COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Amaratunga c. Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest , 2013 CSC 66, [2013] 3 R.C.S. 866
Date : 20131129
Dossier : 34501
Entre :
Tissa Amaratunga
Appelant
et
Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest, une personne morale
Intimée
- et -
Association canadienne des libertés civiles
Intervenante
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner
Motifs de jugement :
(par. 1 à 68)
Le juge LeBel (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner)
Amaratunga c. Organisation des pêches de l'Atlantique Nord‑Ouest, 2013 CSC 66, [2013] 3 R.C.S. 866
Tissa Amaratunga Appelant
c.
Organisation des pêches de l'Atlantique Nord‑Ouest,
une personne morale Intimée
et
Association canadienne des libertés civiles Intervenante
Répertorié : Amaratunga c. Organisation des pêches de l'Atlantique Nord‑Ouest
2013 CSC 66
N o du greffe : 34501.
2013 : 28 mars; 2013 : 29 novembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.
en appel de la cour d'appel de la nouvelle‑écosse
Droit international public — Immunité de juridiction — Organisations internationales — Poursuite pour congédiement injustifié par un ancien cadre supérieur d'une organisation internationale dont le siège est au Canada — Revendication par l'organisation internationale de l'immunité de juridiction fondée sur le décret énonçant l'entente conclue entre elle et le Canada — L'immunité revendiquée s'applique‑t‑elle? — Sens des immunités qu'« exige » l'exercice de fonctions — Décret sur les privilèges et immunités de l'Organisation des pêches de l'Atlantique nord‑ouest, DORS/80‑64, art. 3(1).
L'OPANO est une organisation internationale dont le siège est situé en Nouvelle‑Écosse. Elle a le mandat de veiller à la gestion et à la conservation des ressources halieutiques dans l'Atlantique Nord-Ouest. A a travaillé pour l'OPANO à titre de cadre supérieur de 1988 à 2005, lorsque l'organisation l'a congédié. Lorsqu'il a intenté un recours pour congédiement injustifié, l'OPANO a plaidé qu'elle jouissait de l'immunité de juridiction en tant qu'organisation internationale en application du Décret sur les privilèges et immunités de l'Organisation des pêches de l'Atlantique nord‑ouest (« Décret sur l'immunité de l'OPANO ») dont elle avait convenu avec le Canada. La Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse a rejeté la défense de l'OPANO fondée sur l'immunité et jugé que le procès pour congédiement injustifié intenté par A pouvait avoir lieu, y compris en ce qui avait trait à la demande de ce dernier relative à l'indemnité de cessation d'emploi à laquelle il prétendait en application du règlement régissant le personnel de l'OPANO. La Cour d'appel a toutefois accueilli le pourvoi de l'OPANO et jugé que celle‑ci jouissait d'une immunité qui la mettait à l'abri de toutes les demandes formulées par A.
Arrêt : Le pourvoi est accueilli en partie.
L'OPANO a droit à l'immunité, sauf en ce qui a trait à la demande de paiement d'une indemnité de cessation d'emploi formulée par A et fondée sur le règlement régissant le personnel de l'organisation. En l'absence d'une telle immunité, rien n'empêcherait l'État d'accueil et ses tribunaux de s'ingérer dans les opérations d'une organisation internationale. Il n'existe en revanche aucune règle de droit international coutumier conférant une immunité aux organisations internationales. Celle‑ci est plutôt une créature des traités ou, dans le cas d'organisations internationales plus petites comme l'OPANO, elle découle d'ententes avec leur État d'accueil.
L'OPANO et le Canada ont conclu une entente qu'énonce le Décret sur l'immunité de l'OPANO . Le paragraphe 3(1) de cette entente confère à l'OPANO un droit à l'immunité « dans la mesure où ses fonctions l'exigent ». Conformément aux principes modernes d'interprétation des lois, pour en dégager la signification, cette proposition doit être interprétée dans son contexte global, en suivant le sens ordinaire et grammatical des mots qui s'harmonise avec l'esprit et l'objet du Décret sur l'immunité de l'OPANO compte tenu des pouvoirs conférés et de l'intention du législateur. Le sens de la proposition, y compris celui des termes « l'exigent », est déterminant pour l'issue du présent pourvoi.
Même si le sens grammatical et ordinaire des termes « l'exigent » est « nécessaire », le contexte du par. 3(1) suggère qu'il faut plutôt leur donner une interprétation plus libérale. En effet, les termes « l'exigent » qui figurent au par. 3(1) doivent être interprétés de telle sorte qu'ils aient le même sens libéral que celui qu'ils ont au par. 3(3), parce que le gouverneur en conseil est présumé avoir fait preuve de cohérence dans l'établissement du Décret sur l'immunité de l'OPANO. La loi confère au gouverneur en conseil le pouvoir de déterminer l'étendue des immunités à accorder au cas par cas à chaque organisation internationale. Or, il a conféré à l'OPANO une large immunité fonctionnelle, comme en témoigne le libellé même du par. 3(1) : « dans la mesure où [l]es fonctions [de l'organisation] l'exigent ». Ne pas interpréter libéralement le par. 3(1) irait à l'encontre de l'objet et de l'esprit du Décret sur l'immunité de l'OPANO de même que des objectifs poursuivis par le législateur, soit la modernisation, la souplesse et le respect de l'indépendance des organisations internationales.
En l'espèce, sauf en ce qui a trait à la demande de paiement de l'indemnité de cessation d'emploi fondée sur le règlement régissant le personnel de l'OPANO, celle-ci a besoin de l'immunité quant aux réclamations de A pour pouvoir s'acquitter de ses fonctions. A était le numéro deux du secrétariat. Il supervisait directement d'autres employés et était responsable du volet scientifique du mandat de l'organisation. L'OPANO doit être en mesure de gérer ses employés, notamment ceux qui occupent des postes supérieurs, afin d'accomplir efficacement ses fonctions. Permettre que des poursuites liées à l'emploi intentées contre l'OPANO par ses cadres supérieurs soient entendues par les tribunaux canadiens porterait atteinte de façon injustifiée à l'autonomie de l'OPANO dans l'exercice de ses fonctions et reviendrait à assujettir ses opérations de gestion à la surveillance des institutions de l'État d'accueil. L'absence d'un mécanisme de règlement des différends ou d'un processus interne d'examen n'est pas en soi déterminante pour décider si l'OPANO bénéficie de l'immunité. Bien qu'il soit regrettable que l'appelant ne puisse pas faire valoir ses moyens devant un tribunal et demander réparation, c'est dans la nature même de l'immunité de juridiction que certaines affaires soient soustraites de la compétence des tribunaux de l'État d'accueil.
Pour que l'OPANO puisse s'acquitter de ses fonctions, il n'est toutefois pas nécessaire qu'elle jouisse de l'immunité à l'égard de la réclamation de A relative à son indemnité de cessation d'emploi. D'ailleurs, l'OPANO reconnaît devoir une telle indemnité à A en application du règlement régissant son personnel et concède que le Décret sur l'immunité de l'OPANO ne la met pas à l'abri de cette réclamation. Cette dernière doit pouvoir suivre son cours et l'appel être accueilli à cet égard.
Jurisprudence
Arrêts examinés : Canada (Chambre des communes) c. Vaid , 2005 CSC 30, [2005] 1 R.C.S. 667; Re Code canadien du travail , [1992] 2 R.C.S. 50; arrêts mentionnés : Immunités juridictionnelles de l'État (Allemagne c. Italie : Grèce (intervenant)) , C.I.J. (3 février 2012); Kuwait Airways Corp. c. Irak , 2010 CSC 40, [2010] 2 R.C.S. 571; Contino c. Leonelli‑Contino , 2005 CSC 63, [2005] 3 R.C.S. 217; Glykis c. Hydro‑Québec , 2004 CSC 60, [2004] 3 R.C.S. 285; Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général) , 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re) , [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex , 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) , [1999] 2 R.C.S. 817; R. c. Hape , 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292; Islamic Republic of Iran c. Hashemi , 2012 QCCA 1449, [2012] R.J.Q. 1567; Authorson c. Canada (Procureur général) , 2003 CSC 39, [2003] 2 R.C.S. 40.
Lois et règlements cités
Déclaration canadienne des droits , L.R.C. 1985, app. III, art. 2 e ).
Décret sur les privilèges et immunités de l'Organisation des pêches de l'Atlantique nord‑ouest , DORS/80‑64, art. 3.
Loi sur l'immunité des États , L.R.C. 1985, ch. S‑18 .
Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales , L.C. 1991, ch. 41 , art. 5(1) , 16 .
Loi sur les privilèges et immunités des organisations internationales , L.R.C. 1985, ch. P-23 [abr. 1991, ch. 41, art. 15].
Loi sur les privilèges et immunités d iplomatiques et consulaires , L.R.C. 1985, ch. P-22 [abr. 1991, ch. 41, art. 14].
Traités et autres instruments internationaux
Accord de siège entre le gouvernement du Canada et l'Organisation de l'aviation civile internationale , R.T. Can. 1992 n o 7.
Accord supplémentaire entre le gouvernement du Canada et l'Organisation de l'aviation civile internationale relatif au siège de l'Organisation de l'aviation civile internationale , R.T. Can. 1999 n o 20.
Accord supplémentaire entre le gouvernement du Canada et l'Organisation de l'aviation civile internationale relatif au siège de l'Organisation de l'aviation civile internationale , 2013 [non encore en vigueur].
Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales , 213 R.T.N.U. 221.
Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens . New York : Nations Unies, 2004 [non encore en vigueur].
Convention sur la future coopération multilatérale dans les pêches de l'Atlantique Nord‑Ouest , R.T. Can. 1979 n o 11, art. II.
Convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées , 33 R.T.N.U. 261.
Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies , 1 R.T.N.U. 15, art. II(2).
Pacte international relatif aux droits civils et politiques , 999 R.T.N.U. 171, art. 14.
Doctrine et autres documents cités
Berenson, William M. « Squaring the Concept of Immunity with the Fundamental Right to a Fair Trial : The Case of the OAS », in Hassane Cissé, Daniel D. Bradlow and Benedict Kingsbury, eds., The World Bank Legal Review , vol. 3, International Financial Institutions and Global Legal Governance . Washingon, D.C. : World Bank, 2012, 133.
Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes , vol. III, 3 e sess., 34 e lég., 4 octobre 1991, p. 3332 et suiv.
Currie, John H., Craig Forcese and Valerie Oosterveld. International Law : Doctrine, Practice, and Theory . Toronto : Irwin Law, 2007.
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes , 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.
Driedger, Elmer A. The Construction of Statutes . Toronto : Butterworths, 1974.
Fox, Hazel. The Law of State Immunity , 2nd ed. Oxford : Oxford University Press, 2008.
Nations Unies. Comité des droits de l'homme. Observation générale n o 32, Article 14. Droit à l'égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable , Doc. N.U. CCPR/C/GC/32, 23 août 2007.
Nations Unies. Commission du droit international. « Immunités juridictionnelles des États et de leurs biens », dans Rapport de la Commission à l'Assemblée générale sur les travaux de sa trente‑deuxième session , Doc. N.U. A/35/10, publié dans Annuaire de la Commission du droit international 1980 , vol. II, deuxième partie. New York : Nations Unies, 1981, 134.
Preuss, Lawrence. « The International Organizations Immunities Act » (1946), 40 Am. J. Int'l L. 332.
Sands, Philippe, and Pierre Klein. Bowett's Law of International Institutions , 6th ed. London : Sweet & Maxwell/Thomson, 2009.
Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes , 5th ed. Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2008.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse (le juge en chef MacDonald et les juges Beveridge et Bryson), 2011 NSCA 73, 306 N.S.R. (2d) 380, 968 A.P.R. 380, 94 C.C.E.L. (3d) 198, 337 D.L.R. (4th) 668, [2011] N.S.J. No. 453 (QL), 2011 CarswellNS 587, qui a infirmé une décision du juge Wright, 2010 NSSC 346, 295 N.S.R. (2d) 331, 935 A.P.R. 331, 85 C.C.E.L. (3d) 144, [2010] N.S.J. No. 508 (QL), 2010 CarswellNS 618. Pourvoi accueilli en partie.
David A. Copp , pour l'appelant.
John T. Shanks et Richard Dunlop , pour l'intimée.
Ewa Krajewska et Heather K. Pessione , pour l'intervenante.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge LeBel —
I. Introduction
[1] Les organisations internationales jouent un rôle actif et nécessaire sur la scène internationale. Bien qu'elles soient assujetties au droit international, ces organisations exercent leurs activités sur le territoire d'États souverains, dotés de leurs propres systèmes politique et juridique. Pour éviter toute ingérence injustifiée dans les activités d'une organisation internationale, le traité qui la constitue lui reconnaît certains privilèges et immunités. Dans le cas contraire, l'État d'accueil s'engage à les lui accorder. À cet égard, une certaine forme d'immunité de juridiction devant les tribunaux de l'État d'accueil est indispensable, et habituellement accordée.
[2] Le présent pourvoi oppose l'Organisation des pêches de l'Atlantique Nord‑Ouest (« OPANO ») — une organisation internationale chargée de la gestion des ressources halieutiques dans l'Atlantique Nord‑Ouest — à un de ses anciens employés, l'appelant, Tissa Amaratunga. Ce dernier a intenté une action contre l'OPANO pour rupture d'un contrat de travail, et ce devant la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, parce que l'organisation intimée a son siège à Dartmouth, en Nouvelle‑Écosse. L'OPANO a invoqué avec succès l'immunité de juridiction contre cette action. La Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse a conclu que l'OPANO avait droit à l'immunité en l'espèce en application du par. 3(1) du Décret sur les privilèges et immunités de l'Organisation des pêches de l'Atlantique nord‑ouest , DORS/80‑64 (« Décret sur l'immunité de l'OPANO »). Pour les motifs qui suivent, je conclus que l'OPANO a droit à l'immunité et que le pourvoi échoue à cet égard, mais doit être accueilli en partie au sujet du droit au paiement de l'indemnité de cessation d'emploi accordée conformément au règlement régissant le personnel de l'OPANO, avec dépens en faveur de l'appelant.
II. Contexte
[3] Fondée en 1979 pour remplacer la Commission internationale pour les pêcheries de l'Atlantique Nord‑Ouest, l'OPANO est un organisme intergouvernemental se consacrant aux sciences halieutiques et à la gestion des pêches. Comme l'indique l'art. II(1) de la Convention sur la future coopération multilatérale dans les pêches de l'Atlantique Nord‑Ouest , R.T. Can. 1979 n o 11 (« Convention »), cet organisme a pour mandat général de « contribuer par la consultation et la coopération à l'utilisation optimale, à la gestion rationnelle et à la conservation des ressources halieutiques » de l'Atlantique Nord‑Ouest. Le Canada est une partie contractante de la Convention.
[4] L'OPANO comporte quatre sections : le conseil général, le conseil scientifique, la commission des pêches et le secrétariat. Leurs fonctions respectives sont décrites dans la Convention.
[5] Suivant l'art. II(4) de la Convention, l'OPANO a son siège à Dartmouth. La Convention prévoit aussi que l'OPANO a une personnalité juridique. Cela signifie qu'elle jouit corollairement de certaines immunités et de certains privilèges. La Convention précise en outre à l'art. II(3) que les immunités et privilèges de l'OPANO au Canada seront déterminés par une entente à conclure entre elle et son pays d'accueil. L'entente dont il a été convenu est énoncée dans le Décret sur l'immunité de l'OPANO , pris par le gouverneur en conseil le 11 janvier 1980.
[6] L'appelant est entré au service de l'OPANO en 1988 en tant que secrétaire exécutif adjoint — le titre du poste en anglais, « Assistant Executive Secretary », a plus tard été rebaptisé « Deputy Executive Secretary » —, un poste supérieur au sein du secrétariat. En cette qualité, il devait bien connaître tous les aspects des opérations et des exigences de l'OPANO. Il s'acquittait notamment des tâches suivantes : superviser directement quatre des onze employés du secrétariat; exercer au besoin les fonctions du secrétaire exécutif; fournir des services opérationnels et consultatifs au conseil scientifique; assurer la liaison avec les présidents au sein de l'OPANO et avec les administrateurs des organismes nationaux et internationaux pour répondre aux besoins du conseil scientifique; gérer l'information scientifique ainsi que les bases de données biologiques et statistiques de l'OPANO; gérer et mettre au point les publications scientifiques et statistiques de cette dernière; et gérer les systèmes informatiques nécessaires pour ses opérations.
[7] Le 24 juin 2005, l'appelant a été congédié par le secrétaire exécutif nommé en janvier 2003, après que, tel qu'il appert de la déclaration, leurs relations de travail se sont détériorées.
[8] Le jour de son congédiement, l'appelant a reçu une lettre l'informant qu'il recevrait une somme de 153 149 $. Celle‑ci était constituée de deux montants. Le premier, de 102 193 $, représentait son salaire jusqu'au 31 juillet 2005, ses congés payés ainsi que l'indemnité de cessation d'emploi qui lui était payable en application de l'art. 10.4 du règlement régissant le personnel de l'OPANO. Le deuxième, de 50 956 $ et versé à titre gracieux, visait à l'indemniser pour tout désavantage financier qui pouvait découler de sa cessation d'emploi. L'appelant a convenu avec l'OPANO que l'indemnité de cessation d'emploi de 80 987 $ serait payée en deux versements : le premier, de 30 987 $, serait versé en 2005, et le deuxième, de 50 000 $, en 2006. Il a également demandé à l'OPANO une confirmation que le paiement à titre gracieux de 50 956 $ serait versé sous toutes réserves. L'OPANO n'a pas répondu à cette demande.
[9] En 2005, l'OPANO a payé à l'appelant le montant dû au titre des salaires et des congés accumulés et a effectué le premier versement de l'indemnité de cessation d'emploi. En février 2006, l'appelant a reçu en un seul chèque le deuxième versement de l'indemnité de cessation d'emploi et le paiement à titre gracieux. Comme il n'avait reçu de l'OPANO aucune confirmation selon laquelle le paiement du montant versé à titre gracieux était fait sous toutes réserves, l'appelant lui a renvoyé le chèque. Un deuxième chèque du même montant a été envoyé à l'appelant en avril 2006, chèque que l'appelant a renvoyé pour le même motif.
[10] Le 15 juin 2006, l'appelant a déposé une déclaration à la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, sollicitant des dommages‑intérêts pour rupture de son contrat de travail et du contrat obligeant l'OPANO à payer l'indemnité de cessation d'emploi en deux versements. L'appelant a réclamé plus précisément, à titre de dommages‑intérêts : le reste de l'indemnité de 50 000 $ payable pour la cessation d'emploi; le versement d'une indemnité en lieu et place du préavis raisonnable de fin d'emploi; des dommages‑intérêts généraux; et des dommages‑intérêts punitifs ou majorés.
[11] Dans sa défense, l'OPANO a plaidé que le Décret sur l'immunité de l'OPANO lui confère l'immunité de juridiction à l'égard des réclamations de l'appelant et que la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse n'est pas compétente pour les entendre.
III. Historique judiciaire
[12] Par avis de requête, l'OPANO a demandé qu'une décision soit rendue sur son allégation selon laquelle le Décret sur l'immunité de l'OPANO lui confère l'immunité de juridiction contre l'action intentée par l'appelant. Le juge Robertson a ordonné que cette défense fondée sur l'immunité soit jugée séparément des réclamations de l'appelant. La procédure qui a mené au présent pourvoi demande de décider si l'OPANO jouit de l'immunité de juridiction.
A. Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, 2010 NSSC 346, 295 N.S.R. (2d) 331
[13] Le juge Wright a rejeté l'allégation d'immunité de l'OPANO. Selon lui, les termes « l'exigent » de la proposition « dans la mesure où ses fonctions l'exigent » du par. 3(1) du Décret sur l'immunité de l'OPANO signifient que l'OPANO possède les privilèges et les immunités [ traduction ] « exigés comme nécessaires » ou « essentiels » (par. 56). L'OPANO devait donc établir que l'immunité de juridiction contre l'action intentée par l'appelant était nécessaire ou essentielle à l'exercice de ses fonctions. Or, pour le juge Wright, elle ne l'était pas.
[14] Le juge Wright a conclu que l'OPANO avait pour fonction de [ traduction ] « contribuer par la consultation et la coopération à l'utilisation optimale, à la gestion rationnelle et à la conservation des ressources halieutiques dans l'océan Atlantique Nord‑Ouest » (par. 57). Peu d'éléments de preuve factuels étayaient selon lui l'argument de l'OPANO selon lequel le fait pour la cour de se déclarer compétente constituerait une ingérence inacceptable dans la régie interne de cette organisation. De l'avis du juge Wright, les facteurs suivants s'opposaient à une conclusion favorable à l'immunité : les allégations de l'appelant se rapportaient à un contrat de travail privé conclu volontairement par l'OPANO; l'appelant réclamait uniquement des dommages‑intérêts pour rupture de ce contrat et l'OPANO ne faisait pas valoir de motif valable pour justifier sa décision; aucun droit d'ingérence dans l'organisation interne, la gestion ou la gouvernance de l'OPANO n'était invoqué; l'appelant ne cherchait pas à assujettir l'OPANO au droit canadien; et aucun élément relatif à la souveraineté, à la politique ou à la sécurité n'entrait en jeu en l'espèce.
[15] En outre, pour le juge Wright, sa conclusion selon laquelle l'OPANO n'a pas droit à l'immunité en l'espèce était renforcée par le fait que si les tribunaux canadiens n'avaient pas compétence, l'appelant serait privé de tout recours pour faire valoir ses droits. Selon lui, le Décret sur l'immunité de l'OPANO devrait être interprété d'une manière compatible avec le droit d'une personne, dont le recours est légitime, à un procès équitable devant un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques , 999 R.T.N.U. 171 (« PIRDCP »).
B. Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse (le juge en chef MacDonald et les juges Beveridge et Bryson), 2011 NSCA 73, 306 N.S.R. (2d) 380
[16] S'exprimant au nom de la Cour d'appel, le juge en chef MacDonald a conclu que l'immunité conférée par le par. 3(1) du Décret sur l'immunité de l'OPANO mettait cette dernière à l'abri de toute action intentée par l'appelant. En tirant cette conclusion, il a adopté une interprétation fonctionnelle de l'immunité accordée par le Décret sur l'immunité de l'OPANO .
[17] Le juge en chef MacDonald a écrit que le juge Wright avait fixé à un niveau trop élevé les conditions d'application de l'immunité en exigeant essentiellement que la poursuite de l'appelant représente [ traduction ] « une ingérence inacceptable dans la régie interne de l'OPANO », « un obstacle important à l'exercice [. . .] des fonctions officielles de l'OPANO », ou « une ingérence excessive dans [ses] activités ou un obstacle excessif à l'exercice de celles‑ci » (par. 27). De l'avis du juge en chef MacDonald, cette approche était trop restrictive.
[18] Le juge en chef MacDonald s'est fondé sur l'arrêt rendu par la Cour dans Canada (Chambre des communes) c. Vaid , 2005 CSC 30, [2005] 1 R.C.S. 667, pour interpréter le Décret sur l'immunité de l'OPANO. Il est approprié, selon lui, d'appliquer les critères de nécessité et d'autonomie adoptés dans le contexte de la mise en œuvre du privilège parlementaire lorsqu'il s'agit de déterminer l'étendue de l'immunité accordée à l'OPANO. À son avis, de la même façon que l'immunité parlementaire vise à protéger l'autonomie du Parlement en tant qu'assemblée législative et délibérante, l'immunité conférée à l'OPANO vise à préserver son autonomie en tant qu'organisation internationale formée de nombreux États.
[19] Le juge en chef MacDonald a identifié trois principes directeurs dans l'arrêt Vaid . Premièrement, l'immunité émane du principe de la « nécessité » et il convient de retenir une conception large de ce principe. Deuxièmement, ce qui est « nécessaire », c'est la préservation de l'autonomie de l'organisation dans l'exercice de ses fonctions. Troisièmement, dans le domaine de l'emploi, plus les fonctions de l'employé s'estimant lésé se rapprochent des fonctions essentielles de l'organisation, plus il devient probable que l'autonomie de celle‑ci sera affectée et plus augmente donc la probabilité que l'immunité s'avère nécessaire.
[20] Le juge en chef MacDonald a conclu que le juge Wright avait commis une erreur dans son interprétation du par. 3(1) du Décret sur l'immunité de l'OPANO , et a affirmé qu'il [ traduction ] « reconnaîtrait [à l'OPANO] l'immunité de juridiction contre toute poursuite interne susceptible de porter atteinte à son autonomie dans l'exercice de ses fonctions » (par. 44). Il n'y avait pas lieu selon lui d'exiger une ingérence « importante », « excessive » ou « inacceptable » ( ibid. ).
[21] En cherchant ensuite à déterminer si les réclamations de l'appelant portaient atteinte à l'autonomie de l'OPANO dans l'exercice de ses fonctions, le juge en chef MacDonald a estimé que le juge Wright avait commis une erreur manifeste et dominante lorsqu'il avait conclu que l'OPANO ne contestait pas le bien‑fondé de la cause de l'appelant. Selon lui, il ressortait clairement du dossier que l'OPANO avait bel et bien fait valoir l'existence d'un motif pour justifier le congédiement de l'appelant. Cette erreur était à son avis importante parce que le juge Wright s'était fondé sur sa conclusion selon laquelle l'OPANO ne contestait pas le bien‑fondé de la cause pour conclure que la réclamation de l'appelant ne représentait pas une ingérence inacceptable dans les opérations de l'OPANO.
[22] Le juge en chef MacDonald a également contesté la caractérisation générale des réclamations de l'appelant faite par le juge Wright. Ces réclamations constituaient selon lui une ingérence beaucoup plus importante dans les opérations de l'OPANO. À son avis, la nature même des actions en congédiement injustifié implique des examens très importants et en profondeur de la relation employeur‑employé. Il a conclu, compte tenu du poste et des responsabilités de l'appelant, que les réclamations de ce dernier supposeraient inévitablement un examen à la loupe des activités essentielles de l'OPANO. De plus, les réclamations visant l'obtention de dommages‑intérêts punitifs et de dépens avocat‑client étaient axées sur l'inconduite reprochée à l'OPANO. Selon le juge en chef MacDonald, l'appelant demandait alors à la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse de revoir et de condamner la structure de gestion de l'OPANO. Le fait pour la cour d'accéder à une telle demande constituerait une ingérence dans l'autonomie de l'OPANO.
[23] Par ailleurs, le juge en chef MacDonald a reconnu qu'une conclusion selon laquelle l'OPANO aurait droit à l'immunité en l'espèce priverait l'appelant de tout recours contre elle, et il a souligné la réserve du juge Wright concernant le PIRDCP. Il a toutefois affirmé : [ traduction ] « . . . c'est une chose que d'interpréter la loi d'une manière qui reflète les valeurs et les principes des traités internationaux. C'en est une tout autre que de refuser l'immunité lorsque la loi l'accorde manifestement » (par. 73). Il a donc conclu que l'OPANO jouissait de l'immunité de juridiction contre toutes les réclamations de l'appelant.
IV. Analyse
A. Questions en litige
[24] La Cour doit répondre à deux questions. La principale est celle de l'application ou non de l'immunité de juridiction accordée à l'OPANO. Elle soulève la question de l'interprétation à donner aux termes « dans la mesure où ses fonctions l'exigent » utilisés au par. 3(1) du Décret sur l'immunité de l'OPANO . En effet, ces termes établissent la portée et l'objet de l'immunité conférée à l'intimée.
[25] Si la Cour conclut que l'OPANO jouit de l'immunité de juridiction à l'égard des réclamations de l'appelant, elle devra se pencher sur une deuxième question, soit celle portant précisément sur l'indemnité de cessation d'emploi. Il s'agira de déterminer si l'immunité s'applique également à la réclamation de l'appelant relative à l'indemnité de cessation d'emploi qui lui est payable en application du règlement régissant le personnel de l'OPANO.
[26] Avant de me pencher sur l'interprétation qu'il convient de donner au par. 3(1) du Décret sur l'immunité de l'OPANO , je formulerai certains commentaires généraux sur les immunités et les privilèges accordés aux organisations internationales. Plus précisément, je ferai ressortir certaines différences entre les immunités accordées aux États, d'une part, et celles accordées aux organisations internationales, d'autre part.
B. Immunités accordées aux États et immunités accordées aux organisations internationales
[27] Une règle générale du droit international coutumier reconnaît aux États une immunité de juridiction devant les tribunaux d'autres États : Immunités juridictionnelles de l'État (Italie c. Italie : Grèce (intervenant)) , C.I.J., arrêt (3 février 2012), par. 56; Commission du droit international, « Immunités juridictionnelles des États et de leurs biens », dans Annuaire de la Commission du droit international 1980 (1981), vol. II, deuxième partie, 134, p. 144-145. Selon la Cour internationale de justice, l'immunité de l'État « procède du principe de l'égalité souveraine des États qui, ainsi que cela ressort clairement du paragraphe 1 de l'article 2 de la Charte des Nations Unies, est l'un des principes fondamentaux de l'ordre juridique international » : Immunités juridictionnelles de l'État , par. 57. La Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens (2004) est la première convention internationale générale visant à codifier les règles relatives à l'immunité des États; elle n'est toutefois pas encore en vigueur.
[28] À l'instar d'autres États, le Canada a légiféré quant à l'immunité des États. En effet, le Parlement a adopté la Loi sur l'immunité des États , L.R.C. 1985, ch. S‑18 , qui reconnaît aux États étrangers l'immunité de juridiction devant les tribunaux canadiens, sauf dans les actions portant sur des « activités commerciales ». Le Canada a ainsi adopté une approche restrictive à l'égard de l'immunité des États et rejeté l'approche absolue selon laquelle les États bénéficient traditionnellement d'une immunité en toutes circonstances : J. H. Currie, C. Forcese et V. Oosterveld, International Law : Doctrine, Practice, and Theory (2007), p. 494‑501; voir aussi Kuwait Airways Corp. c. Irak , 2010 CSC 40, [2010] 2 R.C.S. 571.
[29] Selon le point de vue dominant à l'heure actuelle, il n'existe en revanche aucune règle de droit international coutumier conférant une immunité aux organisations internationales. Celles‑ci sont des créatures des traités et il en va de même des immunités auxquelles elles ont droit : H. Fox, The Law of State Immunity (2 e éd. 2008), p. 725‑726. De telles organisations exercent leurs activités sur le territoire d'États étrangers et par l'intermédiaire de personnes pourvues de la nationalité de ces États; elles sont par le fait même exposées à des ingérences, parce qu'elles ne possèdent ni territoire, ni population qui leur sont propres : Fox, p. 724. Cette réalité rend l'immunité essentielle au fonctionnement efficace et indépendant des organisations internationales. Elle façonne aussi les immunités et les privilèges qui leur sont accordés et qui procèdent d'une interaction complexe entre des accords internationaux et le droit interne des États d'accueil.
[30] Les organisations internationales varient considérablement quant à leur taille, à leur sphère d'activité et à leurs pouvoirs. Cela se reflète dans la source et l'étendue des immunités et privilèges qui leur sont conférés. À titre d'exemple, la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies , 1 R.T.N.U. 15, et la Convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées , 33 R.T.N.U. 261, contiennent des dispositions détaillées conférant des immunités et des privilèges étendus aux Nations Unies et à ses institutions. En plus des conventions internationales conférant des immunités et des privilèges uniformes applicables dans tous les États membres, les organisations internationales les plus importantes comme les Nations Unies et ses institutions négocient aussi des accords de siège exhaustifs et détaillés avec l'État d'accueil : voir, p. ex., l' Accord de siège entre le gouvernement du Canada et l'Organisation de l'aviation civile internationale , R.T. Can. 1992 n o 7, et les accords supplémentaires de 1999 et 2013.
[31] Les immunités conférées aux organisations internationales plus petites sur le territoire de l'État d'accueil sont, pour leur part, déterminées par une entente entre chacune de ces organisations et l'État en question. Il en va ainsi pour l'OPANO. L'article II de la Convention prévoit en effet que les immunités et privilèges dont elle jouit sur le territoire de la partie contractante (c.-à-d. le Canada) sont déterminés par une entente dont elles conviennent. L'OPANO et le Canada ont conclu une telle entente qu'énonce le Décret sur l'immunité de l'OPANO .
C. Contenu et sens du Décret sur l'immunité de l'OPANO
[32] Le Décret sur l'immunité de l'OPANO a été pris par le gouverneur en conseil en vertu de la Loi sur les privilèges et immunités des organisations internationales , L.R.C. 1985, ch. P‑23 (« LPIOI »). Par la suite, cette loi a été abrogée et remplacée par la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales , L.C. 1991, ch. 41 (« LMÉOI »), mais l'art. 16 de cette dernière prévoit toutefois que les règlements, décrets et arrêtés d'application de la LPIOI sont réputés avoir été pris en vertu de la LMÉOI .
[33] Le pouvoir du gouverneur en conseil de prendre des décrets relatifs aux privilèges et immunités des organisations internationales lui est conféré par l' al. 5(1) b ) de la LMÉOI , dont le texte suit :
5. (1) Le gouverneur en conseil peut, par décret, disposer :
. . .
b ) qu'une organisation internationale bénéficie, dans la mesure spécifiée, des privilèges et immunités énoncés aux articles II et III de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies reproduite à l'annexe III;
[34] Le paragraphe 3(1) du Décret sur l'immunité de l'OPANO précise l'étendue des immunités conférées à l'OPANO :
3. (1) L'Organisation possède, au Canada, la capacité juridique d'un corps constitué et possède, dans la mesure où ses fonctions l'exigent, les privilèges et les immunités prévus pour les Nations Unies aux Articles II et III de la Convention.
La LMÉOI et le Décret sur l'immunité de l'OPANO font tous les deux référence à la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies . Dans le présent pourvoi, la seule disposition pertinente de cette convention est l'art. II(2), qui confère aux Nations Unies l'immunité de juridiction, sauf dans la mesure où elle y a expressément renoncé.
[35] En l'espèce, la Cour doit déterminer la signification des mots « dans la mesure où ses fonctions l'exigent » utilisés au par. 3(1) du Décret sur l'immunité de l'OPANO. Autrement dit, elle doit établir l'étendue de l'immunité conférée à l'OPANO par le gouverneur en conseil. Il s'agit d'une question d'interprétation législative.
[36] Les règlements et les décrets doivent être interprétés conformément aux principes modernes d'interprétation des lois : Contino c. Leonelli‑Contino , 2005 CSC 63, [2005] 3 R.C.S. 217, par. 19; Glykis c. Hydro‑Québec , 2004 CSC 60, [2004] 3 R.C.S. 285, par. 5; R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5 e éd. 2008), p. 368. Comme l'a toutefois expliqué le juge Binnie au par. 38 de l'arrêt Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général) , 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533, pour interpréter un règlement, il est nécessaire d'examiner les termes conférant le pouvoir de le prendre, en plus des autres facteurs d'interprétation. Le juge Binnie a cité à cet égard l'observation suivante formulée par E. A. Driedger dans son ouvrage Construction of Statutes (2 e éd. 1983), p. 247 :
[ traduction ] Il ne suffit pas de déterminer le sens d'un règlement en l'interprétant au regard de son propre objet et des circonstances dans lesquelles il a été pris; il faut aussi interpréter les termes conférant les pouvoirs dans le contexte global de la loi habilitante. L'objet de la loi transcende et régit l'objet du règlement.
[37] Les termes « dans la mesure où ses fonctions l'exigent » utilisés au par. 3(1) du Décret sur l'immunité de l'OPANO doivent donc être interprétés dans leur contexte global, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit et l'objet de la LMÉOI , compte tenu des pouvoirs conférés et de l'intention du législateur : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re) , [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex , 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; E. A. Driedger, The Construction of Statutes (1974), p. 67.
[38] L'appelant soutient que les mots « l'exigent » qui figurent au par. 3(1) du Décret sur l'immunité de l'OPANO devraient être interprétés selon leur sens ordinaire et grammatical, et signifier « le nécessitent ». Il fait aussi valoir que l'interprétation donnée au par. 3(1) doit être compatible avec les obligations internationales du Canada comme l'a expliqué la Cour dans les arrêts Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) , [1999] 2 R.C.S. 817, et R. c. Hape , 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292. Le Décret sur l'immunité de l'OPANO doit donc être interprété de manière compatible avec le droit à une audition équitable prévu par le PIRDCP. L'intervenante, l'Association canadienne des libertés civiles, adopte un point de vue semblable et soutient que l'interprétation du Décret sur l'immunité de l'OPANO ne devrait pas contrevenir au principe fondamental d'accès à la justice. L'intimée maintient que, si une méthode d'interprétation fonctionnelle adéquate est adoptée, elle bénéficie de l'immunité de juridiction à l'égard des réclamations de l'appelant.
[39] Je vais maintenant interpréter la proposition « dans la mesure où ses fonctions l'exigent » utilisée au par. 3(1) du Décret sur l'immunité de l'OPANO. Cette question est déterminante pour l'issue du présent pourvoi.
1. Sens ordinaire et grammatical des mots « l'exigent » et contexte
[40] La première question porte sur le sens ordinaire et grammatical des mots. À cet égard, on fait valoir que les mots « l'exigent » signifient « le nécessitent ». Le juge Wright a accepté cet argument et conclu que l'immunité prévue dans le Décret sur l'immunité de l'OPANO s'applique uniquement dans la mesure où elle est nécessaire, voire indispensable, à l'exercice des fonctions de l'OPANO. Par conséquent, comme ses fonctions ont trait à l'utilisation, à la gestion et à la conservation de ressources halieutiques, l'OPANO n'a pas besoin d'une immunité pour les questions liées à l'emploi. À mon avis, l'analyse doit aller au‑delà de cette définition certes courante, quoique restreinte, des termes « l'exigent ». D'autres facteurs d'interprétation sont utiles pour déterminer le sens du par. 3(1) du Décret sur l'immunité de l'OPANO , des facteurs qui militent pour une interprétation plus libérale des termes « l'exigent » que celle avancée par l'appelant.
[41] L'opportunité d'interpréter largement ces termes ressort clairement d'un examen rapide du contexte dans lequel se situe le par. 3(1) du Décret sur l'immunité de l'OPANO. Si les termes « l'exigent » devaient être interprétés comme signifiant « le nécessitent » dans le sens le plus strict, les fonctionnaires au service de l'OPANO ne bénéficieraient que des privilèges et des immunités personnels exigés par leurs fonctions. Il en est ainsi parce que les mêmes termes — « dans la mesure où leurs fonctions l'exigent » — apparaissent non seulement au par. 3(1) mais aussi au par. 3(3). Selon une interprétation aussi restrictive des termes « l'exigent », les fonctionnaires de l'OPANO ne pourraient pas importer en franchise leur mobilier et leurs effets personnels — une immunité dont, peut‑on soutenir, bénéficient habituellement les employés des organisations internationales —, parce que, compte tenu de la mission de l'OPANO, l'importation de tels articles ne serait pas, dans ce sens strict, « exig[ée] » par leurs fonctions.
[42] L'appelant soutient que l'interprétation des termes « l'exigent » au par. 3(1) ne devrait pas être influencée par l'utilisation des mêmes termes au par. 3(3), parce que la première disposition concerne l'OPANO en tant que personne morale alors que la deuxième vise les fonctionnaires de l'organisation. Cet argument est sans fondement. Le gouverneur en conseil est présumé avoir fait preuve de cohérence dans l'établissement du Décret sur l'immunité de l'OPANO. Dans ce contexte, il faut considérer que les termes « l'exigent » utilisés aux par. 3(1) et 3(3) ont le même sens.
2. Objet de la LMÉOI
[43] En adoptant la LMÉOI , le législateur avait trois objectifs : fusionner en une seule loi la Loi sur les privilèges et immunités diplomatiques et consulaires , L.R.C. 1985, ch. P-22, et la Loi sur les privilèges et immunités des organisations internationales ; moderniser les immunités qu'il accorde aux États étrangers et aux organisations internationales conformément à l'évolution du droit international et de la pratique y afférente; et accorder des immunités et privilèges à des subdivisions d'États étrangers pour que les missions provinciales à l'étranger puissent, réciproquement, jouir d'immunités : Débats de la Chambre des communes , vol. III, 3 e sess., 34 e lég., 4 octobre 1991, p. 3332 et suiv. Se référant plus particulièrement aux organisations internationales, l'honorable Marcel Danis a rappelé ces objectifs au nom de la secrétaire d'État aux Affaires extérieures :
Le droit international confère également un statut particulier aux organisations internationales. L'adhésion aux Nations Unies, à l'OCDE et à d'autres organisations d'États est assortie de l'obligation d'accorder certains privilèges et immunités à ces organisations et à leurs agents. À défaut d'une loi permettant d'accorder ces privilèges et immunités, le Canada ne pourrait pas être membre de ces organisations, pas plus qu'il ne pourrait accueillir sur son territoire leur siège comme c'est le cas de l'Organisation de l'aviation civile internationale à Montréal ou du Commonwealth of Learning à Vancouver.
À l'heure actuelle, ces organisations obtiennent des privilèges et des immunités par décret, en vertu de la Loi sur les privilèges et immunités des organisations internationales. Le traitement que le Canada peut accorder à des organisations internationales n'a pas changé depuis l'adoption de la loi précédente, la Loi sur les privilèges et immunités des Nations Unies, en 1947. Cependant, les normes internationales en ce qui concerne le traitement de ces organisations ont changé du tout au tout et les limites imposées par la législation actuelle nuisent aux relations du Canada avec des organisations internationales, notamment la plus importante ayant son siège au Canada.
. . .
Une des façons de mieux défendre nos objectifs au sein de ces organisations consiste à les encourager à établir leurs bureaux ou, encore mieux, leur siège au Canada. Grâce à une législation plus moderne, nous pourrons poursuivre de façon plus dynamique notre politique tendant à attirer les bureaux des organisations internationales au Canada. [p. 3333‑3334]
[44] En adoptant la LMÉOI , le législateur avait donc entre autres pour objectif de moderniser les règles relatives aux immunités et aux privilèges qu'il pouvait accorder aux organisations internationales. Il voulait ainsi tenir compte des tendances actuelles en droit international et faire du Canada un endroit attrayant pour l'établissement du siège ou des bureaux de telles organisations. Interpréter l'immunité accordée au par. 3(1) pour lui donner une portée aussi limitée que le propose l'appelant irait à l'encontre des objectifs poursuivis par le législateur, soit la modernisation, la souplesse et le respect de l'indépendance des organisations internationales accueillies par le Canada.
[45] Il convient ici de répéter que l'immunité est essentielle au fonctionnement efficace des organisations internationales. En son absence, rien n'empêcherait l'État d'accueil et ses tribunaux de s'ingérer dans leurs opérations et leur programme. Voir W. M. Berenson, « Squaring the Concept of Immunity with the Fundamental Right to a Fair Trial : The Case of the OAS », dans H. Cissé, D. D. Bradlow et B. Kingsbury, dir., The World Bank Legal Review (2012), vol. 3, 133. Voir aussi L. Preuss, « The International Organizations Immunities Act » (1946), 40 Am. J. Int'l L. 332, p. 345.
3. Attribution de pouvoir dans la LMÉOI
[46] Comme nous l'avons vu, dans l'interprétation d'un règlement ou d'un décret, les tribunaux doivent tenir compte non seulement des facteurs d'interprétation habituels, mais aussi de la disposition législative conférant le pouvoir de prendre le règlement ou le décret en question : Bristol‑Myers Squibb , par. 38. C'est l' alinéa 5(1) b ) de la LMÉOI qui autorise le gouverneur en conseil à disposer par décret qu'une organisation internationale
bénéficie, dans la mesure spécifiée, des privilèges et immunités énoncés aux articles II et III de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies . . .
La LMÉOI accorde donc au gouverneur en conseil le pouvoir de conférer à une organisation internationale l'ensemble ou une partie des privilèges et des immunités accordés aux Nations Unies par les art. II et III de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies . La LMÉOI donne au gouverneur en conseil une certaine souplesse pour déterminer l'étendue des immunités et des privilèges à accorder au cas par cas à chaque organisation internationale. Le gouverneur en conseil dispose d'un vaste pouvoir de réglementation lui permettant d'établir les immunités d'une manière qui est compatible avec les fonctions dont doivent s'acquitter différentes organisations internationales. Il n'est pas tenu de fournir l'éventail le plus restreint possible d'immunités. Il doit plutôt donner à la communauté internationale l'assurance que nous serons un pays d'accueil conscient et respectueux du rôle des organisations internationales et de leur indépendance institutionnelle.
4. Régime établi par le Décret sur l'immunité de l'OPANO
[47] Le Décret sur l'immunité de l'OPANO a été établi compte tenu du contexte et des objectifs examinés précédemment. Il établit un régime par lequel le Canada confère certaines immunités et certains privilèges à l'OPANO. Ces immunités et privilèges sont décrits à l'art. 3, rédigé en ces termes :
3. (1) L'Organisation possède, au Canada, la capacité juridique d'un corps constitué et possède, dans la mesure où ses fonctions l'exigent , les privilèges et les immunités prévus pour les Nations Unies aux Articles II et III de la Convention.
(2) Les représentants d'États et de gouvernements membres de l'Organisation possèdent, au Canada, dans la mesure où leurs fonctions l'exigent , les privilèges et les immunités prévus pour les représentants de membres à l'Article IV de la Convention.
(3) Tous les fonctionnaires de l'Organisation possèdent, au Canada, dans la mesure où leurs fonctions l'exigent , les privilèges et les immunités prévus pour les fonctionnaires des Nations Unies à l'Article V de la Convention.
(4) Tous les experts accomplissant des missions pour l'Organisation possèdent, au Canada, dans la mesure où leurs fonctions l'exigent , les privilèges et les immunités prévus à l'Article VI de la Convention à l'égard des experts en mission pour l'Organisation des Nations Unies.
(5) Aucune disposition du présent décret n'exonère un citoyen canadien résidant ou ayant sa résidence ordinaire au Canada de l'obligation de payer les impôts ou droits établis par une loi au Canada.
[48] Le Décret sur l'immunité de l'OPANO prévoit des privilèges et des immunités pour toutes les personnes associées aux activités de l'OPANO. Suivant le par. 3(1), l'OPANO elle‑même bénéficie de l'immunité, puisqu'elle possède la capacité juridique d'un corps constitué. Les paragraphes 3(2) à (4) confèrent des privilèges et des immunités à certaines personnes : aux représentants d'États membres de l'OPANO, aux fonctionnaires de cette dernière, et aux experts accomplissant des missions pour elle. L'OPANO, ses fonctionnaires, ses représentants et ses experts possèdent donc les privilèges et immunités prévus dans la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies , « dans la mesure où [ses/leurs] fonctions l'exigent ».
[49] En limitant ces immunités et ces privilèges à ceux qu'exigent les fonctions de l'OPANO, le gouverneur en conseil n'a pas accordé à l'OPANO l'immunité absolue conférée aux Nations Unies par la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies : P. Sands et P. Klein, Bowett's Law of International Institutions (6 e éd. 2009), p. 494. Il lui a plutôt accordé l'immunité fonctionnelle, c'est‑à‑dire l'immunité dont elle a besoin pour être en mesure d'exercer ses fonctions sans ingérence injustifiée.
[50] En interprétant cette immunité fonctionnelle, la Cour d'appel a établi un parallèle avec le privilège parlementaire et a fondé son analyse sur l'arrêt rendu par la Cour dans Vaid . Il fallait déterminer dans cette affaire si la Commission canadienne des droits de la personne pouvait enquêter sur la plainte de M. Vaid selon laquelle le président de la Chambre des communes l'avait congédié indirectement pour des motifs qui constituaient de la discrimination et du harcèlement en milieu de travail. La Cour devait décider si l'embauche et le renvoi des employés de la Chambre des communes constituent des « affaires internes » auxquelles s'applique le privilège parlementaire. Puisque l'objet d'un privilège parlementaire est le même que celui d'une immunité conférée à une organisation internationale (ou de toute autre immunité), soit de priver les tribunaux de toute compétence quant aux matières visées par l'immunité, l'arrêt Vaid est pertinent pour l'interprétation du par. 3(1) du Décret sur l'immunité de l'OPANO .
[51] Dans l'arrêt Vaid , le juge Binnie a affirmé que le fondement du privilège parlementaire est la « nécessité », concept devant être interprété largement et se rapportant à la « dignité et [à] l'efficacité de l'Assemblée » : par. 29. Il a fait observer que la dignité et l'efficacité se rapportent à l'autonomie, nécessaire pour que le Parlement accomplisse son travail : ibid. En conséquence, il convient d'adopter une approche fonctionnelle dans l'évaluation du privilège parlementaire : seuls les actes nécessaires (au sens large, rappelons‑le) pour que le Parlement accomplisse son travail ne sont pas assujettis à la compétence des tribunaux.
[52] Il convient, à mon avis, d'adopter la même approche pour déterminer l'étendue de l'immunité accordée à l'OPANO dans le Décret sur l'immunité de l'OPANO. En effet, les auteurs de ce décret ont adopté une approche fonctionnelle à l'égard de l'immunité, comme en témoigne le libellé même choisi du par. 3(1) : « dans la mesure où ses fonctions l'exigent ».
[53] L'autonomie de l'OPANO et les mesures qu'elle prend dans l'exercice de ses fonctions doivent donc être mises à l'abri de toute ingérence injustifiée. Toutefois, les questions portant sur les mesures nécessaires pour l'exercice des fonctions de l'OPANO ou sur ce qui constitue une ingérence injustifiée doivent être tranchées au cas par cas.
D. Application en l'espèce
[54] En l'espèce, la Cour doit déterminer si la gestion des relations avec les cadres supérieurs devrait être visée par l'immunité conférée à l'OPANO. À mon avis, ses fonctions « exigent », au sens où il faut l'entendre pour l'application du Décret sur l'immunité de l'OPANO , que l'OPANO jouisse de l'immunité de juridiction contre les réclamations de l'appelant.
[55] L'OPANO a pour mandat général de contribuer par la consultation et la coopération à l'utilisation optimale, à la gestion rationnelle et à la conservation des ressources halieutiques de l'Atlantique Nord‑Ouest. Selon le juge Wright, entendre les réclamations de l'appelant ne constituerait pas une ingérence inacceptable dans la régie interne de l'OPANO. En toute déférence, je ne puis souscrire à cette conclusion.
[56] La Cour a reconnu que les relations de travail jouent un rôle important dans l'accomplissement de la mission d'une organisation : Re Code canadien du travail , [1992] 2 R.C.S. 50. L'OPANO ne pourrait d'ailleurs pas réaliser son mandat général sans ses employés. Dans Re Code canadien du travail , la Cour était appelée à déterminer si les relations de travail dans une base militaire américaine à Terre-Neuve constituaient des activités d'un État souverain qui bénéficiaient de l'immunité de juridiction devant les tribunaux canadiens. Même s'il concernait la Loi sur l'immunité des États , S.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 95, et le concept des « activités commerciales » auxquelles ne s'applique pas l'immunité de juridiction au Canada, cet arrêt demeure pertinent en raison des observations du juge La Forest, au nom des juges majoritaires, sur le rôle des relations d'emploi dans le contexte de l'immunité de juridiction. En effet, il a déclaré que la relation d'emploi constitue une relation « à plusieurs facettes » à considérer dans sa globalité et en tenant compte du contexte : p. 76 et 80.
[57] En l'espèce, l'appelant était le secrétaire exécutif adjoint de l'OPANO, c'est‑à‑dire le numéro deux du secrétariat. Il supervisait directement d'autres employés et était responsable du volet scientifique du mandat de l'organisation. Cela suffirait en soi pour conclure que les fonctions de l'OPANO exigent l'application de l'immunité de juridiction en l'espèce. L'OPANO doit être en mesure de gérer ses employés, notamment ceux qui occupent des postes supérieurs, afin d'accomplir efficacement ses fonctions. Permettre que des poursuites liées à l'emploi intentées contre l'OPANO par ses cadres supérieurs soient entendues par les tribunaux canadiens porterait atteinte de façon injustifiée à l'autonomie de l'OPANO dans l'exercice de ses fonctions et reviendrait à assujettir ses opérations de gestion à la surveillance des institutions de l'État d'accueil.
[58] Ce résultat découlerait de la nature même de la procédure judiciaire intentée par l'appelant. Dans sa déclaration, l'appelant allègue que le secrétaire exécutif [ traduction ] « a appliqué des pratiques de gestion irrégulières » : d.a., vol. II, p. 13. Il sollicite également des dommages‑intérêts punitifs. Ce faisant, il demande à la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse de se prononcer sur la façon dont l'OPANO gère ses employés. Ce type d'intervention constituerait, à mon avis, une ingérence dans la régie interne de l'OPANO, une ingérence qui touche directement à son autonomie.
E. Déni de justice
[59] Le paragraphe 3(1) du Décret sur l'immunité de l'OPANO soulève une dernière question. En formulant des arguments légèrement différents, tant l'appelant que l'intervenante font valoir que si l'OPANO bénéficiait de l'immunité de juridiction, il en résulterait un déni de justice, puisque l'appelant se trouverait par le fait même privé de la possibilité de faire valoir ses moyens devant un tribunal et d'obtenir réparation. Se fondant sur la Déclaration canadienne des droits , L.R.C. 1985, app. III, et sur la jurisprudence européenne, l'intervenante soutient que l'absence de mécanisme de règlement des différends à l'OPANO devrait militer contre l'application de l'immunité.
[60] L'absence d'un mécanisme de règlement des différends ou d'un processus interne d'examen n'est pas en soi déterminante pour décider si l'OPANO bénéficie de l'immunité. Comme nous l'avons vu précédemment, il faut considérer la relation d'emploi dans sa globalité et en tenant compte du contexte. En outre, la jurisprudence européenne sur laquelle se fonde l'intervenante a été établie dans un contexte juridique différent, soit celui de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales , 213 R.T.N.U. 221.
[61] Dans le cas de la Déclaration canadienne des droits , le droit reconnu à l'al. 2 e ) « à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations », ne crée pas un droit substantiel d'intenter une action. Cette disposition prévoit plutôt la tenue d'une audience impartiale si effectivement une audience a lieu. (Voir aussi Islamic Republic of Iran c. Hashemi , 2012 QCCA 1449, [2012] R.J.Q. 1567, par. 109; Authorson c. Canada (Procureur général) , 2003 CSC 39, [2003] 2 R.C.S. 40, par. 59‑61.) L'alinéa 2 e ) crée donc un droit procédural, et non un droit substantiel.
[62] Il en va de même pour l'argument de l'appelant fondé sur l'art. 14 du PIRDCP , disposition selon laquelle « [t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien‑fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. » Tout comme l'al. 2 e ) de la Déclaration canadienne des droits , l'art. 14 crée une garantie de nature procédurale. De plus, dans ses observations relatives au PIRDCP , le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a expliqué qu'une restriction à ce droit fondée sur une immunité découlant du droit international ne contreviendrait pas à l'art. 14 : Observation générale n o 32 , Article 14. Droit à l'égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable , Doc. N.U. CCPR/C/GC/32, 23 août 2007, par. 18.
[63] Il est regrettable que l'appelant ne puisse pas faire valoir ses moyens devant un tribunal et demander réparation. Cependant, la nature même de l'immunité de juridiction soustrait certaines affaires de la compétence des tribunaux de l'État d'accueil. Comme l'a affirmé le juge La Forest dans Re Code canadien du travail , le fait que certaines parties se trouveront dépourvues de tout recours judiciaire est le résultat « inévitabl[e] » de l'octroi de l'immunité de juridiction et constitue un « choix de principe implicite » dans la loi : p. 91. Il en est de même en l'espèce.
F. Indemnité de cessation d'emploi réclamée par l'appelant
[64] Par ailleurs, l'appelant réclame également le reste de l'indemnité de 50 000 $ payable pour la cessation d'emploi. Bien qu'elle n'ait pas répondu directement à la question, la Cour d'appel a conclu que l'OPANO bénéficie de l'immunité de juridiction contre toutes les réclamations présentées par l'appelant. Selon l'OPANO, vu que l'appelant, dans sa déclaration, lie inextricablement ses attaques contre le mode de gestion de l'OPANO au défaut de cette dernière d'effectuer le deuxième versement de l'indemnité de cessation d'emploi, l'immunité de juridiction s'applique également à cette réclamation. À mon avis, cette position est intenable.
[65] Premièrement, cette réclamation concerne uniquement l'art. 10.4 du règlement régissant le personnel de l'OPANO, selon lequel une indemnité de cessation d'emploi doit être payée à tout employé quittant son emploi, indépendamment des motifs de son départ. Appliquer l'art. 10.4 ne reviendrait pas à assujettir les opérations de gestion de l'OPANO à la surveillance des tribunaux canadiens. La réclamation relative à l'indemnité de cessation d'emploi ne porterait nullement atteinte à l'exercice des fonctions de l'OPANO.
[66] Deuxièmement, le fait que l'OPANO reconnaisse à l'appelant le droit à une indemnité de cessation d'emploi en application du règlement régissant le personnel et concède que le [ traduction ] « Décret sur l'immunité ne met pas l'OPANO à l'abri d'une poursuite visant uniquement à obtenir le paiement de montants dus au titre du règlement régissant le personnel de cette organisation » simplifie encore davantage la résolution de cette question : m.i., par. 57; voir aussi par. 93.
[67] En somme, aucune raison valable ne permet de conclure que le par. 3(1) du Décret sur l'immunité de l'OPANO s'applique à la réclamation de l'appelant relative à l'indemnité de cessation d'emploi. Cette réclamation devrait pouvoir suivre son cours.
V. Conclusion
[68] Je conclus que, conformément au par. 3(1) du Décret sur l'immunité de l'OPANO , l'OPANO bénéficie de l'immunité de juridiction à l'égard des réclamations de l'appelant, sauf en ce qui concerne la réclamation relative au paiement de l'indemnité de cessation d'emploi. Le pourvoi est donc accueilli en partie, avec dépens en faveur de l'appelant. L'affaire est renvoyée à la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse pour que celle‑ci statue sur la réclamation qui subsiste.
Pourvoi accueilli en partie avec dépens .
Procureur de l'appelant : David A. Copp, Halifax.
Procureurs de l'intimée : Stewart McKelvey, Halifax.
Procureurs de l'intervenante : Borden Ladner Gervais, Toronto.