COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Matthews c. Ocean Nutrition Canada Ltd., 2020 CSC 26
Appel entendu : 8 octobre 2019
Jugement rendu : 9 octobre 2020
Dossier : 38252
Entre :
David Matthews
Appelant
et
Ocean Nutrition Canada Limited
Intimée
- et -
Canadian Association for Non-Organized Employees, Don Valley Community Legal Services, Law Students’ Legal Advice Program, Association canadienne des avocats d’employeurs et Parkdale Community Legal Services
Intervenants
Traduction française officielle
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer
Motifs de jugement :
(par. 1 à 89)
Le juge Kasirer (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Côté, Brown, Rowe et Martin)
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
matthews c. ocean nutrition canada ltd.
David Matthews Appelant
c.
Ocean Nutrition Canada Limited Intimée
et
Canadian Association for Non‑Organized Employees,
Don Valley Community Legal Services,
Law Students’ Legal Advice Program,
Association canadienne des avocats d’employeurs et
Parkdale Community Legal Services Intervenants
Répertorié : Matthews c. Ocean Nutrition Canada Ltd.
2020 CSC 26
No du greffe : 38252.
2019 : 8 octobre; 2020 : 9 octobre.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer.
en appel de la cour d’appel de la nouvelle‑écosse
Droit de l’emploi — Congédiement déguisé — Obligation de donner un préavis raisonnable — Dommages‑intérêts — Employé au service de l’employeur pendant environ 14 ans — Régime d’intéressement à long terme créé par l’employeur prévoyant le versement d’une prime à l’employé en cas de vente de l’entreprise — Entreprise vendue peu de temps après le congédiement déguisé de l’employé — Est‑ce que les dommages‑intérêts accordés à l’égard du manquement à l’obligation de donner un préavis raisonnable doivent inclure la prime d’intéressement?
À partir de 1997, M, un chimiste expérimenté, a occupé plusieurs postes de direction chez Ocean Nutrition Canada Limited (« Ocean »). En tant que cadre supérieur, M participait au régime d’intéressement à long terme (« RILT ») d’Ocean, un arrangement contractuel visant à récompenser les employés pour leurs contributions antérieures au succès de l’entreprise et à les inciter à continuer de le faire. Conformément au RILT, un « événement déclencheur », par exemple la vente de l’entreprise, entraînerait le versement des paiements prévus aux employés admissibles aux termes du régime. En 2007, Ocean a embauché un nouveau directeur de l’exploitation, qui a entamé une campagne de marginalisation de M au sein de l’entreprise, en limitant ses responsabilités et en lui mentant au sujet de son statut et de son avenir au sein d’Ocean. Malgré les problèmes que connaissait M avec la haute direction, le RILT était une raison déterminante pour laquelle il voulait continuer de travailler pour Ocean, car il s’attendait à ce que l’entreprise soit bientôt vendue. Cependant, M a finalement quitté Ocean en juin 2011, acceptant un poste chez un nouvel employeur.
Environ 13 mois après le départ de M, Ocean a été vendue pour la somme de 540 millions de dollars. Cette vente constituait, pour les besoins du RILT, l’événement déclencheur. Comme M ne travaillait plus activement pour l’entreprise au moment de la vente, Ocean a soutenu que M ne satisfaisait pas aux conditions du régime, et il n’a pas reçu de prime. M a présenté contre Ocean une requête dans laquelle il alléguait qu’il avait été congédié de façon déguisée, et que ce congédiement avait été effectué de mauvaise foi et en contravention à l’obligation d’Ocean d’agir de bonne foi. Le juge de première instance a conclu qu’Ocean avait congédié M de manière déguisée et que ce dernier avait droit à un préavis raisonnable de 15 mois. Le juge de première instance a également conclu que M aurait été un employé à temps plein de l’entreprise lorsque l’événement déclencheur s’est produit s’il n’avait pas fait l’objet d’un congédiement déguisé, et que, comme les modalités du RILT n’avaient pas pour effet de limiter ou de supprimer clairement son droit à des dommages‑intérêts en vertu de la common law, M avait droit à des dommages‑intérêts d’un montant équivalant au paiement qu’il aurait reçu en vertu du RILT. La Cour d’appel a confirmé à l’unanimité la décision portant que M avait fait l’objet d’un congédiement déguisé et que le préavis raisonnable approprié était de 15 mois. Toutefois, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu que M n’avait pas droit à des dommages‑intérêts pour la perte du paiement prévu par le RILT.
Arrêt : Le pourvoi est accueilli, l’arrêt de la Cour d’appel est écarté et le jugement de première instance est rétabli.
Suivant la common law, un employeur a le droit de pousser un employé à quitter son emploi dans des circonstances qui équivalent à un congédiement, pourvu que cet employeur s’acquitte de son obligation de donner un préavis raisonnable. L’obligation de donner un préavis raisonnable ne dépend pas, en théorie, de la question de savoir s’il y a eu ou non bonne foi. Le manquement au contrat découlant de la décision de l’employeur est simplement le défaut de donner un préavis raisonnable, situation qui entraîne le paiement de dommages‑intérêts tenant lieu de préavis. Un manquement à l’obligation d’agir de bonne foi dans la façon de congédier l’employé constitue une violation contractuelle distincte et est indépendant de tout manquement à l’obligation de donner un préavis raisonnable. Il peut servir de fondement permettant d’exiger réparation à l’égard d’un préjudice prévisible résultant d’un traitement brutal ou implacable de la part de l’employeur dans la façon dont il a congédié l’employé. Les dommages‑intérêts découlant d’un même congédiement sont calculés différemment selon la violation reprochée. La nature du manquement à l’obligation contractuelle d’agir de bonne foi n’est pas du même ordre que dans le cas du défaut de donner un préavis raisonnable.
Les tribunaux devraient se poser deux questions lorsqu’ils sont appelés à décider si le montant des dommages‑intérêts qu’il convient d’accorder pour manquement à l’obligation tacite de donner un préavis raisonnable doit inclure les primes. Premièrement, les tribunaux devraient considérer les droits dont dispose l’employé en vertu de la common law et se demander si, n’eût été son congédiement, l’employé aurait eu droit à la prime ou à l’avantage dans le cadre de ses conditions de rémunération pendant la période de préavis raisonnable. Deuxièmement, dans l’affirmative, les tribunaux devraient déterminer si les modalités du contrat de travail ou du régime de primes ont pour effet de supprimer ou de limiter clairement ce droit que confère la common law. Cette démarche est conforme aux principes fondamentaux applicables aux dommages‑intérêts pour congédiement déguisé, l’analyse s’attachant à la question du préavis raisonnable. Lorsqu’un employé intente une action en dommages‑intérêts pour congédiement déguisé, il sollicite des dommages‑intérêts à titre de dédommagement pour le revenu, les prestations et les primes qu’il aurait touchés si l’employeur n’avait pas manqué à son obligation tacite de donner un préavis raisonnable. Cette démarche est compatible avec l’interprétation bien établie selon laquelle le contrat demeure effectivement en vigueur pour les besoins de l’évaluation du préjudice de l’employé en vue de calculer le montant de l’indemnité à laquelle ce dernier aurait eu droit n’eût été son congédiement. Les dommages‑intérêts versés pour congédiement injustifié visent à indemniser l’employé à l’égard de la violation par l’employeur de la condition implicite du contrat d’emploi selon laquelle ce dernier doit donner à l’employé un préavis raisonnable de cessation d’emploi. Le contrat ne comporte aucune condition implicite portant que l’employeur doit verser une indemnité tenant lieu de préavis. L’indemnité tenant lieu de préavis raisonnable ne constitue pas des dommages‑intérêts pour violation du contrat, mais plutôt une portion de l’indemnité prévue au contrat. Si un employeur ne donne pas un préavis adéquat ou une indemnité en tenant lieu, la violation réside dans le non‑paiement d’une indemnité et non dans le congédiement.
En l’espèce, afin de déterminer si les dommages‑intérêts accordés à M doivent inclure une somme l’indemnisant pour la perte du paiement prévu par le RILT, il faut mettre l’accent sur le montant des dommages‑intérêts qu’il convenait d’accorder à M parce qu’Ocean ne lui a pas donné un préavis raisonnable, et non sur la question de savoir si les modalités du RILT étaient claires et non ambiguës. Il ne s’agit pas de décider si M est admissible au RILT, mais plutôt de déterminer le montant des dommages‑intérêts auquel il a droit et, plus précisément, s’il a droit d’être indemnisé pour les primes qu’il aurait touchées si Ocean n’avait pas contrevenu au contrat de travail. Il n’est pas contesté que l’événement déclencheur s’est produit pendant la période de préavis et que, par conséquent, n’eût été son congédiement, M aurait reçu le paiement prévu par le RILT durant cette période. Dans ces circonstances, il est inutile de se demander si ce paiement faisait partie intégrante de sa rémunération. En ce qui concerne la première question, M a droit, à première vue, de recevoir des dommages‑intérêts à titre de dédommagement pour la prime qu’il a perdue. En ce qui a trait à la deuxième question, le RILT n’a pas pour effet de limiter ou de supprimer clairement le droit que confère la common law à M. Si un préavis adéquat avait été donné à M, ce dernier aurait été un employé à temps plein ou un employé actif de l’entreprise pendant la période de préavis raisonnable. Pour les besoins du calcul du montant des dommages‑intérêts à verser en cas de congédiement injustifié, le contrat de travail est considéré comme étant résilié uniquement après l’expiration de la période de préavis raisonnable. Par conséquent, le montant de la prime prévue par le RILT doit être inclus dans les dommages‑intérêts accordés à M, en vertu de la common law, pour le manquement à l’obligation tacite de lui donner un préavis raisonnable. Relativement à la question de bonne foi, qu’il suffise de dire qu’un manquement à l’obligation contractuelle d’agir de bonne foi repose sur des fondements entièrement distincts de ceux liés à l’omission de donner un préavis raisonnable.
Jurisprudence
Arrêts approuvés : Paquette c. TeraGo Networks Inc., 2016 ONCA 618, 352 O.A.C. 1; Lin c. Ontario Teachers’ Pension Plan Board, 2016 ONCA 619, 352 O.A.C. 10; Taggart c. Canada Life Assurance Co. (2006), 50 C.C.P.B. 163; distinction d’avec l’arrêt : Styles c. Alberta Investment Management Corp., 2017 ABCA 1, 44 Alta. L.R. (6th) 214; arrêts mentionnés : Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494; Wallace c. United Grain Growers Ltd., 1997 CanLII 332 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 701; Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, [2008] 2 R.C.S. 362; Machtinger c. HOJ Industries Ltd., 1992 CanLII 102 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 986; Potter c. Commission des services d’aide juridique du Nouveau‑Brunswick, 2015 CSC 10, [2015] 1 R.C.S. 500; Hadley c. Baxendale (1854), 9 Ex. 341, 156 E.R. 145; Fidler c. Sun Life du Canada, compagnie d’assurance‑vie, 2006 CSC 30, [2006] 2 R.C.S. 3; Farber c. Royal Trust Co., 1997 CanLII 387 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 846; Evans c. Teamsters Local Union No. 31, 2008 CSC 20, [2008] 1 R.C.S. 661; Iacobucci c. WIC Radio Ltd., 1999 BCCA 753, 72 B.C.L.R. (3d) 234; Gillies c. Goldman Sachs Canada Inc., 2001 BCCA 683, 95 B.C.L.R. (3d) 260; Nygard Int. Ltd. c. Robinson (1990), 1990 CanLII 1991 (BC CA), 46 B.C.L.R. (2d) 103; Singer c. Nordstrong Equipment Limited, 2018 ONCA 364, 47 C.C.E.L. (4th) 218; Brock c. Matthews Group Ltd. (1988), 20 C.C.E.L. 110, conf. par (1991), 34 C.C.E.L. 50; Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37, [2016] 2 R.C.S. 23; Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée, 1989 CanLII 129 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 426; Tercon Contractors Ltd. c. Colombie‑Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69; Schumacher c. Toronto‑Dominion Bank (1997), 1997 CanLII 12329 (ON SC), 147 D.L.R. (4th) 128; Bauer c. Banque de Montréal, 1980 CanLII 12 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 102; Veer c. Dover Corp. (Canada) Ltd. (1999), 1999 CanLII 3008 (ON CA), 120 O.A.C. 394; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27; Styles c. Alberta Investment Management Corp., 2015 ABQB 621, [2016] 4 W.W.R. 593; Sylvester c. Colombie‑Britannique, 1997 CanLII 353 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 315; Love c. Acuity Investment Management Inc., 2011 ONCA 130, 277 O.A.C. 15; Dunlop c. B.C. Hydro & Power Authority (1988), 1988 CanLII 3217 (BC CA), 32 B.C.L.R. (2d) 334; Poole c. Whirlpool Corp., 2011 ONCA 808, 97 C.C.E.L. (3d) 20; Doyle c. Zochem Inc., 2017 ONCA 130, 31 C.C.P.B. (2nd) 200; Gismondi c. Toronto (City) (2003), 2003 CanLII 52143 (ON CA), 64 O.R. (3d) 688; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), 1987 CanLII 88 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 313.
Lois et règlements cités
Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, c. C‑44, art. 241(1).
Doctrine et autres documents cités
Anderson, Gordon, Douglas Brodie and Joellen Riley. The Common Law Employment Relationship : A Comparative Study, Cheltenham (R.‑U.), Edward Elgar Publishing, 2017.
Banks, Kevin. « Progress and Paradox : The Remarkable yet Limited Advance of Employer Good Faith Duties in Canadian Common Law » (2011), 32 Comp. Lab. L. & Pol’y J. 547.
Buchanan, Dennis B. « Defining Wrongful Dismissal : The Alberta Schism » (2019), 57 Alta. L. Rev. 96.
England, Geoffrey. Individual Employment Law, 2nd ed., Toronto, Irwin Law, 2008.
Fudge, Judy. « The Limits of Good Faith in the Contract of Employment : From Addis to Vorvis to Wallace and Back Again? » (2007), 32 Queen’s L.J. 529.
Mummé, Claire. « Bhasin v. Hrynew : A New Era for Good Faith in Canadian Employment Law, or Just Tinkering at the Margins? » (2016), 32 Int’l J. Comp. Lab. L. & Ind. Rel. 117.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse (les juges Farrar, Bryson et Scanlan), 2018 NSCA 44, 2018 C.L.L.C. ¶210‑053, 48 C.C.E.L. (4th) 171, [2018] N.S.J. No. 200 (QL), 2018 CarswellNS 393 (WL Can.), qui a écarté en partie une décision du juge LeBlanc, 2017 NSSC 16, [2017] N.S.J. No. 32 (QL), 2017 CarswellNS 55 (WL Can.), avec motifs supplémentaires, 2017 NSSC 123, [2017] N.S.J. No. 161 (QL), 2017 CarswellNS 325 (WL Can.). Pourvoi accueilli.
Howard Levitt, Allyson Lee, Blair Mitchell et Saba Khan, pour l’appelant.
Nancy F. Barteaux, c.r., Mary B. Rolf et Kate E. Ross, pour l’intimée.
Stacey Reginald Ball, Nadine Côté et Sean O’Donnell, pour l’intervenante Canadian Association for Non‑Organized Employees.
Andrew Monkhouse et Alexandra Monkhouse, pour l’intervenant Don Valley Community Legal Services.
Martin Sheard et David McWhinnie, pour l’intervenant Law Students’ Legal Advice Program.
Tim Lawson, Brandon Kain et Adam Goldenberg, pour l’intervenante l’Association canadienne des avocats d’employeurs.
Christopher Rootham, Andrew Montague‑Reinholdt et John No, pour l’intervenant Parkdale Community Legal Services.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge Kasirer —
I. Aperçu
[1] Le présent pourvoi porte sur les voies de recours qui s’offrent à un employé qui, en raison des circonstances de son départ d’un emploi qu’il a occupé pendant de nombreuses années, est considéré par le droit comme ayant été congédié. Par extension, le pourvoi porte également sur les paramètres applicables au droit des employeurs de déterminer la composition de leurs effectifs en common law.
[2] Divers griefs sont souvent soulevés lorsqu’un employé intente une action pour congédiement injustifié. La présente affaire ne fait pas exception : dans sa demande initiale, l’employé alléguait qu’il avait été congédié [traduction] « sans préavis » et que ce congédiement constituait un manquement à l’« obligation d’agir de bonne foi » qui incombait à son employeur. Il sollicitait des dommages‑intérêts reflétant son droit à un délai de préavis raisonnable, y compris une prime d’intéressement devenue exigible pendant ce délai. Il demandait aussi des dommages‑intérêts en raison de la conduite malhonnête de son employeur, y compris des dommages‑intérêts punitifs et des dommages‑intérêts correspondant à la prime qu’il perdrait si celle‑ci était exclue par application d’une disposition contractuelle.
[3] Le fait que l’employé concerné a fait l’objet d’un congédiement déguisé et a droit à un préavis n’est plus en litige. Les parties continuent toutefois d’être en désaccord en ce qui concerne les réparations qui devraient lui être accordées en vertu de la common law. Plus précisément, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si les dommages‑intérêts tenant lieu de préavis raisonnable devraient inclure la prime litigieuse. Elles sont également en désaccord quant à l’existence de la conduite malhonnête reprochée à l’employeur et aux répercussions éventuelles de celle‑ci. L’employé attire l’attention de notre Cour sur l’obligation qu’ont les parties à un contrat d’agir avec honnêteté dans l’exécution de celui‑ci, obligation qui, comme notre Cour l’a rappelé, « constitu[e] un élément clef des exigences de bonne foi qui ont été reconnues en lien avec la résiliation des contrats de travail » (Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494, par. 73, se référant à Wallace c. United Grain Growers Ltd., 1997 CanLII 332 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 701, par. 98; Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, [2008] 2 R.C.S. 362, par. 58).
[4] Ce désaccord donne à la Cour l’occasion d’apporter des précisions sur l’obligation de donner un préavis raisonnable et d’énoncer clairement que la violation d’une obligation d’agir de bonne foi constitue une violation contractuelle distincte, l’un et l’autre de ces manquements soulevant des considérations différentes en ce qui a trait au droit dont dispose un employeur, en vertu de la common law, de congédier sans motif un employé dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée. Lors de la présentation de leurs arguments, l’employé et l’employeur en l’espèce ont réclamé des chagements importants au droit en la matière — respectivement l’élargissement de l’application de l’obligation d’agir de bonne foi et la restriction de la portée de l’obligation de donner un préavis raisonnable — changements qui, si les principes existants sont interprétés correctement, sont en définitive inutiles pour trancher le pourvoi.
[5] Bien que je considère que le droit applicable pour statuer sur les prétentions de l’employé est dans une large mesure déjà bien établi, la manière dont les griefs soulevés ont été enchevêtrés en l’espèce incite notre Cour à exposer clairement le caractère distinct de ces voies de recours en cas de violations de contrats de travail. Comme c’est le cas dans le présent pourvoi, les griefs sont parfois intimement liés, de telle sorte que les règles de droit applicables au congédiement injustifié ne sont pas interprétées correctement. En toute justice pour les parties au présent pourvoi, une telle confusion n’est pas rare, puisque des tribunaux — même notre Cour — les ont parfois amalgamés dans la détermination des réparations qu’il convenait d’accorder en cas de congédiement injustifié.
[6] Pour les motifs qui suivent, en ce qui concerne la simple question du manquement à l’obligation de donner un préavis raisonnable, je ne puis, avec égards, souscrire à la conclusion des juges majoritaires de la Cour d’appel selon laquelle les dommages‑intérêts accordés à l’employé ne doivent pas inclure la prime d’intéressement. Compte tenu de cette conclusion, au vu de la position de l’employé quant aux événements en cause, il ne nous est pas nécessaire de répondre exhaustivement aux prétentions relatives à la malhonnêteté qu’il a formulées. Le présent pourvoi peut être tranché suivant les principes bien établis du droit de l’emploi, malgré la conduite malhonnête évidente manifestée par l’employeur sur une période prolongée. Toutefois, outre les précisions qui s’imposent quant à la manière dont les tribunaux doivent analyser les demandes de réparations pécuniaires formulées à la suite d’un congédiement, le grief de l’employé reprochant à l’employeur de l’avoir traité incorrectement mérite quelques brefs commentaires. Dans son avis de requête, l’employé sollicitait une déclaration portant que son congédiement était injustifié parce que son employeur avait eu à son endroit une conduite [traduction] « abusive », « injuste » et « entachée de mauvaise foi » (d.a., p. 144‑145). Bien qu’il n’ait présenté aucun argument détaillé en appel à l’égard de sa demande initiale de dommages‑intérêts punitifs et, fait surprenant peut‑être, qu’il n’ait pas, lorsqu’il a intenté son action, sollicité précisément des dommages‑intérêts au titre des souffrances morales susceptibles de découler du défaut d’un employeur d’agir de bonne foi lorsqu’il congédie un employé, il continuer d’affirmer avec insistance que son employeur a manqué à son obligation d’agir de bonne foi lorsqu’il lui a menti durant la période précédant son congédiement déguisé.
[7] La persistance avec laquelle l’employé est revenu sur ce point en appel s’explique en partie par le fait qu’il ne poursuit pas son employeur uniquement pour être indemnisé financièrement, mais également pour des raisons non financières. Le juge de première instance a expressément fait remarquer que l’estime de soi de l’employé était particulièrement liée à son travail. Notre Cour a déclaré sans ambages que l’emploi constitue pour les gens une source d’épanouissement personnel — à savoir cette forme de dignité humaine qui découle du travail — et que ce phénomène se manifeste souvent avec encore plus d’acuité lorsqu’une personne perd injustment son emploi (voir, p. ex., Machtinger c. HOJ Industries Ltd., 1992 CanLII 102 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 986, p. 991). Récemment, dans l’arrêt Potter c. Commission des services d’aide juridique du Nouveau‑Brunswick, 2015 CSC 10, [2015] 1 R.C.S. 500, par. 84, mon collègue le juge Wagner, avant d’être nommé juge en chef, a indiqué que ces considérations sont enracinées dans « l’avantage non pécuniaire que tout salarié tire de l’exécution de son travail ».
[8] À mon sens, il convient de formuler quelques commentaires à l’égard de cet aspect de l’argumentation de l’employé. Reconnaître qu’un employeur a agi de façon malhonnête, indépendamment de l’existence de toute omission d’accorder un préavis raisonnable ou autre perte financière, peut permettre de restituer à un employé son sens de la dignité, qui a été injustement ébranlé lorsque celui‑ci a perdu un emploi qui lui était cher.
II. Contexte
[9] David Matthews, un chimiste expérimenté, est l’une des rares personnes dans le monde qui possèdent les compétences nécessaires pour gérer une installation de fabrication de produits oméga‑3 de grande envergure. À partir de 1997, M. Matthews a occupé plusieurs postes de direction chez Ocean Nutrition Canada Limited (« Ocean »). Son expertise s’est avérée extrêmement précieuse à Ocean, lui permettant de connaître du succès dans le domaine de la fabrication de produits oméga‑3. L’ancien président‑directeur général de l’entreprise, Monsieur Robert Orr, a déclaré que [traduction] « [t]ous ceux qui ont tiré des bénéfices de l’existence d’Ocean le doivent pour la plupart dans une certaine mesure à [M. Matthews] » (voir 2017 NSSC 16, par. 66 (CanLII)).
[10] Monsieur Matthews était très investi dans son travail. En effet, le juge de première instance a écrit : [traduction] « Je suis d’avis que le sens de l’identité et l’estime de soi de M. Matthews sont étroitement liés à son travail. Il accorde une grande importance à l’honnêteté et à l’intégrité, et il est prêt à travailler fort pourvu qu’on le traite de façon équitable et avec respect » (par. 292).
[11] La situation de M. Matthews s’est détériorée en 2007 lorsque Ocean a embauché un nouveau directeur de l’exploitation, Monsieur Daniel Emond. Il y a rapidement eu des frictions entre les deux hommes. Pour une raison quelconque, le directeur de l’exploitation n’aimait pas M. Matthews et ne le considérait pas comme un atout pour Ocean. Monsieur Emond, qui était chargé d’assigner à M. Matthews ses responsabilités, a rapidement entamé ce que le juge de première instance a qualifié de [traduction] « campagne » de marginalisation de M. Matthews au sein de l’entreprise (par. 296). Dans le cadre de cette campagne, M. Emond a non seulement pris des décisions limitant les responsabilités de M. Matthews, mais il a en outre « menti » à quelques reprises à ce dernier et à M. Orr au sujet du statut et de l’avenir de M. Matthews au sein de l’entreprise, il « a agi dans [le] dos [de M. Matthews] » et il « a fait la sourde oreille à la demande de M. Matthews qui souhaitait discuter avec lui » de son rôle dans l’entreprise (par. 296‑299). D’ailleurs, les abondantes conclusions de fait tirées par le juge de première instance font état d’actes répétés de malhonnêteté attribués à la haute direction envers M. Matthews (par. 291‑326). Je n’entends pas relater de nouveau tous ces actes par le menu, mais les exemples suivants illustrent comment M. Matthews a été traité au cours des dernières années de son emploi.
[12] La [traduction] « première étape d’une campagne visant à écarter M. Matthews des opérations et à réduire au minimum son influence » a débuté en 2007 lorsque M. Emond a réduit de façon substantielle le nombre de personnes relevant de ce dernier (par. 296). Le juge de première instance a fait remarquer que, au cours des quatre années qui ont suivi, les responsabilités de M. Matthews ont été réduites encore plus, ce dernier devenant progressivement de plus en plus ostracisé au sein de l’entreprise, et M. Emond a adopté une conduite qui était entachée de malhonnêteté (voir, par ex., les par. 297‑300). Le juge de première instance a explicitement conclu que M. Emond ne montrait [traduction] « aucun scrupule à laisser M. Matthews angoisser sur son avenir », et que M. Matthews a été plongé dans un « état prolongé d’angoisse et d’incertitude » (par. 317 et 341).
[13] À diverses occasions, lorsque M. Matthews l’a confronté au sujet des décisions qu’il prenait pour confier à d’autres certaines de ses tâches de supervision ou pour modifier ses responsabilités redditionnelles, M. Emond lui a effectivement menti à propos des efforts qu’il déployait pour réduire au minimum le rôle de celui‑ci (voir, p. ex., les par. 296, 298 et 301). À un certain moment, M. Emond a écrit à M. Matthews une lettre se voulant un effort de réconciliation, dans laquelle il reconnaissait que leur relation [traduction] « reposait sur la méfiance » et il s’engageait à être « plus ouvert et honnête » avec M. Matthews afin que ce dernier soit « respecté par [M. Emond] » et par d’autres dans l’entreprise (par. 114). Le juge de première instance a conclu qu’en « utilisant le mot “honnête” M. Emond disait exactement ce qu’il voulait dire, ce qui impliquait qu’il avait été malhonnête avec M. Matthews par le passé » (par. 301). Au moins un autre cadre a cru à ces déclarations malhonnêtes et a par la suite développé une « animosité considérable » envers M. Matthews (par. 286‑287). La haute direction a également cherché à exclure celui‑ci de divers projets auxquels il aurait généralement participé, et ce, même si son exclusion nuisait à Ocean.
[14] En 2010, lorsque M. Orr a quitté ses fonctions de président‑directeur général d’Ocean et a assumé la présidence du conseil d’administration, la situation de M. Matthews s’est aggravée. Monsieur Martin Jamieson est alors devenu président‑directeur général et, peu de temps après son entrée en fonction, la place de M. Matthews dans l’entreprise a été examinée. Le juge de première instance a conclu qu’il était devenu évident que [traduction] « le départ de M. Matthews d’[Ocean] était une conséquence possible de cet examen » (par. 283). À cette époque, M. Emond a dit au conseil d’administration qu’il n’y aurait bientôt plus de place pour M. Matthews au sein de l’entreprise. Lorsque M. Orr a informé M. Matthews de ces propos, la frustration de ce dernier s’est accentuée, car il soupçonnait déjà Ocean d’avoir entamé un processus de diligence raisonnable en vue d’une possible vente, un processus dans lequel il aurait normalement dû jouer un rôle mais duquel il s’est retrouvé exclu.
[15] La possible vente d’Ocean était un événement important, car M. Matthews aurait alors pu obtenir la prime à laquelle il avait droit au titre du régime d’intéressement à long terme (« RILT ») d’Ocean. Le RILT — un arrangement contractuel prévoyant une forme de paiement en cas de vente de l’entreprise, qui avait été proposé par Ocean et signé par M. Matthews en 2007 — avait été conçu à l’intention de certains cadres supérieurs et visait deux objectifs : récompenser les employés parties au régime pour leurs contributions antérieures au succès de l’entreprise et les inciter à continuer de le faire. Ocean a réussi à atteindre son objectif de maintenir en poste son employé, puisque M. Matthews est demeuré au service de l’entreprise plus longtemps qu’il ne l’aurait fait autrement. Comme l’a conclu le juge de première instance, le RILT était une [traduction] « raison déterminante » dans la décision de M. Matthews de continuer de travailler pour l’entreprise, particulièrement lorsque ses problèmes avec la haute direction ont commencé (par. 388).
[16] Monsieur Matthews a informé M. Emond qu’il souhaitait conserver son rôle, car il s’attendait à ce que l’entreprise soit bientôt vendue. M. Emond a faussement affirmé qu’il ne savait pas quelles étaient les intentions d’Ocean à son égard. Il a ensuite envoyé à M. Jamieson un courriel dont l’objet indiquait [traduction] « C’est reparti », et dans lequel il disait notamment ce qui suit :
De plus, [M. Matthews] m’a aussi demandé s’il fait partie de la restructuration ???????? Il a dit qu’il aimerait rester parce qu’il croit que l’entreprise sera vendue et qu’il veut toucher sa prime en cas de vente ?????? Quoi qu’il en soit j’ai réussi à m’en sortir je ne suis pas certain qu’il m’a cru mais il a eu une réponse. [Transcription de l’original.]
(voir les motifs du jugement de première instance, par. 194)
[17] Quelques mois plus tard, M. Matthews a demandé à M. Jamieson si Ocean prévoyait mettre fin à son emploi. Ce dernier lui a alors répondu que l’entreprise n’avait aucun plan de la sorte. Peu de temps après, M. Matthews a rencontré le vice‑président des ressources humaines pour discuter d’un possible règlement forfaitaire de cessation d’emploi. Monsieur Matthews a dit au représentant des ressources humaines qu’il renoncerait à son indemnité de départ pour protéger ses droits au titre du RILT. Cependant, au bout du compte, les négociations sur une [traduction] « stratégie de départ » n’ont jamais abouti, étant donné que M. Matthews a accepté un poste chez un nouvel employeur le 22 juin 2011 et a quitté officiellement Ocean le 24 juin 2011.
[18] Environ 13 mois après le départ de M. Matthews, Ocean a été vendue pour la somme de 540 millions de dollars. Cette vente constituait, pour les besoins du RILT, l’[traduction] « événement déclencheur », qui entraînait le versement des primes aux employés admissibles aux termes du régime. Toutefois, comme M. Matthews ne travaillait plus activement pour l’entreprise au moment de la vente, Ocean a soutenu qu’il ne satisfaisait pas aux conditions du régime. Monsieur Matthews n’a par conséquent pas reçu de prime. Fait notable, le juge de première instance a conclu que la conduite incorrecte de M. Emond envers M. Matthews n’était pas motivée par le désir de priver celui‑ci du droit de recevoir le paiement prévu par le RILT, et qu’il n’y avait pas non plus de preuve que l’entreprise avait comploté pour « se débarrasser de M. Matthews afin de le priver de ses droits au titre du RILT » (par. 325).
[19] Monsieur Matthews a présenté contre Ocean une requête dans laquelle il alléguait que son employeur l’avait congédié de façon déguisée et avait agi d’une manière [traduction] « abusive, injustement préjudiciable et injustement indifférente » à l’égard de ses intérêts, puis il affirmait, dans une allégation distincte, que son congédiement déguisé « avait été effectué de mauvaise foi au sens de la loi et en contravention à l’obligation de la société d’agir de bonne foi » (d.a., p. 145). Il sollicitait la déclaration mentionnée plus tôt, des dommages‑intérêts pour perte de revenus, de primes et d’avantages, des dommages‑intérêts généraux ainsi qu’une indemnité à titre de réparation pour cause d’abus en vertu du par. 241(1) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, c. C‑44. Compte tenu de la conduite d’Ocean, qui a manifesté [traduction] « une indifférence méprisante à l’égard [de ses] droits d’ordre contractuel » (d.a., p. 145), M. Matthews sollicitait également des dommages‑intérêts punitifs et les dépens taxés sur la base procureur‑client.
III. Décisions des juridictions inférieures
A. Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse (le juge LeBlanc)
[20] Le juge de première instance a conclu qu’Ocean avait congédié M. Matthews de manière déguisée et que ce dernier avait droit à un préavis raisonnable de 15 mois. Le juge de première instance s’est appuyé sur l’arrêt Potter de notre Cour, dans lequel le juge Wagner a expliqué que, généralement, la décision d’un employé de quitter son emploi peut être considérée comme un congédiement déguisé dans deux situations différentes. Premièrement, un employé peut être poussé à quitter son emploi parce que son employeur a violé de manière substantielle une condition expresse ou tacite de son contrat de travail. Deuxièmement, s’appuyant sur d’autres affaires où « le comportement de l’employeur vis‑à‑vis du salarié avait rendu la situation intolérable au travail » (par. 33), le juge Wagner a expliqué que le départ de l’employé équivaudra à un congédiement déguisé lorsque l’employeur a manifesté, par l’effet cumulatif de ses actes antérieurs, son intention de ne plus être lié par le contrat.
[21] Le juge de première instance était convaincu qu’il y avait lieu de conclure au congédiement déguisé suivant l’un ou l’autre des volets énoncés dans l’arrêt Potter. En ce qui concerne le premier volet, il a conclu qu’une condition tacite du contrat était que M. Matthews serait affecté à un poste [traduction] « dont les fonctions, la rémunération, les responsabilités et le statut seraient substantiellement similaires [. . .] » (par. 337, citant P. Barnacle, Employment Law in Canada (4e éd. (feuilles mobiles)), vol. 2, §13.42). En réduisant unilatéralement les responsabilités de M. Matthews de manière aussi substantielle, Ocean a violé le contrat de travail.
[22] Pour ce qui est du deuxième volet, le juge de première instance a statué que le cadre supérieur d’Ocean [traduction] « a agi de façon à écarter M. Matthews des opérations et à réduire au minimum son influence et sa participation au sein de l’entreprise », se référant à ses conclusions de fait concernant la conduite trompeuse de M. Emond quant à l’avenir de M. Matthews dans l’entreprise, ce qui avait eu pour effet que ce dernier était « deven[u] de plus en plus ostracis[é] » (par. 347). Vu ce comportement, une personne raisonnable dans la situation de M. Matthews aurait estimé qu’Ocean « agissait d’une manière démontrant [son] intention de ne plus être liée par le contrat » (par. 353).
[23] S’appuyant sur les arrêts Paquette c. TeraGo Networks Inc., 2016 ONCA 618, 352 O.A.C. 1, et Lin c. Ontario Teachers’ Pension Plan Board, 2016 ONCA 619, 352 O.A.C. 10, le juge de première instance a déclaré que M. Matthews aurait été un employé à temps plein de l’entreprise lorsque l’événement déclencheur s’est produit s’il n’avait pas été l’objet d’un congédiement déguisé. Comme les modalités du RILT n’avaient pas pour effet de limiter ou de supprimer clairement son droit à des dommages‑intérêts en vertu de la common law, M. Matthews avait droit à des dommages‑intérêts d’un montant équivalant au paiement qu’il aurait reçu en vertu du RILT.
[24] Compte tenu de sa conclusion au sujet du RILT, le juge de première instance a écrit qu’il était inutile de décider si M. Matthews avait droit à une somme équivalente à titre de réparation pour cause d’abus (par. 418). Le juge a également rejeté la demande de dommages‑intérêts punitifs de M. Matthews, car il n’était pas convaincu que la conduite d’Ocean était directement motivée par le désir de priver M. Matthews de ses droits au titre du RILT (par. 422).
[25] Sur la base de ses conclusions, le juge de première instance a accordé à M. Matthews des dommages‑intérêts pour sa perte de revenus, une somme de 1 086 893,36 $ pour la perte du paiement prévu par le RILT qu’il aurait reçu pendant la période de préavis et la perte d’autres avantages, moins une somme de 78 000 $ au titre de l’atténuation des dommages, qui correspondait à la rémunération que lui avait versée son nouvel employeur.
[26] Le juge de première instance a écrit des motifs supplémentaires relatifs au montant des dommages‑intérêts qu’il convenait d’accorder pour la période de préavis raisonnable (2017 NSSC 123). La décision sur les dépens a été reportée jusqu’à la tenue d’une audience sur la question. Ce volet de l’affaire a été suspendu pendant la durée des procédures d’appel.
B. Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse (les juges Farrar et Bryson, motifs dissidents du juge Scanlan)
[27] Les juges de la Cour d’appel étaient tous d’accord pour dire que l’action initiale de M. Matthews en congédiement injustifié et en réparation pour cause d’abus s’était [traduction] « transformée » en une action pour congédiement déguisé (2018 NSCA 44, 48 C.C.E.L. (4th) 171, par. 1 et 151). En acceptant les conclusions de fait du juge de première instance, la Cour d’appel a confirmé à l’unanimité la décision de celui‑ci portant que M. Matthews avait fait l’objet d’un congédiement déguisé et que le préavis raisonnable approprié était de 15 mois. Les juges de la Cour d’appel ont toutefois différé d’opinions sur la question des dommages‑intérêts et sur la pertinence de l’obligation d’agir de bonne foi.
(1) Motifs de la majorité (le juge Farrar, avec l’accord du juge Bryson)
[28] Les juges majoritaires n’ont pas souscrit à l’opinion du juge de première instance suivant laquelle M. Matthews avait droit à des dommages‑intérêts pour la perte du paiement prévu par le RILT. À leur avis, le premier juge avait confondu le droit d’un employé à un préavis raisonnable et la capacité d’un employé de toucher une prime en vertu d’un régime d’intéressement. La véritable question, selon les juges majoritaires, consistait plutôt à se demander [traduction] « si l’employé [était] admissible selon les modalités de l’entente » (par. 63).
[29] De l’avis des juges majoritaires, la clause 2.03 du RILT n’était pas ambiguë et permettait de conclure que M. Matthews a cessé d’avoir droit à la prime prévue par le régime dès qu’il a quitté Ocean. Ils ont en outre statué que la clause 2.05 indiquait clairement que le RILT ne pouvait pas être utilisé pour le calcul d’une indemnité de départ, ce qu’avait fait à tort le juge de première instance selon eux. Tout comme dans l’affaire Styles c. Alberta Investment Management Corporation, 2017 ABCA 1, 44 Alta L.R. (6th) 214, le libellé clair et non ambigu du RILT privait donc M. Matthews de la possibilité de toucher une prime au titre de ce régime.
[30] Les juges majoritaires ont poursuivi en commentant les motifs de leur collègue dissident. Premièrement, ils ont fait remarquer que [traduction] « [l]’issue aurait été différente si le juge qui présidait l’audience avait conclu qu’[Ocean] avait orchestré la fin d’emploi de M. Matthews de manière à se soustraire à toute responsabilité qu’elle pourrait avoir aux termes du [RILT] », mais ce constat n’a pas été retenu par le juge de première instance (par. 89‑90 et 114‑116). De l’avis de la majorité, le juge dissident a fait abstraction de cette conclusion de fait cruciale. Deuxièmement, les juges majoritaires ont souligné qu’il était loisible au juge de première instance d’accorder « des dommages‑intérêts additionnels en raison de la manière dont [M. Matthews] avait été traité », mais « comme il avait conclu à l’absence de mauvaise foi de la part d’Ocean Nutrition, il ne pouvait pas le faire et il ne l’a pas fait » (par. 122 (je souligne)). Même si les juges majoritaires ont partiellement statué en faveur d’Ocean et infirmé une partie du jugement rendu en première instance, ils n’ont pas adjugé de dépens en appel.
(2) Motifs dissidents (le juge d’appel Scanlan)
[31] S’attachant principalement aux allégations selon lesquelles M. Matthews avait été traité de façon incorrecte, le juge dissident a considéré que les parties ne pouvaient avoir eu [traduction] « l’intention de convenir qu’un directeur sans scrupules comme M. Emond puisse orchestrer le congédiement d’un employé estimé de longue date en usant de mensonges, de tromperies et de manipulations afin que cet employé n’ait pas le droit de toucher sa part d’une appréciation de valeur à laquelle il avait contribué de manière déterminante » (par. 148). Se fondant sur l’arrêt Bhasin, le juge dissident a déclaré qu’« [i]l existait un accord tacite portant que les modalités du RILT et du contrat de travail seraient exécutées avec honnêteté et intégrité » (par. 148). Il a expliqué ainsi son opinion selon laquelle les actes de M. Emond correspondaient au type d’actes malhonnêtes envisagés dans l’arrêt Bhasin :
[traduction]
Aucune partie ne devrait pouvoir user de mensonges, de tromperies et de manipulations pour refuser à l’autre les avantages découlant d’une relation contractuelle, et ce, même si ce n’était pas là l’objectif premier de la partie qui a agi malhonnêtement. Le juge qui présidait l’audience n’a pas conclu qu’Ocean avait agi intentionnellement afin de priver M. Matthews des avantages prévus par le RILT, mais mon collègue affirme qu’une des conséquences des actes de M. Emond, qui se sont traduits par le départ de M. Matthews, a été la perte de ces avantages. [par. 168]
Le juge dissident a conclu qu’Ocean devrait donc être tenue responsable de tout préjudice subi par M. Matthews en raison de cette malhonnêteté.
[32] Le juge Scanlan a ensuite exposé une autre voie permettant d’obtenir réparation, elle aussi fondée sur l’arrêt Bhasin. À son avis, le contrat de travail comprenait une condition tacite d’exécution honnête faisant partie de l’interdiction visant les congédiements illégaux sans préavis. Étant donné qu’Ocean tirerait un avantage pécuniaire de la tromperie de M. Emond, et, par extension, du congédiement de M. Matthews, le juge dissident aurait utilisé le RILT pour calculer le montant des dommages‑intérêts pour le congédiement déguisé. Cette approche était appropriée, puisqu’Ocean savait que le congédiement de M. Matthews compromettrait les droits de ce dernier au titre du RILT, et qu’il était possible que la vente d’Ocean survienne sous peu. Par conséquent, la perte de l’occasion de toucher l’avantage prévu par le RILT était prévisible. Compte tenu de ces conclusions, le juge Scanlan aurait [traduction] « adjugé à M. Matthews des dépens en appel représentant 30 % du montant des dépens appropriés en première instance » (par. 211).
IV. Analyse
A. Arguments en appel
[33] En appel, les parties ont continué d’exprimer leur désaccord quant au montant qui devrait être versé à M. Matthews au titre des dommages‑intérêts, et, plus précisément, quant à la question de savoir si ce dernier avait droit d’être indemnisé pour la perte du paiement prévu par le RILT. Cette situation témoigne à son tour du désaccord qui existe entre les parties quant au fondement de l’octroi de dommages‑intérêts — à savoir à titre de réparation pour l’absence de préavis raisonnable, pour le défaut d’agir de bonne foi, ou pour ces deux raisons. Avec égards, les arguments des parties en appel sont déroutants lorsque considérés côte à côte — non seulement ces arguments ne traitent‑ils pas des mêmes questions, mais, par moment, les parties elles‑mêmes semblent ne pas s’adresser l’une à l’autre.
[34] À l’audience, M. Matthews a limité ses arguments presque exclusivement aux conséquences de la malhonnêteté dont aurait fait preuve son employeur. Il a plaidé que les juges majoritaires de la Cour d’appel n’avaient pas tenu compte du fait que, par ses actes malhonnêtes, Ocean avait manqué à l’obligation formulée dans l’arrêt Bhasin [traduction] « de veiller à ce que le contrat soit exécuté en conformité avec le principe directeur de bonne foi et l’obligation d’agir honnêtement dans l’exécution des obligations contractuelles » (m.a., par. 47). S’appuyant sur l’arrêt Hadley c. Baxendale (1854), 9 Ex. 341, 156 E.R. 145, M. Matthews a affirmé qu’il avait droit à un montant correspondant au paiement prévu par le RILT à titre de réparation pour ce manquement. En outre, il a exhorté notre Cour à reconnaître que la bonne foi anime l’ensemble de l’exécution du contrat de travail. Cet argument est pertinent compte tenu de la situation que M. Matthews a décrite comme étant une [traduction] « campagne de quatre ans au cours de laquelle on lui a menti sur l’état de son emploi » (transcription, p. 9).
[35] À titre subsidiaire, M. Matthews a invoqué deux fondements additionnels au soutien de sa demande. Premièrement, il a affirmé que les juges majoritaires de la Cour d’appel se sont donné des directives erronées en omettant de considérer l’octroi de dommages‑intérêts à l’égard du manquement d’Ocean de s’acquitter de son obligation de lui donner un préavis raisonnable. De plus, compte tenu du prétendu manquement à l’obligation d’exécution honnête, M. Matthews a fait valoir qu’Ocean n’aurait pas dû pouvoir invoquer les clauses d’exclusion. De toute façon, M. Matthews a déclaré que les juges majoritaires avaient mal interprété le RILT et qu’ils auraient dû s’en remettre à celle qu’en avait faite le juge de première instance. Deuxièmement, M. Matthews a invoqué la doctrine de la préclusion promissoire pour étayer son argument selon lequel Ocean ne pouvait pas appliquer la clause d’exclusion.
[36] En revanche, Ocean s’est attachée à défendre l’exclusion de M. Matthews du RILT comme étant une question d’interprétation contractuelle. Elle a fait valoir que la prime ne faisait pas partie intégrante de la rémunération de M. Matthews. De plus, à l’instar des juges majoritaires de la Cour d’appel, elle a exprimé l’avis que le juge de première instance a mal interprété le RILT et que, vu le libellé clair et non équivoque de ce document, la prime aurait dû être exclue de toute sommes accordée au titre des dommages‑intérêts.
[37] Ocean a peu dit sur la question de la bonne foi, si ce n’est qu’elle a reconnu que l’employeur s’était à certains moments [traduction] « mal conduit » et qu’elle a affirmé que ni le juge de première instance ni les juges majoritaires de la Cour d’appel n’avaient conclu à la mauvaise foi (transcription, p. 66). Après avoir proposé, au soutien de cette affirmation, une nouvelle qualification de certains faits liés aux interactions entre les représentants d’Ocean et M. Matthews, Ocean a demandé à notre Cour de statuer que les juges majoritaires de la Cour d’appel avaient eu raison de conclure à l’absence de mauvaise foi. Quoi qu’il en soit, Ocean a soutenu que la common law n’impose à l’employeur aucune obligation d’agir de bonne foi dans l’exécution du contrat qui pourrait servir de fondement justifiant le paiement de la prime en question.
[38] Je m’efforce, dans les présents motifs, d’expliquer, avec égards pour l’opinon contraire, mon point de vue selon lequel les juges majoritaires de la Cour d’appel ont fait erreur en n’incluant pas le montant de la prime prévue par le RILT dans les dommages‑intérêts qui ont été accordés à M. Matthews, en vertu de la common law, pour le manquement à l’obligation tacite de lui donner un préavis raisonnable. Dans l’examen de l’ensemble des griefs invoqués par M. Matthews, il convient de rappeler que ce dernier n’a pas sollicité de dommages‑intérêts pour souffrances morales[1], et que bien qu’il ait demandé des dommages‑intérêts punitifs initialement, il n’a pas continué de réclamer ce chef de dommages‑intérêts devant notre Cour. Par conséquent, il n’est pas nécessaire dans les circonstances, et il serait peut‑être même peu judicieux vu la méthode suivie dans l’arrêt Bhasin, de statuer sur les allégations de malhonnêteté avancées par M. Matthews, étant donné que je propose de lui accorder la seule réparation sollicitée en appel — soit une somme équivalente au paiement auquel il a droit en vertu du RILT — sur la base du droit à un préavis raisonnable. Cela dit, quelques observations s’imposent à l’égard des allégations relatives à la conduite malhonnête qu’aurait eue Ocean pendant une période prolongée, mais néanmoins liée aux circonstances du congédiement. J’arrive à cette conclusion pour deux raisons.
[39] La première se rapporte à la méthode qu’il convient d’utiliser pour analyser les actions pour congédiement injustifié, comme celle de M. Matthews, lorsque l’employé prétend qu’on ne lui a pas donné un préavis raisonnable et qu’il y a eu mauvaise foi. Tant que la preuve du préjudice est apportée comme il se doit et que l’existence d’un lien de causalité est établie, un manquement à l’obligation d’agir de bonne foi pourrait certainement donner ouverture à des dommages‑intérêts distincts selon les principes établis dans l’arrêt Hadley, qui ont été approuvés dans ce contexte dans l’arrêt Keays (par. 55‑56), notamment des dommages‑intérêts pour souffrances morales. Des dommages‑intérêts punitifs pourraient également être accordés dans certaines circonstances. À cette fin, il est certes important que les parties s’assurent que leurs actes de procédure sont formulés adéquatement et que les tribunaux appliquent une approche cohérente sur le plan méthodologique lorsqu’ils instruisent des poursuites pour congédiement déguisé, car tout cela peut influer sur le montant des dommages‑intérêts qui est accordé en définitive à l’employé demandeur.
[40] De plus, il ressort de l’argumentation des parties en l’espèce qu’une part d’incertitude plane en ce qui a trait à l’incidence de l’arrêt Bhasin, non seulement sur le pourvoi de M. Matthews, mais aussi sur le droit de l’emploi en général. Je crois que la présente affaire constitue à tout le moins une occasion de réaffirmer deux principes importants énoncés dans l’arrêt Potter. Premièrement, vu les divers arguments avancés par les parties, je tiens à rappeler que l’obligation d’exécution honnête — qui, comme l’a expliqué le juge Cromwell dans l’arrêt Bhasin, s’applique à tous les contrats et signifie simplement que les parties « ne doivent pas se mentir » les unes aux autres « ni s’induire intentionnellement en erreur au sujet des questions directement liées à l’exécution du contrat » — est applicable aux contrats de travail (Bhasin, par. 33, voir aussi le par. 73; Potter, par. 99). Deuxièmement, je prends bonne note de la période de quatre ans au cours de laquelle il y aurait eu comportement malhonnête à l’endroit de M. Matthews avant son congédiement. En conséquence, je tiens également à réitérer que, dans les cas où un employé prétend qu’il y a eu manquement à l’obligation d’agir de bonne foi dans la façon de procéder au congédiement — formule introduite par notre Cour dans l’arrêt Wallace, puis réaffirmée dans l’arrêt Keays —, il s’ensuit que les tribunaux sont autorisés à examiner une conduite qui s’est échelonnée sur une certaine période et qui ne se limite pas au moment précis où il a été mis fin à l’emploi. À mon avis, tous ces aspects constituent des règles de droit bien établies.
[41] La deuxième raison se rapporte aux types qualitativement différents de manquements contractuels qui ont été invoqués par M. Matthews dès le départ. Dans une certaine mesure, cette différence a été considérée dans l’arrêt Keays où il a été jugé que le manquement en question ne devrait pas, comme c’était parfois le cas, servir simplement à allonger la durée de la période de préavis raisonnable[2]. Dire qu’un employé a été traité malhonnêtement est très différent de dire qu’il a été congédié sans préavis. Cette constatation est directement pertinente dans le cas de la demande adressée par M. Matthews aux tribunaux afin d’obtenir une déclaration portant qu’il a été traité de façon incorrecte par Ocean.
B. Méthode d’analyse appropriée
[42] Interprétée adéquatement, l’action débattue en l’espèce repose en effet sur des allégations reprochant deux manquements distincts au contrat de travail de M. Matthews.
[43] Ni l’une ni l’autre des parties ne contestent le fait, que suivant la common law, un employeur a le droit de résilier un contrat de travail sans motif — ou, comme c’est le cas en l’espèce, de pousser un employé à quitter son emploi dans des circonstances qui équivalent à un congédiement — pourvu que cet employeur s’acquitte de son obligation de donner un préavis raisonnable, droit qui, comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt Farber c. Cie Trust Royal, 1997 CanLII 387 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 846, par. 23, est réciproque en matière de contrat de travail. En cas de manquement à l’obligation de donner un préavis raisonnable, la question qui se pose n’est pas, en théorie, de savoir s’il y a eu ou non bonne foi; il s’agit, pour ainsi dire, d’un congédiement injustifié effectué de « bonne foi » (voir Machtinger, p. 990). Le manquement au contrat découlant de la décision de l’employeur à cet égard est simplement le défaut de donner un préavis raisonnable, situation qui entraîne le paiement de dommages‑intérêts tenant lieu de préavis (Wallace, par. 115, la juge McLachlin (plus tard juge en chef), dissidente, mais non sur ce point). Il existe, dans la jurisprudence, un certain désaccord sur la façon de calculer le montant des dommages‑intérêts qui devraient être accordés en cas de manquement, désaccord que j’aborderai plus loin; cependant, ce manquement ne dépend pas de la réponse à la question de savoir si l’employeur a agi avec honnêteté ou de bonne foi.
[44] Parallèlement à son argument fondé sur la question du préavis raisonnable, M. Matthews prétend que la façon dont on a mis fin à son emploi contrevenait également au contrat de travail en ce qu’on n’a pas respecté la norme de bonne foi attendue. En vertu des règles qui ont été reconnues par notre Cour dans les arrêts Bhasin et Potter, un employé mécontent peut alléguer que son employeur a agi de façon malhonnête dans l’exécution du contrat — c.‑à‑d., qu’il y a eu manquement à l’obligation d’exécution honnête, ce que le juge Cromwell dans Bhasin a qualifié de doctrine du droit des contrats — indépendamment de tout manquement à l’obligation de donner un préavis raisonnable. Notre Cour a également reconnu, dans les arrêts Wallace et Keays, qu’un employé mécontent peut alléguer qu’il a été traité de façon incorrecte dans la façon dont on l’a congédié — c.‑à‑d., que l’employeur s’est comporté « de façon inéquitable ou [a fait] preuve de mauvaise foi en étant, par exemple, menteur [. . .], trompeur [. . .] ou trop implacable [. . .] » (Wallace, par. 98; Keays, par. 57). Un manquement à l’obligation d’agir de bonne foi dans la façon de congédier l’employé est également indépendant de tout manquement à l’obligation de donner un préavis raisonnable. Il peut servir de moyen permettant d’exiger réparation à l’égard d’un préjudice prévisible résultant d’un traitement brutal ou implacable de la part de l’employeur dans la façon dont il a congédié l’employé, point sur lequel je reviendrai à la fin des présents motifs (Wallace, par. 88).
[45] Fait important, les dommages‑intérêts découlant d’un même congédiement sont calculés différemment selon la violation reprochée. Je le répète, ce fait n’est que le reflet de la jurisprudence déjà établie. Dans l’arrêt Keays, au par. 56, par exemple, le juge Bastarache a utilement expliqué que, « [s]uivant son libellé, le contrat d’emploi est susceptible de résiliation moyennant préavis ou paiement d’une indemnité en tenant lieu, indépendamment du préjudice psychologique normal causé par une telle mesure ». Par comparaison, il a précisé que si l’employeur n’agit pas de bonne foi lorsqu’il congédie un employé, « il y aura préjudice prévisible susceptible d’indemnisation » suivant le principe établi dans l’arrêt Hadley (par. 58). Contrairement à ce que l’on croyait avant cette affaire, il n’y a pas lieu d’allonger le préavis pour déterminer le juste montant de l’indemnité (par. 59). Il en est ainsi parce que la nature du manquement au contrat n’est pas du même ordre que dans le cas du défaut de donner un préavis raisonnable. En effet, cette distinction fondamentale permet d’expliquer pourquoi les principes relatifs à l’atténuation des dommages s’appliquent différemment aux dommages‑intérêts pour souffrances morales imputables à un manquement à l’obligation d’agir de bonne foi dans la façon de procéder au congédiement (Evans c. Teamsters Local Union No. 31, 2008 CSC 20, [2008] 1 R.C.S. 661, par. 32).
[46] Gardant ces considérations à l’esprit, j’examinerai maintenant l’obligation de donner un préavis raisonnable, obligation qui, comme il ressortira clairement, permet de trancher le présent pourvoi.
(1) Obligation de donner un préavis raisonnable
[47] En l’espèce, le seul désaccord quant au préavis raisonnable porte sur la question de savoir si les dommages‑intérêts accordés à M. Matthews doivent inclure uen somme l’indemnisant pour la perte du paiement prévu par le RILT.
[48] Je suis respectueusement d’avis que les juges majoritaires de la Cour d’appel ont commis une erreur en s’attachant à la question de savoir si les modalités du RILT étaient [traduction] « claires et non ambiguës » au lieu de s’interroger sur le montant des dommages‑intérêts qu’il convenait d’accorder à M. Matthews parce qu’Ocean ne lui a pas donné un préavis raisonnable. Il ne s’agit pas de décider si M. Matthews est admissible au RILT, mais plutôt de déterminer le montant des dommages‑intérêts auquel il a droit et s’il a droit d’être indemnisé pour les primes qu’il aurait touchées si Ocean n’avait pas contrevenu au contrat de travail. En se concentrant sur la première question, la Cour d’appel a appliqué un mauvais principe, ce qui a à mon avis entraîné une erreur déterminante.
(a) Réparation pour manquement à l’obligation tacite de donner un préavis raisonnable de cessation d’emploi
[49] Dans la mesure où M. Matthews a fait l’objet d’un congédiement déguisé sans préavis, il avait droit à des dommages‑intérêts correspondant au salaire, y compris les primes, qu’il aurait touché durant la période de préavis de 15 mois (Wallace, par. 65‑67). Il en est ainsi parce que la réparation en cas de manquement à l’obligation tacite de donner un préavis raisonnable consiste à accorder des dommages‑intérêts fondés sur la période du préavis qui aurait dû être donné, dommages‑intérêts correspondant « au montant que l’employé aurait gagné pendant cette période » (par. 115). La question de savoir si les sommes à verser au titre d’un régime d’intéressement, tel le RILT en l’espèce, doivent être incluses dans les dommages‑intérêts est une question courante et récurrente dans le domaine du droit applicable au congédiement injustifié. Pour répondre à cette question, le juge de première instance s’est appuyé sur les arrêts Paquette et Lin de la Cour d’appel de l’Ontario. J’estime qu’il a choisi la bonne approche.
[50] Dans l’arrêt Paquette, l’employé participait au régime de primes établi par son employeur, lequel stipulait que les employés devaient être des [traduction] « employés actifs » à la date du versement des primes. Cette formulation est sensiblement comparable à celle utilisée dans le RILT qui, à la clause 2.03, requiert que l’intéressé soit un [traduction] « employé à temps plein » de l’entreprise. Dans l’arrêt Paquette, n’eût été son congédiement, l’employé aurait touché la prime à laquelle il avait droit pendant la période de préavis raisonnable. Cependant, dans cette affaire, le juge des motions a conclu que l’employé n’avait pas droit à la prime en question, parce que même s’il était [traduction] « théoriquement » un employé de l’entreprise pendant la période de préavis raisonnable, il n’était pas un employé « actif » et n’était donc pas admissible suivant les modalités du régime.
[51] L’appel de l’employé a été accueilli. La Cour d’appel de l’Ontario s’est appuyée principalement sur sa décision antérieure dans l’affaire Taggart c. Canada Life Assurance Co. (2006), 50 C.C.P.B. 163, qui portait sur une question similaire concernant les prestations de retraite. Dans cet arrêt, le juge d’appel Sharpe a, à juste titre, mis en garde les tribunaux de ne pas faire abstraction de la nature juridique des réclamations des employés. Comme il l’a indiqué, [traduction] « [l]a réclamation ne porte pas sur les prestations de retraite elles‑mêmes. Elle vise plutôt l’obtention de dommages‑intérêts contractuels en common law à titre de dédommagement pour les prestations de retraite auxquels [l’employé] aurait eu droit si [l’employeur] n’avait pas contrevenu au contrat de travail » (par. 16). Par conséquent, « un employé congédié a le droit de réclamer des dommages‑intérêts pour la perte de prestations de retraite auxquelles il aurait eu droit s’il avait travaillé jusqu’à la fin de la période de préavis » (par. 13). En ce qui concerne le rôle des modalités contractuelles d’un régime de primes, le juge d’appel Sharpe a expliqué que « [l]a question à cette étape consiste à décider s’il y a quelque chose dans le texte des modalités du régime de retraite existant entre les parties qui a pour effet de supprimer ou de limiter ce droit que confère la common law » (par. 20).
[52] Dans l’arrêt Paquette, la Cour d’appel s’est inspirée de l’approche adoptée dans l’arrêt Taggart et a proposé que les tribunaux appliquent une démarche en deux étapes à l’égard de ces questions. Premièrement, les tribunaux devraient [traduction] « considérer les droits dont dispose [l’employé] en vertu de la common law » (par. 30). En d’autres mots, les tribunaux devraient se demander si, n’eût été son congédiement, l’employé aurait eu le droit de toucher la prime en litige pendant la période de préavis raisonnable. Deuxièmement, les tribunaux devraient « déterminer s’il y a quelque chose dans les modalités du régime de primes qui prive expressément [l’employé] des droits que lui confère la common law » (par. 31). Comme l’a expliqué la juge d’appel van Rensburg, « [l]a question n’est pas de savoir si le contrat ou le régime est ambigu, mais plutôt de savoir s’il y a quelque chose dans le texte des modalités du régime qui modifie ou supprime clairement les droits reconnus à [l’employé] par la common law » ( par. 31).
[53] Tout comme la juge van Rensburg, je suis d’avis qu’il s’agit de la démarche appropriée. Elle est conforme aux principes fondamentaux applicables aux dommages‑intérêts pour congédiement déguisé, l’analyse s’attachant à la question du préavis raisonnable. Comme la cour l’a reconnu dans l’arrêt Taggart, et réitéré dans l’arrêt Paquette, lorsque des employés intentent une action en dommages‑intérêts pour congédiement déguisé, ils sollicitent des dommages‑intérêts à titre de dédommagement pour le revenu, les prestations et les primes qu’ils auraient touchés si l’employeur n’avait pas manqué à son obligation tacite de donner un préavis raisonnable (voir aussi Iacobucci c. WIC Radio Ltd., 1999 BCCA 753, 72 B.C.L.R. (3d) 234, par. 19 et 24; Gillies c. Goldman Sachs Canada Inc., 2001 BCCA 683, 95 B.C.L.R. (3d) 260, par. 10‑12 et 25; Keays, par. 54‑55). Procéder directement à l’examen des modalités contractuelles a pour effet de dissocier la question des dommages‑intérêts du manquement sous‑jacent, ce qui constitue une erreur de principe.
[54] En outre, la démarche suivie dans l’arrêt Paquette est compatible avec l’interprétation bien établie selon laquelle le contrat [traduction] « demeure [effectivement] en vigueur » pour les besoins de l’évaluation du préjudice de l’employé en vue de calculer le montant de l’indemnité à laquelle ce dernier aurait eu droit n’eût été son congédiement (voir, p. ex., Nygard Int. Ltd. c. Robinson (1990), 1990 CanLII 1991 (BC CA), 46 B.C.L.R. (2d) 103 (C.A.), p. 106-107, motifs concordants de la juge d’appel Southin; Gillies, par. 17).
[55] Les tribunaux devraient en conséquence se poser deux questions lorsqu’ils sont appelés à décider si le montant des dommages‑intérêts qu’il convient d’accorder pour manquement à l’obligation tacite de donner un préavis raisonnable doit inclure les primes et certains autres avantages. L’employé aurait‑il eu droit à la prime ou à l’avantage dans le cadre de ses conditions de rémunération pendant la période de préavis raisonnable? Dans l’affirmative, les modalités du contrat de travail ou du régime de primes ont‑elles pour effet de supprimer ou de limiter clairement ce droit que confère la common law?
(b) Application au cas de M. Matthews
[56] La première question consiste à se demander si M. Matthews aurait eu droit au paiement prévu par le RILT dans le cadre de ses conditions de rémunération pendant la période de préavis raisonnable. Comme l’événement déclencheur s’est produit pendant la période de préavis raisonnable de 15 mois, M. Matthews soutient qu’il a droit, à première vue, au titre des dommages‑intérêts fondés sur la common law, à des dommages‑intérêts pour la perte du paiement prévu par le RILT.
[57] Ocean affirme que M. Matthews n’est pas en mesure de satisfaire à la première étape de l’analyse. Elle invoque l’arrêt Singer c. Nordstrong Equipment Limited, 2018 ONCA 364, 47 C.C.E.L. (4th) 218, dans lequel la Cour d’appel de l’Ontario, à l’étape de la première question, s’est demandée si la prime [traduction] « faisait partie intégrante des conditions de rémunération [de l’intéressé] » (par. 21). S’appuyant sur cette formulation, Ocean prétend que, selon la première étape, la common law confère à M. Matthews le droit de recevoir des dommages‑intérêts pour le salaire et les avantages qui font partie intégrante de sa rémunération. Elle soutient que le paiement prévu par le RILT ne faisait pas partie intégrante de la rémunération de M. Matthews, car ce dernier n’avait pas un droit acquis sur ce paiement lorsque son emploi a pris fin.
[58] Le juge de première instance s’est arrêté à cet argument et a conclu qu’Ocean cherchait à introduire dans l’analyse une exigence supplémentaire qui n’est pas étayée par la jurisprudence (par. 387). Je suis d’accord. Le critère qui consiste à déterminer si un avantage ou une prime fait « partie intégrante » de la rémunération d’un employé aide à répondre à la question de savoir ce qui aurait été payé à cet employé pendant la période de préavis raisonnable (voir, p. ex., Brock c. Matthews Group Ltd. (1988), 20 C.C.E.L. 110 (H.C.J. Ont.), p. 123, conf. par (1991), 34 C.C.E.L. 50 (C.A.); Paquette, par. 17). Ainsi, dans les arrêts Paquette et Singer, où les primes en litige étaient discrétionnaires, la Cour d’appel de l’Ontario a pris en compte ce critère, dit de la « partie intégrante », car un doute subsistait quant à la question de savoir si l’employé aurait touché ces primes discrétionnaires pendant la période de préavis raisonnable.
[59] La présente affaire est différente. Les dommages‑intérêts tenant lieu de préavis raisonnable ont pour objet de rétablir l’employé dans la situation où il se serait trouvé s’il avait continué de travailler jusqu’à la fin de la période de préavis. Il n’est pas contesté que l’événement déclencheur s’est produit pendant cette période. Cependant, n’eût été son congédiement, M. Matthews aurait reçu le paiement prévu par le RILT durant cette période. Dans ces circonstances, il est inutile de se demander si ce paiement faisait « partie intégrante » de sa rémunération.
[60] Qui plus est, en réponse à une question de l’un de mes collègues lors de l’audience, l’avocate d’Ocean a reconnu que M. Matthews aurait fort bien pu avoir droit au paiement prévu par le RILT en l’absence des clauses 2.03 et 2.05. Je suis donc convaincu que, au terme de la première étape, M. Matthews a droit, à première vue, de recevoir des dommages‑intérêts à titre de dédommagement pour la prime qu’il a perdue.
[61] À la deuxième étape, la question consiste à se demander si les modalités du RILT ont pour effet de limiter ou de supprimer clairement le droit que confère la common law à M. Matthews. Il convient de mentionner que les parties ont avancé des thèses opposées en ce qui a trait à la norme de contrôle applicable aux questions liées à l’interprétation du RILT. Les deux parties ont invoqué l’arrêt Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37, [2016] 2 R.C.S. 23. Pour sa part, M. Matthews a plaidé que l’interprétation du juge de première instance devait être contrôlée afin de déterminer si elle renferme des erreurs manifestes et déterminantes. À l’opposé, s’appuyant sur l’exception relative au contrat type qui est décrite dans l’arrêt Ledcor, Ocean a soutenu que la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte. Elle a insisté sur le fait qu’il n’y a aucune preuve indiquant que M. Matthews aurait négocié les modalités pertinentes du RILT, et que ce régime s’applique à de nombreux employés.
[62] Je prends bonne note du fait que le juge de première instance n’a pas conclu que le RILT était un contrat type couramment utilisé. Dans l’arrêt Ledcor, la Cour était appelée à interpréter un contrat type qui est couramment utilisé dans le secteur des assurances, où « la constance [dans l’interprétation] revêt une importance particulière » (par. 40). Le juge Wagner a expliqué que, comme les contrats types sont largement utilisés et que « l’interprétation du contrat [. . .] peut toucher de nombreuses personnes » (par. 39), il convient d’appliquer une exception à l’égard des contrats types. La présente affaire est différente : la seule conclusion pertinente qu’a tirée le juge de première instance sur ce point est qu’[traduction] « un nombre limité de cadres supérieurs » étaient visés par le RILT (par. 61). En définitive, cependant, il n’est pas nécessaire en l’espèce de décider si le RILT était véritablement un contrat type, étant donné que le juge de première instance a omis de tenir compte de l’une des deux principales clauses litigieuses dans la présente affaire, soit la clause 2.05, qu’il faudra en conséquence interpréter de toute façon.
[63] Je reviens donc aux principales clauses litigieuses, qui sont rédigées ainsi :
[traduction]
2.03 CONDITIONS PRÉALABLES
ONC n’a, aux termes de la présente entente, aucune obligation envers l’employé à moins que ce dernier ne soit un employé à temps plein d’ONC lorsque survient l’événement déclencheur. Il est entendu que la présente entente est nulle et sans effet si l’employé cesse d’être un employé d’ONC, que ce soit parce qu’il démissionne ou parce qu’il est congédié, avec ou sans motif.
2.05 GÉNÉRALITÉS
Le Régime de primes pour la création de valeur à long terme n’a aucune valeur actuelle ou future si ce n’est à la date de l’événement déclencheur et la prime calculée et versée à l’employé ne doit pas être considérée comme faisant partie de la rémunération de ce dernier à quelque fin que ce soit, y compris en cas de démission de l’employé ou de calcul de toute indemnité de départ.
[64] Il ne s’agit pas de déterminer si ces modalités sont ambiguës, mais de savoir si le texte du régime a pour effet de limiter ou de supprimer clairement les droits que confère la common law à l’employé (Paquette, par. 31, citant Taggart, par. 12 et 19‑22). Fait important, comme le RILT est un [traduction] « contrat unilatéral », en ce sens que les parties n’ont pas négocié ses modalités, le principe d’interprétation des contrats selon lequel les clauses d’exonération ou de limitation de responsabilité doivent recevoir une interprétation stricte [traduction] « s’applique avec une vigueur singulière » (Taggart, par. 18, citant Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée, 1989 CanLII 129 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 426, p. 459). Comme l’a reconnu notre Cour dans Tercon Contractors Ltd. c. Colombie‑Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69, par. 73, décision rendue en contexte commercial, et qui est mentionnée en l’espèce uniquement pour souligner le point suivant : des parties expérimentées peuvent rédiger des clauses à la fois claires et exhaustives d’exonération lorsqu’elles entendent le faire.
[65] Pour cette raison, les dispositions de l’entente doivent être absolument claires et non ambiguës. Ainsi, une disposition exigeant qu’un employé soit un [traduction] « employé à temps plein » ou un « employé actif » de l’entreprise, comme l’exige la clause 2.03, ne sera pas suffisante pour supprimer le droit que confère la common law à un employé d’obtenir des dommages‑intérêts. Après tout, si un préavis adéquat avait été donné à M. Matthews, ce dernier aurait été un « employé à temps plein » ou un « employé actif » de l’entreprise pendant la période de préavis raisonnable (Paquette, par. 33, citant Schumacher c. Toronto‑Dominion Bank (1997), 1997 CanLII 12329 (ON SC), 147 D.L.R. (4th) 128 (C.J. Ont. (Div. gén.)), p. 184; voir également par. 47; Lin, par. 89). D’ailleurs, le juge de première instance et les juges majoritaires de la Cour d’appel ont reconnu qu’une condition stipulant que l’employé soit en situation d’[traduction] « emploi actif » n’est pas suffisante pour limiter les dommages‑intérêts auxquels un employé a droit (motifs de première instance, par. 398; motifs de la Cour d’appel, par. 66).
[66] De même, lorsqu’une clause vise à supprimer le droit qu’a un employé en vertu de la common law d’obtenir des dommages‑intérêts lorsqu’il est congédié « avec ou sans motif », comme le prévoit la clause 2.03, une telle disposition ne sera pas suffisante. En l’espèce, M. Matthews a fait l’objet d’un congédiement illégal étant donné qu’il a été congédié de manière déguisée sans préavis. Comme l’a conclu notre Cour dans l’arrêt Bauer c. Banque de Montréal, 1980 CanLII 12 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 102, à la p. 108, « il doit être évident que [les clauses d’exclusion] vise[nt] les circonstances exactes qui se présentent ». Par conséquent, dans le cas de M. Matthews, le juge de première instance a reconnu à juste titre qu’ [traduction] « [u]n congédiement sans motif n’implique pas un congédiement sans préavis » (par. 399; voir également Veer c. Dover Corp. (Canada) Ltd. (1999), 1999 CanLII 3008 (ON CA), 120 O.A.C. 394, par. 14; Lin, par. 91). Or, il convient de répéter que, pour les besoins du calcul du montant des dommages‑intérêts à verser en cas de congédiement injustifié, le contrat de travail est considéré comme étant « résilié » uniquement après l’expiration de la période de préavis raisonnable. Par conséquent, même si la clause en question avait fait mention expressément d’un congédiement illégal, je suis d’avis qu’une telle disposition n’aurait pas non plus modifié clairement le droit que confère la common law à l’employé.
[67] Ainsi, à l’instar du juge de première instance, j’estime que la clause 2.03 n’a pas pour effet de limiter ou de supprimer clairement le droit que confère la common law à M. Matthews. Je suis respectueusement d’avis que les juges majoritaires de la Cour d’appel ont commis une erreur en tirant une conclusion différente.
[68] Comme je l’ai mentionné, il est vrai que le juge de première instance n’a pas explicitement examiné la clause 2.05. Le juge dissident a précisé que cette clause empêche seulement M. Matthews de demander que la prime fasse partie de son indemnité de départ, et non des dommages‑intérêts pour congédiement injustifié qu’il réclame. Les juges majoritaires ont exprimé leur désaccord à cet égard, affirmant qu’il n’existe aucune différence, du point de vue de la fonction, entre une indemnité de départ et des dommages‑intérêts (par. 120‑121).
[69] Avec égards, je ne puis me rallier à l’opinion des juges majoritaires de la Cour d’appel sur ce point. Le juge de première instance n’a pas utilisé le RILT pour calculer l’indemnité de départ; il a plutôt déterminé le montant des dommages‑intérêts auxquels M. Matthews avait droit en vertu de la common law par suite de son congédiement déguisé. Comme l’a expliqué en détail le juge dissident, l’indemnité de départ et les dommages‑intérêts sont des concepts juridiques distincts. Le principal objectif d’un préavis raisonnable (ou de dommages‑intérêts en tenant lieu) est de protéger l’employé en lui fournissant l’occasion de se chercher un autre emploi (voir Wallace, par. 120, la juge McLachlin (plus tard juge en chef), dissidente, mais non sur ce point). En revanche, l’indemnité de cessation d’emploi « vient indemniser les employés ayant beaucoup d’années de service pour ces années investies dans l’entreprise de l’employeur et pour les pertes spéciales qu’ils subissent lorsqu’ils sont licenciés », et elle est souvent prévue dans les lois provinciales sur les normes d’emploi (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 26).
[70] En outre, la clause 2.05 doit être considérée globalement; elle précise également que le RILT [traduction] « n’a aucune valeur actuelle ou future si ce n’est à la date de l’événement déclencheur ». Si M. Matthews avait reçu un préavis de congédiement adéquat, il aurait toujours été un employé à temps plein de l’entreprise à la date de l’événement déclencheur et il aurait alors reçu le paiement prévu par le RILT. Les dommages‑intérêts qui lui ont été accordés tiennent compte de cette occasion manquée.
[71] Pour arriver à une conclusion différente quant à l’interprétation des clauses 2.03 et 2.05, les juges majoritaires se sont appuyés sur l’arrêt Styles de la Cour d’appel de l’Alberta. Ocean exhorte notre Cour à faire de même. Bien que le présent pourvoi ne soit pas l’occasion d’examiner en profondeur les règles de droit applicables en Alberta, je me permets de faire les observations qui suivent.
[72] Dans l’arrêt Styles, la question en litige était similaire à celle qui se pose en l’espèce : après avoir été congédié sans motif, l’employé avait‑il le droit de recevoir un paiement en vertu du régime d’intéressement à long terme de son employeur? Après le congédiement, l’employeur a versé à l’employé un paiement forfaitaire correspondant à trois mois de salaire conformément aux modalités de son contrat de travail (Styles c. Alberta Investment Corp., 2015 ABQB 621, [2016] 4 W.W.R. 593, par. 9 et 27, la juge Yungwirth). La prime n’aurait été acquise au profit de l’employé que plusieurs années après son congédiement (Styles par. 17‑23, la juge Yungwirth). Par conséquent, l’employé ne pouvait pas obtenir des dommages‑intérêts pour la prime qui lui aurait été versée pendant la période de préavis raisonnable. À tout le moins, l’affaire Styles se distingue donc de cette façon du cas de M. Matthews. En effet, la situation de ce dernier soulève des questions concernant les dommages‑intérêts liés à la période de préavis, alors que ce n’est pas le cas dans l’arrêt Styles.
[73] Il convient également de souligner que la Cour d’appel de l’Alberta, dans l’affaire Styles, a indiqué que l’arrêt Paquette, l’un des arrêts sur lesquels je m’appuie en l’espèce, repose sur une interprétation erronée de la décision de notre Cour dans Sylvester c. Colombie‑Britannique, 1997 CanLII 353 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 315. Dans l’arrêt Styles, la Cour d’appel a fait remarquer qu’ [traduction] « [i]l existe en common law une condition tacite selon laquelle un préavis raisonnable, ou une indemnité en tenant lieu, doit être fourni dans ces circonstances. L’indemnité tenant lieu de préavis raisonnable ne constitue pas des « dommages‑intérêts » pour violation du contrat, mais plutôt une portion de l’indemnité prévue au contrat. Si un employeur ne donne pas un préavis adéquat ou une indemnité en tenant lieu, la violation réside dans le non‑paiement d’une indemnité et non dans le congédiement » (p. 34 (note en bas de page omise)). La Cour d’appel a ensuite souligné que, « [d]ans certaines décisions rendues dans d’autres ressorts, le congédiement est considéré comme une violation, mais ces décisions ne reflètement pas le droit albertain : voir, par exemple [Paquette]. Dans cet arrêt, le tribunal s’appuie sur la remarque incidente formulée dans [Sylvester], au par. 1, mais le par. 15 de cette décision confirme que c’est le non‑paiement qui constitue la violation, et non le congédiement lui‑même » (Styles, par. 34, note de bas de page 1).
[74] Selon mon interprétation, notre Cour a confirmé dans l’arrêt Sylvester que « [l]es dommages‑intérêts versés pour congédiement injustifié visent à indemniser l’employé à l’égard de la violation par l’employeur de la condition implicite du contrat d’emploi selon laquelle ce dernier doit donner à l’employé un préavis raisonnable de cessation d’emploi » (par. 15 (je souligne)). Cette même idée est d’ailleurs confirmée par d’autres sources dans d’autres ressorts : le contrat ne comporte aucune condition implicite selon laquelle l’employeur doit verser une indemnité tenant lieu de préavis (voir, p. ex., Love c. Acuity Investment Management Inc., 2011 ONCA 130, 277 O.A.C. 15, par. 44)[3].
[75] Comme l’a expliqué la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt Dunlop c. B.C. Hydro & Power Authority (1988), 1988 CanLII 3217 (BC CA), 32 B.C.L.R. (2d) 334, p. 338‑339, il y a trois raisons principales pour lesquelles cette distinction est importante. Premièrement, il existe des difficultés liées à la complexité d’une condition implicite prévoyant le versement du salaire en lieu et place d’un préavis, et à la question de savoir s’il est facile de dégager implicitement une telle condition d’un contrat de travail. Deuxièmement, le fait de dégager l’existence d’une telle condition implicite [traduction] « signifierait que, si un employeur choisissait de verser le salaire au lieu de donner un préavis, il respecterait alors le contrat et ne le violerait pas », et, pour cette raison, « le contrat exigerait le plein paiement du salaire immédiatement ». Troisièmement, si l’employeur choisissait d’appliquer une telle condition implicite et ne donnait pas de préavis de cessation d’emploi, « l’employé ne serait pas tenu de limiter son préjudice en cherchant un autre emploi », étant donné que cette condition requiert que le plein paiement du salaire sans égard aux pertes réelles subies par l’employé. Il est donc important que les tribunaux et les parties comprennent bien cette distinction, car elle peut affecter profondément la situation financière des employés. Dans la mesure où certaines décisions suggèrent le contraire, je dois, avec égards, exprimer mon désaccord.
[76] Enfin, à cette étape de l’analyse, il peut également être opportun, dans certains cas, de se demander si les clauses visant à limiter ou supprimer le droit que confère la common law à un employé ont été adéquatement portées à son attention (Paquette, par. 18; Taggart, par. 20‑23; Poole c. Whirlpool Corp., 2011 ONCA 808, 97 C.C.E.L. (3d) 20, par. 5‑6). Toutefois, cette question ne se soulève pas en l’espèce. De plus, comme l’ont fait remarquer plusieurs intervenants dans le cadre du présent pourvoi, il peut être approprié de se demander si la clause en litige est compatible avec les normes d’emploi minimales (Machtinger, p. 1004). Cette question n’a pas été examinée par les juridictions inférieures et, dans les circonstances de l’espèce, il n’est pas nécessaire de s’y attarder davantage.
[77] En résumé, je suis d’accord avec le juge de première instance pour conclure que M. Matthews a droit à des dommages‑intérêts correspondant au paiement qu’il aurait reçu en vertu du RILT, déduction faite des sommes découlant de l’atténuation des dommages.
(2) Bonne foi
[78] Une fois de plus, je tiens à souligner, toujours avec égards, que les arguments des parties sur la bonne foi étaient déroutants lorsque considérés côte à côte. En effet, M. Matthews s’est essentiellement attaché à l’obligation d’exécution honnête, et il a confirmé, lors de l’audience, qu’il ne réclame pas de dommages‑intérêts pour les souffrances morales susceptibles de découler d’un manquement à l’obligation d’agir de bonne foi dans la façon de procéder à un congédiement, faisant remarquer que cela [traduction] « ne le rapproche tout simplement pas de son objectif » en ce qui concerne le RILT (transcription, p. 17). Ocean, quant à elle, a défendu la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle [traduction] « la manière dont [M. Matthews] avait été traité » n’avait été entachée d’« aucune mauvaise foi », rappelant précisément la conclusion du juge de première instance portant que M. Matthews n’avait pas été en mesure d’établir qu’Ocean avait planifié son renvoi afin de le priver de son droit au paiement prévu par le RILT (voir le par. 122).
[79] Il ne fait aucun doute qu’Ocean a raison sur ce tout dernier point. Cela dit, contrairement à la conclusion succincte des juges majoritaires de la Cour d’appel, je partage l’opinion de M. Matthews selon laquelle le juge de première instance a très clairement indiqué que la façon dont il a été traité de 2007 jusqu’au moment de son départ constituait une conduite malhonnête de la part d’Ocean. Le juge a tiré une conclusion de fait portant que le cadre supérieur d’Ocean avait mené pendant quatre ans une « campagne » afin d’écarter M. Matthews des opérations et que cette période avait été marquée par la malhonnêteté et le mensonge (voir, p. ex., les par. 294, 296, 298 et 301).
[80] Le juge de première instance n’a toutefois pas conclu explicitement que cette malhonnêteté avait entraîné une violation du contrat. Il n’a pas traité de l’obligation d’exécution honnête, vraisemblablement parce que — comme les premiers actes de procédure ont été déposés avant que l’arrêt Bhasin ne soit rendu — cette décision n’a pas été plaidée au procès. Le juge de première instance n’a pas non plus procédé, sur la base des arrêts Wallace et Keays, à une analyse en vue de déterminer si cette conduite malhonnête constituait un manquement à l’obligation d’agir de bonne foi dans la façon de procéder au congédiement. On peut supposer que cela découle de la teneur des actes de procédure, en ce qu’aucune demande de dommages‑intérêts compensatoires n’a été présentée pour les souffrances morales découlant du traitement réservé à M. Matthews par suite de la façon dont il a été congédié.
[81] Relativement à ce dernier point, je profite de l’occasion pour rappeler que, si la question avait été soumise adéquatement au juge de première instance, il lui aurait certes été loisible de rattacher les gestes malhonnêtes survenus au cours de la période de quatre ans aux « circonstances du congédiement ». Compte tenu des circonstances dans lesquelles les arrêts Wallace et Keays ont été rendus, l’expression « circonstances du congédiement » a initialement été interprétée comme visant le moment du congédiement, ce qui tendait dans une certaine mesure à suggérer que la bonne foi était requise uniquement à la toute fin de la relation d’emploi. Or, les situations de congédiement déguisé montrent que cette conception doit parfois être élargie. À la suite de l’arrêt Potter, il est sans doute plus juste de considérer le congédiement déguisé d’un employé comme étant la conséquence d’une série d’événements échelonnés dans le temps plutôt que comme un seul et unique moment décisif. D’après cette interprétation, l’arrêt Potter élargit la notion de « circonstances du congédiement » aux situations où une cessation d’emploi découle de la décision d’un employé de quitter son emploi en raison d’une suite d’événements survenus avant le moment concret où la relation employeur‑employé a été rompue, comme c’est le cas en l’espèce (par. 31‑35). Il peut arriver que, selon les faits propres à une affaire donnée, le congédiement déguisé reflète la décision d’un employé de quitter son emploi en raison de nombreuses modifications apportées aux conditions de son emploi au fil du temps, sans qu’il y ait eu de conduite répréhensible. Par ailleurs, un congédiement déguisé peut également refléter la décision d’un employé de quitter son travail lorsqu’une conduite malhonnête ou une autre action répréhensible l’a finalement poussé à le faire. Dans ce dernier cas, on pourrait croire que, rétrospectivement à tout le moins, l’obligation s’applique à l’exécution du contrat avant sa résiliation. De fait, il n’existe aucune raison cohérente pour que la conduite répréhensible ne puisse pas être considérée rétrospectivement dans les affaires de congédiement injustifié, [traduction] « pourvu qu’elle constitue un “aspect des circonstances du congédiement” » de l’employé (Doyle c. Zochem Inc., 2017 ONCA 130, 31 C.C.P.B. (2nd) 200, par. 13, citant Gismondi v. Toronto (City) (2003), 2003 CanLII 52143 (ON CA), 64 O.R. (3d) 688 (C.A.), par. 23).
[82] En reconnaissant ceci dans l’arrêt Potter, la Cour a confirmé ce que les tribunaux faisaient déjà, en ce qu’ils examinaient la relation d’emploi de façon rétrospective et concluaient ainsi implicitement que l’obligation d’agir de bonne foi ne s’applique pas uniquement à la toute fin de la relation. Comme l’a fait observer le professeur England, les tribunaux sont souvent appelés à se demander, dans les cas de congédiement déguisé, si les employeurs ont traité leurs employés de bonne foi, par exemple en veillant à ce que ceux‑ci ne soient pas victimes d’intimidation ou de harcèlement de la part de gestionnaires ou de collègues (Individual Employment Law (2e éd. 2008), p. 92‑93). Cet élargissement dans Potter des principes applicables a donc accordé plus de souplesse en étendant l’appréciation de la conduite à la période précédant le moment concret où le contrat de travail a été résilié[4].
[83] Je ne me prononcerai toutefois pas davantage sur la manière dont l’arrêt Bhasin, d’une part, et les arrêts Wallace et Keays, d’autre part, s’appliquent à la présente espèce. Qu’il suffise de dire qu’un manquement à l’obligation contractuelle d’agir de bonne foi repose sur des fondements entièrement distincts de ceux liés à l’omission de donner un préavis raisonnable. J’affirme cela en m’appuyant sur la conclusion que j’ai proposée précédemment à l’égard de la demande de réparation pécuniaire présentée par M. Matthews pour manquement à l’obligation tacite de donner un préavis raisonnable. À l’audience, l’avocat de M. Matthews a reconnu que, si les dommages‑intérêts qui sont accordés à ce dernier pour l’absence de préavis raisonnable incluent des dommages‑intérêts le compensant pour la perte du paiement prévu par le RILT, M. Matthews ne saurait réclamer maintenant ce même paiement suivant le principe établi dans l’arrêt Hadley. Bien qu’il s’agisse de violations de contrat distinctes, elles ne peuvent être appliquées pour accorder une réparation qui équivaudrait à une double indemnité. Qui plus est, si M. Matthews a attiré l’attention de notre Cour sur l’angoisse causée par Ocean, il n’a pas demandé de dommages‑intérêts pour souffrances morales. Comme il a été mentionné plus tôt, quoique M. Matthews ait initialement réclamé des dommages‑intérêts punitifs au procès, il n’a pas fait valoir ce chef de réclamation en appel. Étant donné que M. Matthews n’a pas fourni de détails ou d’arguments supplémentaires à cet égard, même lorsqu’il a été interrogé sur ce point par des juges de notre Cour, il n’est pas nécessaire que je m’y attarde davantage pour décider s’il y a eu manquement à une obligation de bonne foi, aucune réparation additionnelle n’étant réclamée.
[84] De plus, je souligne que M. Matthews et plusieurs intervenants prétendent que le principe directeur général de bonne foi décrit dans l’arrêt Bhasin se manifeste de diverses façons tout au long de l’exécution du contrat. Pour sa part, Ocean affirme que tout élargissement de l’obligation de bonne foi créerait un précédent peu facile à appliquer.
[85] L’argument de M. Matthews est important. Le traitement incorrect réservé à un employé par son employeur ne se traduit pas dans tous les cas par un congédiement déguisé — il peut arriver que, pour des raisons financières ou autres, l’employé concerné décide de ne pas quitter son emploi. Il se pourrait, comme l’ont soutenu diverses parties au présent pourvoi, que les employeurs soient un jour tenus pendant la durée du contrat de travail à un devoir de bonne foi basé sur une obligation mutuelle de loyauté, au sens non fiduciaire de ce terme, devoir liant réciproquement l’employeur et l’employé. Je reconnais toutefois que la question de savoir si ce principe devrait être reconnu en droit suscite des débats légitimes.
[86] Il s’agit en l’espèce d’une affaire de congédiement. Compte tenu de l’observation formulée dans l’arrêt Bhasin (par. 40) selon laquelle la common law doit évoluer de manière progressive, je m’abstiens, en l’absence d’un dossier factuel adéquat, de me prononcer sur l’existence d’une obligation de portée plus large pendant la durée du contrat de travail.
[87] Enfin, je rappelle que, dans sa demande initiale, M. Matthews sollicitait une déclaration indiquant que la cessation de son emploi résultait de la conduite abusive et injuste d’Ocean à son endroit, et que son congédiement avait été [traduction] « effectué de mauvaise foi au sens de la loi et en contravention à l’obligation [d’Ocean] d’agir de bonne foi ». Je reconnais que, de manière générale, les souffrances morales que pourrait éprouver un employé en raison de la conduite malhonnête de l’employeur se traduisent en droit, sur le plan financier, par des dommages‑intérêts, et que, en outre, M. Matthews s’est abstenu de réclamer de tels dommages‑intérêts en l’espèce. Néanmoins, une reconnaissance formelle que la conduite d’un employeur a contrevenu à la norme de la bonne foi attendue peut transcender la présentation d’une demande en dommages‑intérêts, et pourrait avoir pour l’employé concerné une valeur significative que ne saurait avoir à ses yeux une simple conclusion qu’un préavis raisonnable a été donné. Cela découle notamment de la dignité à laquelle aspirent les employés au sein de leur milieu de travail et de la valeur non financière qu’ils associent au fait d’être traités équitablement en cas de congédiement (J. Fudge, « The Limits of Good Faith in the Contract of Employment: From Addis to Vorvis to Wallace and Back Again? » (2007), 32 Queen’s L.J. 529, p. 548; G. Anderson, D. Brodie et J. Riley, The Common Law Employment Relationship: A Comparative Study (2017), ch. 11). D’ailleurs, notre Cour a clairement reconnu qu’en plus de la dimension financière qu’il présente, l’emploi est « une composante essentielle du sens de l’identité d’une personne, de sa valorisation et de son bien‑être sur le plan émotionnel » (Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), 1987 CanLII 88 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 313, p. 368). Pour cette raison, il est compréhensible que des employés demandent qu’on reconnaisse qu’ils ont été traités de façon incorrecte, ce qui reflète le fait qu’ils estiment injuste, indépendamment des aspects financiers d’une telle siuation, d’avoir été forcés de quitter leur emploi en pareilles circonstances.
[88] Malheureusement, M. Matthews n’a pas expliqué sur quel fondement notre Cour devrait s’appuyer pour prononcer une déclaration formelle dans les présentes circonstances. Je m’abstiendrais donc de prononcer formellement une déclaration portant qu’il y a eu manquement à l’obligation contractuelle d’agir de bonne foi. Je ferais néanmoins observer qu’il ressort clairement des conclusions tirées au procès que M. Matthews a été traité de façon incorrecte et qu’on lui a menti à l’égard de sa sécurité d’emploi future dans l’entreprise au cours des années ayant précédé son congédiement déguisé, et ce, d’une manière qui a contribué à créer une situation intolérable pour lui au travail. La rémunération versée pendant la période de préavis raisonnable ne tient pas compte de cela. Bien que l’observation susmentionnée ne se traduise pas par une réparation additionnelle en l’espèce, il n’est pas inapproprié de rappeler que « l’avantage non pécuniaire » (Potter, par. 84) qu’un salarié tire de l’exécution de son travail peut lui être retiré injustement si, en cas de congédiement, on lui ment et on le trompe quant aux raisons pour lesquelles on met fin à son emploi.
V. Conclusion
[89] Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’écarter l’arrêt de la Cour d’appel et de rétablir le jugement de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, le tout avec dépens devant toutes les cours.
Pourvoi accueilli avec dépens dans toutes les cours.
Procureurs de l’appelant : Levitt, Toronto; Mitchell & Ferguson, Associates, Halifax.
Procureurs de l’intimée : Barteaux Durnford, Halifax.
Procureurs de l’intervenante Canadian Association for Non‑Organized Employees : Ball Professional Corporation, Toronto; CSuite Law, Toronto; SJO Legal Professional Corporation, Toronto.
Procureurs de l’intervenant Don Valley Community Legal Services : Monkhouse Law, Toronto.
Procureurs de l’intervenant Law Students’ Legal Advice Program : Tevlin Gleadle Curtis Employment Law Strategies, Vancouver.
Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des avocats d’employeurs : McCarthy Tétrault, Toronto.
Procureurs de l’intervenant Parkdale Community Legal Services : Nelligan O’Brien Payne, Ottawa; Parkdale Community Legal Services, Toronto.
[1] L’expression [traduction] « dommages-intérêts majorés » a été employée à l’occasion par les deux parties tout au long du présent pourvoi. Je fais remarquer toutefois que, dans l’arrêt Fidler c. Sun Life du Canada, compagnie d’assurance-vie, 2006 CSC 30, [2006] 2 R.C.S. 3, par. 52-54, notre Cour a expliqué que cette expression est en grande partie inexacte, et que les dommages-intérêts compensatoires accordés pour le manquement à l’obligation contractuelle d’agir de bonne foi dont il a été question dans l’arrêt Wallace « sont fondés sur ce que les parties pouvaient raisonnablement envisager au moment de la formation du contrat ».
[2] K. Banks, « Progress and Paradox: The Remarkable yet Limited Advance of Employer Good Faith Duties in Canadian Common Law » (2011), 32 Comp. Lab. L. & Pol’y J. 547, p. 561‑562.
[3] Voir D. B. Buchanan, « Defining Wrongful Dismissal: The Alberta Schism » (2019), 57 Alta. L. Rev. 96.
[4] Voir C. Mummé, « Bhasin v. Hrynew: A New Era for Good Faith in Canadian Employment Law, or Just Tinkering at the Margins? » (2016), Int’l J. Comp. Lab. L. & Ind. Rel. 117, p. 122.