Vu les requêtes et le mémoire complémentaire enregistrés les 15 février 1984, 23 mars 1984 et 15 juin 1984 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société "ENTREPRISE DU CENTRE", société anonyme, dont le siège est "Le Ménéguen", Queven, (56530), agissant poursuites et diligences de ses syndics de liquidation, Me Y... Loquais, demeurant ..., et Me Pierre X..., demeurant ..., (Morbihan), et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
°1/ annule un jugement, en date du 18 janvier 1984, par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés, assorti de pénalités, auxquelles cette société a été assujettie au titre des années 1975 et 1976,
°2/ lui accorde la décharge des impositions contestées,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Teissier du Cros, Conseiller d'Etat,
- les observations de la S.C.P. Nicolas, Masse-Dessen, Georges, avocat de la société anonyme "ENTREPRISE DU CENTRE",
- les conclusions de M. Ph. Martin, Commissaire du gouvernement ;
En ce qui concerne les droits :
Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : "1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant ... notamment : °1) Les frais généraux de toute nature ... °5) Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice et figurent au relevé des provisions prévu à l'article 54 ..." ;
Sur la provision de 480 426,87 F :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société anonyme "ENTREPRISE DU CENTRE", qui exploitait une entreprise de constructions et de travaux publics, a inscrit au bilan de clôture de l'exercice 1976 une provision pour "finitions" de 800 000 F que l'administration a écartée à concurrence de 480 426,87 F ; qu'elle ne conteste pas que ladite provision ne correspondait en réalité à des charges probables, inhérentes aux malfaçons et détériorations apparaissant postérieurement à l'achèvement des chantiers, qu'à concurrence de 319 573,13 F et que la différence, soit 480 426,87 F, correspondait à la "dépréciation de prêts à plus d'un an" ; qu'elle soutient que l'inscription de cette provision pour un montant plus élevé procède d'une erreur matérielle et fait valoir qu'elle avait spontanément rectifié cette erreur dès avant la vérification de sa comptabilité par l'administration fiscale, à l'occasion de la passation es écritures afférentes à la clôture de l'exercice suivant ;
Considérant que les prétentions de la requérante sur ce point tendent à modifier, pour le montant susindiqué, l'objet de la provision qu'elle avait constituée et ne peuvent être admises, dès lors qu'elles conduisent à substituer, postérieurement à l'expiration du délai de déclaration, une provision nouvelle à celle qui a été initialement déclarée dans les formes prescrites au 1. °5 de l'article 39 du code général des impôts, précité ; que, par suite, c'est à bon droit que l'administration a réintégré dans les résultats de l'exercice 1976 la somme de 480 426,87 F ;
Sur les frais financiers et la provision de 650 000 F :
Considérant que le vérificateur a réintégré dans les bénéfices de la société "ENTREPRISE DU CENTRE", d'une part, les frais financiers que cette société avait exposés pendant les exercices 1975 et 1976 à raison d'un emprunt contracté par elle afin de payer une somme de 2 000 000 F en exécution d'un engagement de caution souscrit le 11 avril 1974 en faveur de la société anonyme "Marcesche et Cie", qui détenait 99,93 % de son capital social, et, d'autre part, une provision de 650 000 F, constituée à la clôture de l'exercice 1975 du fait que la créance de 2 000 000 F, résultant de l'exécution de l'engagement de caution ci-dessus, était devenue douteuse ; que, pour justifier ces réintégrations, l'administration fait valoir que l'engagement de caution constituait un acte anormal de gestion ;
Considérant que l'acte contesté par l'administration s'étant traduit en comptabilité par des écritures portant sur des charges de l'entreprise et sur une provision, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve que cet acte relève d'une gestion anormale si le contribuable n'est pas en mesure de justifier de l'intérêt que présentait pour l'entreprise l'engagement pris par celle-ci ;
Considérant, d'une part, que la société requérante ne justifie pas de cet intérêt en se bornant à invoquer l'imbrication financière où elle se trouvait par rapport à la société Marcesche, laquelle est juridiquement distincte ;
Considérant, d'autre part, que, si la société requérante fait valoir qu'elle détenait, le 11 avril 1974, date à laquelle elle a donné son aval, une créance de 1 212 535,24 F sur la société Marcesche, elle n'apporte aucune précision sur la contrepartie qu'elle aurait retirée de sa caution pour le recouvrement de ladite créance, qu'elle a d'ailleurs abandonnée, sous réserve du retour du débiteur à meilleure fortune, par convention du 30 décembre 1974 ; que, si elle invoque les liens commerciaux qu'elle entretenait avec la société Marcesche, qui, selon elle, était son principal fournisseur et son principal sous-traitant, elle ne justifie pas, par ces liens et par les avantages qu'elle en aurait retirés, de l'intérêt pour elle de souscrire un engagement de caution de l'importance de celui qui a été pris ; que, si elle soutient que la société-mère était menacée de liquidation et qu'eu égard à la part représentée par son capital dans l'actif de ladite société, cette liquidation aurait entraîné sa propre disparition, cette allégation est contredite par les pièces du dossier, dont il ressort qu'à la date où elle a consenti sa caution, la situation de la société Marcesche n'était pas encore critique ;
Considérant que, dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme établissant qu'ont été étrangères à une gestion commerciale normale, non seulement la charge des frais financiers que la société a dû assumer du fait de l'emprunt auquel elle a recouru afin d'exécuter son engagement de caution, mais encore les charges de tous ordres qu'a pu occasionner cette exécution ; qu'il en est ainsi notamment de la charge probable inhérente au risque de perte auquel la société a été exposée à raison des difficultés de recouvrement de la créance née de ladite exécution ; que la provision de 650 000 F constituée pour faire face à cette perte n'est, dès lors, pas justifiée, alors même qu'à la date à laquelle cette provision a été inscrite la situation financière de la société Marcesche était devenue alarmante ; que, dès lors, c'est à bon droit que l'administration a réintégré dans les bénéfices, non seulement les frais financiers, mais encore la provision ci-dessus ;
Considérant que, de ce qui précède, il résulte que la société "ENTREPRISE DU CENTRE" n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Rennes a rejeté les conclusions de sa demande ;
En ce qui concerne les pénalités appliquées à la partie des droits qui découle de la réintégration des frais financiers et de la provision de 650 000 F :
Considérant que l'administration n'établit pas que la société "ENTREPRISE DU CENTRE" a consenti l'engagement de caution susmentionné dans des conditions révélatrices de l'absence de bonne foi ; qu'il y a lieu, dès lors, d'accorder à la société "ENTREPRISE DU CENTRE" la décharge de la majoration légale de 50 % dont, en vertu de l'article 1729 du code général des impôts, ont été assortis les droits réclamés du chef des réintégrations pour engagement de caution à laquelle, pour chacune des années d'imposition, seront substitués, dans la limite de ladite majoration, les intérêts de retard prévus à l'article 1728 du même code ;
En ce qui concerne les intérêts moratoires :
Considérant que les intérêts dus au contribuable en vertu de l'article L.208 du livre des procédures fiscales sont, en vertu de l'article R.208-1 du même livre, "payés d'office en même temps que les sommes remboursées par le comptable chargé du recouvrement des impôts" ; qu'il n'existe entre le comptable du Trésor et la société requérante aucun litige né et actuel concernant lesdits intérêts ; que, dès lors, les conclusions de la requête relatives aux intérêts moratoires ne sont pas recevables ;
Article ler : Il est accordé à la société "ENTREPRISE DU CENTRE" décharge de la majoration légale de 50 % dont ont été assorties, en vertu de l'article 1729 du code général des impôts, les cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des années 1975 et 1976 du chef des frais financiers et de la provision de 650 000 F à laquelle seront substitués, dans la limite de ladite majoration, les intérêts de retard prévus à l'article 1728 du même code.
Article 2 : Le jugement susvisé du tribunal administratif de Rennes, en date du 18 janvier 1984, est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête susvisée de la société "ENTREPRISE DU CENTRE" est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à MM. Y... Loquais et Pierre X..., co-syndics de liquidation de la société "ENTREPRISE DU CENTRE" et au ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la privatisation, chargé du budget.