Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 27 août 1982 et 24 décembre 1982 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Yvan A..., demeurant ..., Mme Jean X..., demeurant ..., Mme Z..., demeurant ... et M. Guy de Y..., demeurant ..., et tendant à ce que le Conseil d'Etat annule une décision en date du 28 juin 1982 de la commission administrative nationale d'évaluation fixant la valeur d'échange au 30 juin 1982 des actions de la Banque industrielle et mobilière privée B.I.M.P à 254,95 F pour les actions existant au 31 décembre 1981 et à 246,27 F pour les actions créées au cours du premier semestre 1982 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 11 février 1982 ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Azibert, Maître des requêtes,
- les observations de la S.C.P. Nicolas, Masse-Dessen, Georges, avocat de M. Yvan A... et autres,
- les conclusions de M. Boyon, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 18 de la loi de nationalisation du 11 février 1982, pour les sociétés mentionnées à l'article 12-II-6 de ladite loi, c'est-à-dire pour les banques non inscrites à la cote officielle et qui sont nationalisées dans les conditions prévues à l'article 13, "il est constitué une commission administrative nationale d'évaluation composée du premier président de la Cour des comptes, président, du gouverneur de la Banque de France, du président de la section des finances du Conseil d'Etat, du président de la chambre commerciale de la Cour de cassation et d'un membre du Conseil économique et social désigné par le président de cette assemblée. Cette commission est chargée de fixer au 30 juin 1982 la valeur d'échange à cette date des actions de ces sociétés. A cet effet, elle détermine la valeur des négociations des actions de chaque société au 31 décembre 1981 à partir de l'actif net et du bénéfice net, en tenant compte des rapports constatés entre, d'une part, la valeur boursière moyenne des actions et, d'autre part, l'actif net et le bénéfice net des banques mentionnées à l'article 12-II-a", c'est-à-dire des banques inscrites à la cote officielle qui, aux termes de la loi, sont nationalisées. "Cette valeur de négociation est actualisée pour tenir compte des événements qui l'auront affectée pendant les six premiers mois de l'année 1982" ;
Sur la légalité externe de la décision attaquée :
Considérant, d'une part, que, dans la décision en cause, la commission administrative nationale d'évaluation, après avoir visé l'ensemble des documents concernant la Banque industrielle et mobilière privée B.I.M.P qu'elle avait recueillis au cours de la procédure et rappelé les terms de la loi du 11 février 1981 et de la décision du même jour du Conseil Constitutionnel, a indiqué les éléments retenus pour calculer l'actif net et le bénéfice net corrigés, ainsi que le montant obtenu pour chacune de ces valeurs dans le cas de la banque considérée, puis a décrit la méthode utilisée pour rapprocher les banques cotées des banques non cotées, en donnant la composition du groupe de sept banques cotées avec lesquelles la banque industrielle et mobilière privée a été mise en relation, en précisant la liste des ratios financiers ayant servi à constituer ledit groupe, et en indiquant les valeurs des coefficients multiplicateurs respectivement de l'actif net et du bénéfice net permettant de calculer, pour les banques appartenant au groupe auquel a été rattachée la banque industrielle et mobilière privée, la valeur de négociation de l'action ; qu'ainsi, et alors même que la commission n'a pas indiqué tous les éléments permettant de reconstituer ses calculs, et notamment les valeurs prises par les ratios financiers pour les banques cotées de référence, elle a suffisamment motivé sa décision ;
Considérant, d'autre part, qu'aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe général du droit, ne faisaient obligation à la commission administrative nationale d'évaluation d'entendre contradictoirement les intéressés, et notamment les actionnaires et les dirigeants des banques non cotées incluses dans le champ d'application de la loi de nationalisation ; qu'ainsi, la commission, qui avait d'ailleurs recueilli auprès de la banque elle-même les éléments comptables ayant servi au calcul de la valeur de l'action et qui a examiné tous les documents et rapports que lui ont soumis les dirigeants et les actionnaires de cette banque n'était tenue ni de procéder à l'audition des dirigeants ou des représentants d'actionnaires de la banque industrielle et mobilière privée, ni de soumettre à leur examen l'ensemble des documents au vu desquels elle a statué, ni de les inviter à faire connaître leurs observations sur la valeur de l'action qu'elle se proposait de retenir avant de la fixer définitivement ;
Sur la légalité interne de la décision attaquée :
Sur la détermination du bénéfice net :
Considérant qu'en retenant, pour calculer le bénéfice net consolidé de la banque industrielle et mobilière privée, ainsi qu'elle l'a fait pour toutes les banques, une période de référence portant sur les exercices 1980 et 1981, et permettant donc d'atténuer l'incidence des aléas de la toute dernière période, la commission, qui n'était liée sur ce point par aucune disposition impérative de la loi de nationalisation, n'a pas méconnu l'obligation qui pesait sur elle de rechercher une valeur du bénéfice net aussi objective que possible ; qu'elle a pu, à cet égard, retenir deux bénéfices annuels également pondérés après avoir réévalué les résultats de 1980 pour tenir compte de l'érosion monétaire ;
Sur l'établissement de la valeur de négociation des actions au 31 décembre 1981 :
Considérant que, pour fixer la valeur de négociation au 31 décembre 1981 de l'action de chacune des banques non inscrites à la cote officielle et nationalisées au 1er juillet 1982, la commission a constitué, à l'aide de deux séries de huit ratios permettant de cerner les principales caractéristiques économiques et financières des établissements bancaires concernés, et selon une méthode statistique communément utilisée, deux groupes de banques, comprenant chacun des banques inscrites à la cote officielle et des banques non inscrites à la cote officielle et formant deux ensembles homogènes au regard des caractéristiques économiques et financières des banques les constituant ; que, pour chacun des groupes, elle a déterminé, selon une autre méthode statistique usuelle, une relation entre, d'une part, l'actif net et le bénéfice net et, d'autre part, la valeur boursière, des banques cotées appartenant au groupe en cause ; qu'elle a ensuite appliqué cette relation aux valeurs de l'actif net et du bénéfice net, le cas échéant corrigés et consolidés, des banques non inscrites à la cote officielle appartenant au groupe correspondant, afin de déterminer la valeur de négociation de leurs titres au 31 décembre 1981 ; qu'en procédant de la sorte, la commission s'est conformée aux dispositions précitées de l'article 18 de la loi de nationalisation, en tant qu'elles imposaient, d'une part, de prendre en compte uniquement l'actif net et le bénéfice net pour fixer la valeur de négociation des actions et, d'autre part, d'opérer par rapprochement avec le seul groupe des banques cotées nationalisées ; qu'en dépit des inconvénients pouvant résulter du petit nombre et de la diversité des banques cotées de référence, ces dispositions s'imposaient à la commission dans l'élaboration de sa méthode statistique ; qu'il ne résulte pas des pièces du dossier que le choix des ratios financiers et la constitution des groupes auxquels la commission a procédé n'aient pas permis de tenir compte des caractéristiques essentielles des banques constituant l'échantillon ; qu'enfin si, au terme des calculs effectués sur le fondement de la méthode statistique retenue, et en vue de parvenir à une juste indemnisation des actionnaires de chacune des banques, la commission avait le pouvoir et, le cas échéant, l'obligation de vérifier qu'il n'existait pas, pour telle ou telle banque non cotée, de spécificités telles qu'une correction de la valeur d'échange ainsi obtenue eut été nécessaire, il ne résulte pas des pièces du dossier que tel ait été le cas de la banque industrielle et mobilière privée, dont les spécificités alléguées, et notamment le fait qu'elle est un établissement à guichet unique, ne justifiaient pas que soient pratiquées des corrections des résultats obtenus par la méthode de calcul décrite ci-dessus ; qu'en conséquence, la commission a pu, sans méconnaître les dispositions de la loi du 11 février 1982, ni la chose jugée par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du même jour, ni encore l'exigence d'une juste indemnisation des actionnaires, appliquer sans correction à la banque industrielle et mobilière privée la méthode statistique qu'elle avait retenue et estimer ainsi que la valeur de négociation des actions de cette banque s'établissait à 65 810 698 F au 31 décembre 1981 ;
Sur l'actualisation de la valeur de négociation en fonction des événements intervenus pendant les six premiers mois de 1982 :
Considérant que, pour actualiser la valeur de négociation de l'action de la Banque industrielle et mobilière privée au 30 juin 1982, la commission a, comme l'y invitait le législateur, pris en compte l'événement exceptionnel constitué par l'augmentation de capital intervenue au cours du premier semestre 1982 et a corrigé la valeur d'échange de l'action pour tenir compte de l'érosion monétaire au cours de ce même semestre ; que l'évolution des résultats de la banque au cours du premier semestre 1982, qui ne pouvait d'ailleurs pas, dans la plupart des cas, être connue avec précision à la date à laquelle la commission devait statuer, n'était en revanche pas au nombre des "événements" auxquels la loi faisait référence et qui devaient être pris en compte pour l'actualisation de la valeur de négociation au 30 juin 1982 ; que par suite la commission n'avait pas à rechercher quelle avait été cette évolution ni à en tenir compte pour le calcul de la valeur des actions des banques non cotées ; que par suite c'est également à bon droit que la commission a calculé de façon forfaitaire, par référence au dividende afférent à l'exercice 1981, l'avantage équivalent au dividende afférent au premier semestre de l'année 1982 ;
Considérant cependant que l'article 18 de la loi de nationalisation prévoyait le transfert de propriété des actions des banques non cotées au 1er juillet 1982 ; que jusqu'à cette date, la libre disposition de leurs biens par les actionnaires ne pouvait connaître d'autres limitations que celles expressément prévues par la loi, et résultant notamment de ce que, entre la date de publication de la loi et celle du transfert effectif de propriété, les commissaires du gouvernement nommés auprès de chaque banque étaient habilités à opposer un veto à toute décision des organes sociaux pouvant affecter la situation de la banque ; qu'ainsi, comme l'a d'ailleurs indiqué le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 11 février 1982, le dividende afférent à l'exercice 1981 pouvait être normalement distribué, dès lors toutefois qu'une telle distribution n'affectait pas la situation de la banque, au sens des dispositions législatives susévoquées ; que dans le cas où un dividende avait été légalement distribué, la commission devait en tenir compte au titre de l'avantage afférent à l'exercice 1981 et ne pouvait y substituer, à ce titre, un dividende forfaitaire ;
Considérant que l'assemblée générale des actionnaires de la banque industrielle et mobilière privée a décidé, le 19 février 1982, de distribuer aux actionnaires la somme de 5 002 074 F au titre des dividendes afférents à l'exercice 1981 ; qu'il ne résulte pas des pièces du dossier que cette distribution de dividendes, qui a fait l'objet d'une décision de veto de la part du commissaire du gouvernement nommé auprès de la banque, décision confirmée par le ministre de l'économie et des finances, mais ultérieurement annulée par le Conseil d'Etat statuant au contentieux, ait affecté la situation de la banque, au sens des dispositions de l'article 20 de la loi de nationalisation ; que, par suite, la commission administrative nationale d'évaluation ne pouvait, sans méconnaître les dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article 18 de la loi du 11 février 1982, telles d'ailleurs qu'interprétées par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du même jour, et sans priver les actionnaires de la Banque industrielle et mobilière privée, propriétaires des bénéfices afférents à l'exercice 1981, d'une juste indemnisation, soustraire de la valeur des actions de la Banque industrielle et mobilière privée la différence entre le dividende réellement distribué et le dividende forfaitaire auquel elle s'est référée ; qu'elle ne pouvait pas davantage se fonder sur la valeur de ce dividende forfaitaire, au lieu du dividende réellement distribué, pour calculer l'avantage équivalent au dividende afférent au premier semestre de l'année 1982 ; que la décision de la commission doit pour ces motifs être annulée ;
Considérant qu'il y a lieu de renvoyer les requérants devant la commission administrative nationale d'évaluation pour que celle-ci fixe, sur la base de ce qui précède, la valeur d'échange au 30 juin 1982 de l'action de la Banque industrielle et mobilière privée ;
Article 1er : La décision en date du 28 juin 1982 de la commission administrative nationale d'évaluation est annulée.
Article 2 : M. A..., Mme X..., Mme Z... et M. de Y... sont renvoyés devant la commission administrative nationale d'évaluation pour la fixation au 30 juin 1982 de la valeur d'échange de l'action de la Banque industrielle et mobilière privée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A..., à MmeCOLLEVILLE, à Mme Z..., à M. de Y... et au ministre de l'économie, des finances et du budget.