreuses modifications affectant à la fois le nombre d'opérations locales, le nombre de maîtres d'ouvrage et leur identité ainsi que la nature des bâtiments types se sont produites. Ces modifications ont été à l'origine d'une désorganisation de l'opération et ont provoqué un important retard de réalisation. Elles étaient liées à une préparation et à une coordination insuffisante de l'opération. L'entreprise Stribick, qui a supporté l'essentiel des frais d'études supplémentaires rendus nécessaires, est dès lors fondée à soutenir que la responsabilité quasi délictuelle de l'Etat était engagée à son égard.


Publications
Proposition de citation : CE, 20 jan. 1989, n° 68660;68718
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Coudurier
Rapporteur ?: M. Mallet
Rapporteur public ?: M. Vigouroux

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:1989:68660.19890120
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